La raison et la limite

Gilbert Romeyer-Dherbey
La limite, au lieu d'être cette chose essentiellement négative, qui n'est là que pour être dépassée, est l'un des signes auquel on reconnaît ce qui est.
«Or la raison est conçue, conformément à un thème ontologique fondamental de la pensée grecque, comme puissance essentielle de limitation, comme détermination à l'intérieur d'un trait qui fixe les contours, qui arrête le tracé au-delà duquel commencent excès et démesure, eux-mêmes condamnés simplement parce qu'avec eux s'instaure le règne du n'importe quoi. Être, c'est être quelque chose, et si l'indéfini est, dès l'aube de l'hellénisme, exorcisé, s'il est signe de déraison, c'est parce qu'il est en même temps non-être, ou moindre être. Définissant la rationalité comme puissance de limitation, il faut voir que cette limitation ne doit pas être comprise au négatif, c'est-à-dire comme ce qui, en bornant, ferme, mais au contraire, comme l'a marqué Heidegger dans Le principe de raison, comme ce qui, en cernant l'être, le constitue et le fait éclater au-dehors, saisissable au regard, tout comme la statue surgit du bloc quand le ciseau lui a conféré contour. La raison, pensant le besoin dans la société civile, lui donne son être de besoin humain, c'est-à-dire à la fois ouvre son champ et l'enclôt; elle assure la discipline du besoin au sens où Aristote, de façon très platonicienne, dit qu'il faut philosopher avec les passions, à savoir ne pas prétendre les extirper, mais les régler tout en les conservant. Et comment en effet extirper tout besoin? - mais comment l'abandonner à lui-même, à son excitabilité infinie, son indéfini pouvoir de prolifération, l'inextinguible appétit d'avoir plus?»

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