Le Cochon

Bernard Prost
Méprisé de son vivant, apprécié seulement après sa mort, - à l'inverse de beaucoup de prétendus grands hommes, - le Cochon est un des nombreux exemples de l'ingratitude humaine.

Ce déshérité, ce paria, ce martyr subit stoïquement, depuis des milliers d'années, le sort réservé, dans toute civilisation, aux humbles, aux faibles, aux innocents, aux malheureux.

Son nom même, nom étrange dont l'étymologie a dérouté jusqu'ici l'érudition des philologues, son nom a été longtemps un opprobre. La Fontaine a osé le prononcer dans une de ses fables ; mais le cas est unique. Au siècle dernier, quand florissait la littérature bâtarde de l'école dite descriptive, poètes et prosateurs avaient recours à toutes les ressources de la périphrase pour esquiver ce mot honni. On connaît la définition imagée de Florian : "L'animal au duvet soyeux, qui se nourrit des fruits du chêne." J'aime mieux, en fait d'euphémismes, l'alexandrin de Mme d'Houdetot :
    Ces bons rois fainéants, tout habillés de soie.
Et encore, le dernier hémistiche plagie-t-il textuellement une vieille expression restée populaire dans les campagnes où, lorsqu'il arrive à un paysan de parler, par hasard, de ses Cochons devant un homme de la ville, il ne manque pas de les qualifier "d'habillés de soie, sous votre respect," ajoute-t-il avec conviction, en soulevant son chapeau ou tirant son bonnet.

Quoi qu'il en soit, le substantif qui nous occupe a obtenu à grand'peine son admission définitive dans le vocabulaire des honnêtes gens. Il y a vingt ans au plus on ne l'écrivait guère en toutes lettres, si peu qu'on eût de prétention au langage académique. Jules Janin - un ami et un apologiste du Cochon, pourtant - n'a-t-il pas eu la lâcheté de traduire l'Epicuri de grege porcum d'Horace par agneau du troupeau d'Épicure ?

Les doctrinaires de l'histoire naturelle n'ont pas témoigné plus de bienveillance à l'égard de notre modeste héros ; ils l'ont méconnu ou calomnié à plaisir. Buffon surtout, le ci-devant noble M. de Buffon, si prodigue d'enthousiasme et de périodes majestueuses pour l'aristocratie du monde des bêtes, si dédaigneux, souvent si injuste pour les plus utiles et les plus infortunés représentants de la démocratie animale, Buffon, de peur de salir ses fines manchettes en se commettant avec de pareilles espèces, s'est bien gardé d'étudier le Cochon de près ; il a jugé suffisant de l'injurier en beau français. "De tous les quadrupèdes, s'écrie-t-il, le Cochon paraît être l'animal le plus brute… Toutes ses habitudes sont grossières, tous ses goûts sont immondes, toutes ses sensations se réduisent à une luxure furieuse et à une gourmandise brutale qui lui fait dévorer indistinctement tout ce qui se présente, et même sa progéniture au moment où elle vient de naître…" etc., etc. J'abrège ces outrageantes impertinences.

Michelet, si mes souvenirs sont exacts, Toussenel, H. Taine, M. de Cherville, Ch. Monselet, Arsène Houssaye, entre autres, se sont chargés de répondre à Buffon et de rendre justice à son intéressante victime déjà vengée par Franklin, et réhabilitée par la Convention nationale qui assigna au Cochon une place d'honneur au milieu des nouveaux saints de son calendrier.

Il a fallu la Révolution de 1789, il a fallu tout l'esprit, toute l'éloquence des auteurs éminents que je viens de citer, pour qu'il fût enfin permis de prendre la défense de ce pauvre calomnié, sans faire crier au réalisme ou au paradoxe.

Et cependant, parmi les animaux domestiques, en est-il un qui ait, je ne dis pas plus, mais autant de droit à notre sympathique commisération ?

Le cheval, le boeuf, le mouton, jouissent d'un sort relativement privilégié ; l'âne même, cet autre paria, trouve encore des consolations et des joies au cours de sa triste existence ; l'espoir, du moins, ne leur est pas interdit ; si le présent les accable, ils peuvent augurer mieux de l'avenir. Le Cochon seul ignore ces compensations. Pour lui la destinée est impitoyable ; pour lui nul adoucissement, nul réconfort, pas la moindre lueur d'espérance. Voué au sacrifice dès son berceau, créé et mis au monde pour être mangé à la fleur de l'âge, il ne connaît que l'incessante et horrible angoisse du condamné à mort. Attente affreuse d'un dénoûment fatal ! La pitié d'un souverain arrache parfois à la guillotine de grands criminels ; lui, malgré son innocence, n'échappe jamais au couteau du boucher.

Comprenez-vous que, sous la menace de cette épée de Damoclès, sa carrière soit tristement empoisonnée ? Aussi vit-il sombre, mélancolique, renfrogné, toujours obsédé de la cruelle vision. S'il aborde ses camarades de captivité, il semble leur dire : "Frère, il faut mourir !"

Il ne se fait pas d'illusions. Il sait très bien qu'on n'attend que son trépas, qu'on escompte son cadavre ; que si on paraît s'intéresser à lui, c'est en prévision du bénéfice à tirer de sa dépouille ; que si on le soigne, c'est afin de hâter l'heure où on le livrera à l'assassin. Il sait ce que valent les caresses du campagnard qui lui palpe l'échine pour juger de l'épaisseur de sa graisse ; il apprécie la signification des sourires féroces qui l'accueillent à son arrivée à la ferme ; il ne prend pas pour de la compassion les regards de convoitise gourmande qu'allume, plus tard, chez la ménagère et les marmots, l'aspect de son opulente rotondité.

Une telle infortune, supportée si noblement, a de quoi toucher les coeurs sensibles. Je ne chercherai point, en ce qui me concerne, à dissimuler mes sentiments de bonne et affectueuse amitié à l'endroit d'une pauvre créature bafouée, vilipendée, traînée dans la boue d'une manière indigne.

Quel est donc l'auteur de cette jolie boutade ? "Dire que je suis l'ami du Cochon serait peut-être me vanter, mais je puis avouer, sans fatuité, que je suis avec lui en de fort bons termes. - Comme ces habitants des villes de province que divise l'esprit de caste ou de parti, nous ne nous voyons pas ; mais nous nous estimons assez pour nous saluer, lorsque nous nous rencontrons. - Son grognement amical me dit bonjour, et le regard compatissant avec lequel je considère cette bedaine frémissante et trottinante doit lui démontrer qu'il n'a point affaire à un ingrat."

Voilà ma profession de foi faite, et mieux tournée, à coup sûr, qu'en prose de mon cru.
Examinons un peu, maintenant, quels griefs on allègue contre mon client.

Sa dégradation : mais elle est notre oeuvre ! Écoutez là-dessus un des maîtres les plus autorisés en la matière, M. de Cherville : "Oui, la dégradation du Cochon est notre oeuvre ; la vivacité, l'énergie, l'indomptable courage, la finesse de l'ouïe, la délicatesse de l'odorat caractérisent le type primitif ou similaire de sa race, que nous avons encore sous les yeux dans le sanglier. En l'isolant, nous avons détruit l'instinct sociable si fortement accusé dans son espèce. Nous l'avons rendu mou, lâche, paresseux, en le parquant dans une étable la plupart du temps trop étroite, en le laissant croupir sur un fumier infect ; en revanche, nous avons soigneusement cultivé et encouragé son vice dominant, la gloutonnerie, de manière à ce qu'elle finît par atrophier ses facultés naturelles. Tout dans son avilissement est de notre fait ; de mieux doués n'eussent pas résisté à l'épreuve, et nous avons d'autant moins le droit de lui reprocher la grossièreté de ses habitudes, sa voracité, sa goinfrerie, que nous en tirons un large profit ; que, grâce à tout cela, les rebuts, les déchets de la cuisine, du jardin, de la laiterie, les immondices mêmes, se trouvent transformés en une viande saine et succulente."

C'est ainsi, hélas ! que nous sommes. Sous le fallacieux prétexte de civiliser le Cochon, nous l'avons hébété, avili, dégradé ; nous exploitons à outrance ses défauts, et, au lieu de reconnaître franchement nos torts, nous faisons peser sur lui tout l'odieux de notre propre responsabilité, nous ne trouvons pas d'expressions assez énergiques pour flétrir son objection. Humanité, voilà bien de tes injustices !

N'a-t-on pas, d'ailleurs, fort exagéré cette dégradation ? Je concède que notre ami ne soit pas inattaquable sur ce point, j'admets encore qu'il prête le flanc à la médisance ; mais il ne faut pas pourtant se montrer, de parti pris, si injuste envers lui. Il est susceptible de beaux sentiments ; on peut même l'initier aux exigences du bon ton ; témoin le Cochon de Grimod de la Reynière, qui, assis sur un fauteuil, occupait très convenablement sa place, les jours de gala, à la table du célèbre gastronome ; témoin aussi les Cochons légendaires de Mlle Georges et de Jules Janin.

Il est, en effet, aussi bien doué, du côté de l'intelligence, que certains autres animaux vantés à l'envi. Qu'on se rappelle les Cochons savants dont les danses et les exercices variés charmaient les loisirs de l'empereur Alexandre-Sévère et la vieillesse maladive du roi Louis XI. Et ce trait merveilleux, cité dans l'Histoire naturelle de Pline : des pirates s'étaient emparé d'un troupeau de porcs et l'emmenaient dans leur bateau ; ils s'éloignaient de terre, poursuivis par les cris désespérés du berger, quand les prisonniers, dociles à la voix de leur maître, eurent l'esprit de se jeter tous du même côté de l'embarcation pour la faire chavirer et purent ainsi regagner le rivage.

Le thème serait inépuisable, mais la place m'est mesurée. Je mentionnerai brièvement une autre preuve de l'intelligence du Cochon : son amour de la musique. Aucun animal ne lui est comparable sous ce rapport. Chez lui, c'est presque du raffinement. Le chalumeau, le cornet à bouquin, la flûte de Pan, la cornemuse, l'intéressent, mais sans le passionner ; il ne se méprend ni sur la vulgarité de leurs sons ni sur l'insuffisance de leurs ressources harmoniques ; fin connaisseur, il réserve ses prédilections pour de plus nobles instruments. La clarinette, en particulier, excite son enthousiasme. Jouez-lui le solo de l'ouverture de Zampa : vous le verrez hocher la tête en mesure et applaudir aux meilleurs endroits par de petits grognements expressifs. Son type préféré, à ce que nous affirme un docte musicographe, c'est la clarinette en si bémol. Sil savait qu'il la doit à Meyerbeer, il pardonnerait certainement à la nation israélite tous les mépris dont elle abreuve son espèce.

L'auteur de l'Esprit des bêtes nous fournit, dans un ordre de faits bien différent, un dernier argument en faveur de ce dilettante, si bénévolement accusé de dégradation. "De tous les animaux domestiques, écrit Toussenel, le Porc est le seul qui craigne de souiller de son fumier la couche sur laquelle il sommeille. Le cheval et le chien, qui ont de si jolies manières, ne sont pas cependant à la hauteur de cette délicatesse."

Les mauvais instincts du Cochon, les côtés fâcheux de sa nature, que l'homme a si bien pris à tâche de développer pour en tirer parti, ont été, de même, l'objet d'exagérations regrettables. Ses détracteurs prétendent qu'il se plaît à dévorer ses petits et à manger les enfants au berceau. Ce serait là, sans doute, une habitude terriblement vicieuse ; mais quelques faits isolés, certains cas exceptionnels ne suffisent pas à mériter au prévenu une réputation d'infanticide par plaisir et d'anthropophage par goût. Le lapin, l'inoffensif lapin, n'est-il pas inculpé, lui-aussi, de témoigner parfois à sa progéniture une tendresse trop vorace ? Personne, néanmoins, n'a jamais eu l'idée de taquiner, de ce chef, le bon Jean Lapin. Ne faisons donc pas du Cochon le bouc émissaire de toute la gent animale ; admirons plutôt cette Truie aimante, dévouée, poussant l'abnégation jusqu'à l'héroïsme, épuisant ses mamelles à allaiter une douzaine de cochonnets affamés, inventant pour eux des câlineries adorables dans leur gaucherie, adoucissant sa voix en inflexions inquiètes ou attendries pour les rappeler autour d'elle ou leur faire la morale, dirigeant leurs premiers pas, prenant part à leurs jeux, attentive à leurs besoins et à leurs désirs !

Je puis invoquer ici un témoignage précieux, d'une impartialité irrécusable, absolument décisif : le bourreau du Cochon payant de plein gré, à sa victime, le tribut d'une justification éclatante. C'est le Manuel du charcutier qui parle : "La Truie, quoique mal nourrie, prend un soin particulier de ses petits ; aux champs, elle se retourne à chaque instant pour voir s'ils la suivent : elle leur fait part des racines qu'elle trouve en fouillant la terre ; sont-ils éloignés un peu, elle les attend avec complaisance ; jettent-ils un cri, l'inquiétude la saisit ; veut-on en enlever un, elle s'élance pour le défendre et son courage va jusqu'à la fureur." Le tableau est touchant ; en voici un autre qui ne l'est pas moins : "Le premier usage que les Cochonnets font de leur existence est de se traîner à la tête de leur mère souffrante, de la frotter de leur boutoir, comme s'ils voulaient la dédommager par leurs caresses des douleurs qu'ils viennent de lui causer." Ce "Manuel du charcutier" vous ferait vraiment venir les larmes aux yeux. Avouez, en tout cas, que le plaidoyer est éloquent et l'apologie complète. Grâce à un témoignage aussi convaincant qu'inattendu, il demeure acquis que la Truie est une excellente mère de famille, et que ses nourrissons offrent le type parfait de la piété filiale. Ombre de Buffon, que reste-t-il de tes calomnies ?

On adresse encore à notre ami un autre reproche : on raille, en termes amers, sa laideur. Assurément, au point de vue de l'élégance, il ne soutient pas le parallèle avec le chevreuil, l'antilope ou le chamois ; mais, que voulez-vous, dans le monde des bêtes comme dans le nôtre, la perfection physique n'est pas échue en partage à chacun. Si la nature ne l'a pas avantagé, ce n'est pas sa faute ; qu'on s'en prenne à cette marâtre. Lui, au moins, se contente de son sort, ne jalouse pas les privilégiés et n'a jamais eu le semblant même d'une prétention personnelle à la beauté. Pourrait-on rendre un pareil hommage à tous les laiderons qui déshonorent l'espèce humaine ? Au surplus, à le bien examiner, il n'est pas aussi désagréable à l'oeil que les mauvaises langues l'affirment. En en tenant pas compte de son atroce caricature, le Phacochère, et défalcation faite des martyrs de l'engraissage ou du défaut de soins, le Cochon, pris en des conditions normales, ne manque ni d'originalité pittoresque dans les formes, ni d'une certaine désinvolture dans les mouvements. Il n'est pas beau, mais il est joli. Jeune, il a pour lui la gentillesse ; rien de coquet et de gracieux comme ces petits corps blancs et roses, proprets, toujours frétillants, à la frimousse guillerette et fûtée. Plus âgé, il se recommande aux amateurs de plastique par son échine large et souple, son pied fin, sa jambe ronde, son oreille transparente, ses joues trouées de fossettes ; trois choses surtout, chez lui, sont véritablement incomparables : la queue en vrille, fantasque, intéressante, spirituelle ; l'oeil, expressif et d'un feu étrange, à la fois moqueur, insouciant et mélancolique, reflétant toute une psychologie inconnue à nos philosophes ; le groin, grand nez goguenard, insolemment superbe en sa monumentale ampleur.

Mais pourquoi m'attarder à une réhabilitation superflue ? Charles Jacques, Millet, pour ne citer que ces deux noms, et, avant eux, Paul Potter et Karl Dujardin n'ont-il point, par cent chefs-d'oeuvre, assuré au Cochon la place que les artistes lui avaient refusée jusqu'alors dans les scènes de la vie champêtre et la représentation des animaux ? En littérature, n'a-t-il pas aussi gagné enfin son procès ? Si mon assertion vous paraît téméraire, lisez la page exquise que lui a consacrée H. Taine dans son Voyage aux Pyrénées. La poésie, elle aussi, a levé la proscription lancée depuis des siècles contre lui. Jusqu'à l'esthétique, qui a fait amende honorable et proclamé les droits de ce grand calomnié.

Je vous accorde, pourtant, que, dans l'intérêt même de mon client, il ne faut pas se montrer trop exigeant sur ce point, et, pour ma part, je serais assez disposé à adopter, comme transaction, l'aphorisme de M. de Cherville : "Si le principe moderne, qui affirme la supériorité de l'utile sur le beau, était pris à la lettre, le compagnon de Saint Antoine occuperait un des rangs les plus élevés dans la hiérarchie des animaux." Je ne demande pas mieux que de rapprocher de cet axiome, le sonnet fameux de Monselet:
    LE COCHON

    Car tout est bon en toi : chair, graisse, muscle, tripe !
    On t'aime galantine, on t'adore boudin,
    Ton pied, dont une sainte a consacré le type,
    Empruntant son arome au sol périgourdin.
     
    Eût réconcilié Socrate avec Xanthippe.
    Ton filet, qu'embellit le cornichon badin,
    Forme le déjeuner de l'humble citadin ;
    Et tu passes avant l'Oie au frère Philippe.
     
    Mérites précieux et de tous reconnus !
    Morceaux marqués d'avance, innombrables, charnus !
    Philosophe indolent, qui mange et que l'on mange !
     
    Comme, dans notre orgueil, nous sommes bien venus
    A vouloir, n'est-ce pas, le reprocher ta fange ?
    Adorable Cochon ! Animal Roi ! - Cher Ange !
Mais là, aussi, il s'agit de s'entendre et de ne rien outrer. Le moyen, par exemple, de laisser passer sans réclamation une théorie comme celle-ci : "Le Porc est l'emblème de l'avare, et l'avare n'est bon qu'après sa mort." Voilà de la cruauté gratuite au premier chef. A ce mot, méchamment spirituel, joignez quelques autres paradoxes du même genre, et vous évoquez aussitôt l'image du pauvre défunt devenu lard, jambon, boudin, saucisse, andouille, fromage, saindoux, fricassée, grillade, etc., etc. Que ce spectacle réjouisse l'estomac, soit ; que ces multiples transformations, que toutes ces succulentes dépouilles constituent un phénomène unique d'utilité posthume, personne ne songe à le nier ; nul, non plus, fût-il membre honoraire de la Société protectrice des animaux, ne s'avisera jamais de protester contre des hécatombes qui intéressent à un si haut degré les plaisirs de la table et surtout les besoins de l'alimentation populaire ; mais, de grâce, un peu de pitié pour la victime offerte en permanent holocauste à nos appétits carnassiers ! Laissons aux gastronomes endurcis le remords de l'ingratitude envers le Christophe Colomb de la truffe ; aux charcutiers, le monopole de l'indifférence devant le supplice épouvantable de son agonie. Rendons un peu justice, de son vivant, à celui qui nous comble de tant de bienfaits après sa mort ; sans lui accorder ses grandes et petites entrées au foyer domestique, traitons-le, du moins, en bon et méritant serviteur.

Méditons, à l'occasion, cette profonde vérité de Toussenel : "Le Porc est le don le plus précieux que le navigateur européen puisse faire aux peuples sauvages. C'est un des éléments les plus puissants de la civilisation et du progrès." Et enfin, s'il faut tout dire, faisons un retour sur nous-mêmes ; souvenons-nous de la parole du poëte :
    Tout Homme a dans son coeur un Cochon qui sommeille;
Sans oublier que cet endormi est, maintes fois, terriblement éveillé. Je m'arrête, faute de place, et à peine ai-je effleuré mon sujet : je n'ai pas même eu le temps d'esquisser un résumé rapide de l'histoire du Cochon depuis l'arche de Noé, où l'on signale sa présence, jusqu'à l'année dernière, où les "belles petites" ont essayé en vain d'introduire chez nous le porte-veine que l'on sait, fort en honneur dans toute l'Allemagne. Un in-octavo ne serait pas de trop pour combler les lacunes de cette monographie et épuiser la matière. Je m'engage à l'entreprendre au premier moment de loisir.

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