Wikipedia II : réactions et réponses

Marc Foglia


Wikipedia II : réactions et réponses

Lire auparavant "Wikipedia : principes et perspectives"


Nous sommes heureux d'avoir été contactés par Patrice Letourneau1. Nous avions pris connaissance des diverses réactions suscitées par l'article, et c'est avec grand plaisir que nous donnons à présent une suite à l'article "Wikipedia : principes et perspectives".

Pour dissiper tout malentendu, précisons que nous n'avons pas cherché à critiquer Wikipedia, malgré nos liens avec l'Encyclopédie de l'Agora : nous considérons que la prise de position "pour" ou "contre" Wikipedia est une solution de facilité. Le "scandale Seigenthaler" avait d’ailleurs ait doubler l'audience de l'encyclopédie (novembre décembre 2005), le scandale étant plus vendeur, de nos jours, que la publicité elle-même. Cette phase de scandale étant dépassée, nous avons cherché à apporter ce qui manque encore, à savoir une analyse de fond sur "l'encyclopédie libre". Nous avons essayé de comprendre, d'analyser et de tracer quelques perspectives.

Il n’était pas sûr que l’on retrouverait le coupable du scandale Seigenthaler et la victime a dû entreprendre elle-même l'enquête2. La tâche de retrouver qui a écrit quoi est fastidieuse. La logique de la responsabilité auctoriale ne nous semble pas compatible avec l’esprit du wiki. Aussi maintenons-nous que les articles restent par principe anonymes sur Wikipedia, bien qu’ils soient censés appartenir à leurs auteurs.
Pourquoi affirmer d'ailleurs que les auteurs possèdent leurs articles, si la logique à l’œuvre sur Wikipedia est une logique de don ? Notre conviction, mûrie dans la réflexion, est que le contenu des articles n’appartient à personne. Mieux vaudrait que la Fondation en prenne la décision juridique. Cette option correspond mieux à ce qu’est Wikipedia : les articles n’appartiennent à personne, parce qu’ils appartiennent à tous. C’est ce que nous avons appelé le communisme de Wikipedia. En proclamant que les articles appartiennent à leurs auteurs, on se méprend sur ce qu’est «l’encylopédie libre», une entreprise de mutualisation et de collectivisation du savoir, réellement étrangère à toute logique de propriété. Celui qui écrit doit avoir la satisfaction de celui qui donne, de celui qui a mis son intelligence, ses connaissances et sa disponibilité au service de tous.
Le phénomène Wikipedia correspond si peu à nos schémas de pensée habituels, que lorsque nous expliquons cela et d’autres choses à des personnes qui ne connaissent pas l’encyclopédie, on nous répond invariablement : « je n’y crois pas », « cela ne peut pas marcher », ou bien « quel intérêt les gens ont-ils à écrire sur un site comme ça ? » C’est aussi une chose à méditer : si le projet en avait été dessiné sur le papier, personne n’aurait misé un kopeck sur la réussite de l’encyclopédie libre. La réalité nous réserve beaucoup de surprises et c’est tant mieux.
Si le terme communisme choque, vous pourrez le remplacer par « œuvre collective » ou « patrimoine commun de l’humanité ». Lorsque nous employons le terme « communisme », nous ne prenons pas pour référence l’Union Soviétique, et ce n’est pas une critique comme c’est le cas lorsque Bill Gates emploie ce terme pour discréditer le logiciel libre. Michel Dumais écrit à ce propos dans Le Devoir : « Quelqu'un devrait plutôt rappeler à M. Gates que le communisme, comme celui qui était pratiqué en Union soviétique, était un système de contrôle centralisé, où toutes les activités étaient passées au crible du régime, prétendument pour le bien public, mais en fait pour le bien des membres du Parti communiste. Ce communisme était un système où les appareils permettant les copies étaient étroitement gardés, pour empêcher les copies illégales3. »
Nous pensons toutefois que communisme est le terme le plus approprié et nous avons énoncé, comme raison de ce choix, l’incompatibilité de la somme de travail collective contenus dans Wikipedia avec les tentatives d’appropriation commerciale, publicitaire ou intellectuelle qui pourraient venir de divers groupes. Nous avons à partir de là formulé quelques inquiétudes concernant la forme juridique actuelle, qui ne permet pas d’écarter assez vigoureusement les tentatives éventuelles d’appropriation. La licence libre « General Public Licence » (GPL), ici sous la formule de la GNU Free Documentation License, a été forgée dans un autre contexte, celui des notices accompagnant les logiciels libres. Il s’agissait de s’opposer aux solutions «propriétaires», qui ne laissent à l’utilisateur que le choix de tel ou tel logiciel. Or, les plus ardents défenseurs du libre, comme Richard Stallman, ne voient aucun inconvénient à faire commerce du logiciel libre.
Avec Wikipedia, la situation est différente. Si l’on soumettait les statuts de l’encyclopédie au wiki, pour voir quel serait le choix des contributeurs, il est à notre avis certain qu’ils proscriraient toute forme d’appropriation des contenus. Le statut de l’encyclopédie se rapprocherait alors davantage de certaines formules des Creative Commons que la GNU Free Documentation License. Cette dernière, par opposition aux droits d'auteurs classiques, stipule que l'auteur accepte que sa contribution soit modifiée par d'autres et redistribuée sans autorisation4 ; rien n'interdit cependant à quelqu'un de "s'inspirer" de Wikipedia pour remplir et vendre une revue. La ligne de conduite officielle de Wikipedia (en anglais) sur la propriété intellectuelle des pages contient des ambiguïtés, puisque l'on peut y lire par exemple : "In summary, the author(s) of an article are legally the "copyright holders" and could thus be regarded as the "owners", but since they cannot prohibit modifications, it could also be said that everyone "owns" every article in the sense that everyone has the right to copy or improve them5".


Rédigé par deux auteurs, l'article que nous avons publié sur l’Agora est collaboratif. Wikipedia n'a pas le monopole du travail collaboratif sur Internet : la plupart des sociétés aujourd’hui reposent sur des formes de travail collaboratif, et l’Encyclopédie de l’Agora aussi.
N'ayons cependant pas peur de la confrontation si nous la jugeons nécessaire. Les lecteurs de Wikipedia ne perçoivent pas, dans l'immense majorité des cas, quelles "guerres éditoriales" (edit wars) ont accompagné la rédaction des articles qu'ils sont en train de lire. C'est un inconvénient majeur : tout se passe comme si la dernière version était une version pacifiée des choses. Même si l'on prend connaissance de points de vue différents, dans un même article – ce qui est rarement le cas, malgré les instructions éditoriales - le résultat que l’on a sous les yeux laisse penser à une réconciliation générale des esprits. Seuls ceux qui iront fouiller dans l'historique s'apercevront qu'il s'agit seulement d'une apparence, et que le savoir est loin d’être un long fleuve tranquille. Parfois, les articles critiques (par exemple «Criticism of Wal-Mart») sont détournés vers un article spécial, comme si la critique ne faisait pas partie de ce que l’on devait savoir. Les « fourchettes » (fork) éditoriales sont de ce point de vue regrettables.
La forme encyclopédique nous laisse croire que la totalité du savoir est disponible, et qu’elle se trouve là à notre disposition grâce à Internet. N’oublions pas cependant l’esprit critique, qui reste indispensable à l’établissement même de ce que nous considérons comme savoir, et sachons mettre en œuvre ses exigences à bon escient.
Certes, l’historique est une fonction qui permet de revenir à une version antérieure. On peut ainsi comparer les différentes versions de l’article – combien de personnes se livrent-elles à ce genre de comparaisons ? En outre, la forme collaborative spécifique à Wikipedia se prête mal à ce genre de travail archéologique. Il est difficile d’avoir deux versions vraiment différentes de l’article et de juger laquelle est la meilleure, car l’évolution de l’article fonctionne de manière linéaire, par petits ajouts. La démarche de rédaction collaborative est simpliste, et cela pour de nombreuses raisons. Les articles de fond et les points de vue argumentés, qui font la caractéristique de l’Encylopaedia Universalis par exemple, sont difficilement concevables sur Wikipedia. Il y a des choses que l’on ne peut pas dire, aussi bien pour des raisons techniques que pour des raisons réglementaires, ce qui est à la fois salutaire et réducteur. Rien ne dit que les premières versions soient pourvues d’une structure suffisamment intelligente pour prendre en compte tous les aspects souhaitables d’un article.


Nous avons pris le temps d'interroger des personnes qui contribuent régulièrement à Wikipedia, de nous y essayer nous-mêmes, et de recueillir divers témoignages sur le Web. Nous avons recherché l'objectivité dans l'analyse. Il serait absurde de penser que nous ne croyons pas à la "neutralité", au moins comme idéal : nous avons ici la même conviction que Patrice Letourneau. Celui qui veut comprendre doit nécessairement croire à cet idéal, s'il veut faire taire les préjugés et comprendre son objet. En revanche, nous avons émis quelques doutes sur la capacité de Wikipedia à atteindre cet idéal. Nous avons choisi l'exemple de l'article "Wal-Mart", assez caricatural. Récemment, comme le rappelle Patrice Létourneau, une polémique a entouré les sénateurs américains, qui auraient écrit ou modifié les articles de Wikipedia à leur avantage6. Est-ce que ces exemples sont des exceptions ? Est-ce que l'on ne devrait pas y voir les cas limites de ce qui se passe en général ? La question reste ouverte. Il n'est pas sûr que le contrôle mutuel exercé par les auteurs soit la meilleure voie pour atteindre l'idéal de la neutralité. Il faut en tout cas poser la question. Nous avons essayé de dégager les racines philosophiques et historiques de cette conviction, en la rattachant entre autres au courant du libéralisme.
Nous pensons que l'objectivité reste hors de portée, si l’on n’a pas l'habitude d'exercer leur jugement critique à l'égard d'eux-mêmes. La discussion sur les lieux de débat, à côté de l’article, ne suffit pas, car elle risque de confirmer certaines personnes dans leurs convictions et de les rendre acharnées. Il faut dès lors poser la question : l'objectivité peut-elle être réalisée mécaniquement par un processus comparable à un processus de marché, où les intentions des acteurs finissent par s’équilibrer ? Nous ne devons pas confondre la force du plus fort et celle de l'opinion dominante avec l'exigence de compréhension.
Ce problème n’est pas spécifique à «l’encyclopédie libre». Nous jugeons très favorablement bon nombre d'articles en ligne sur Wikipedia, surtout en langue anglaise : ces résultats semblent donner partiellement raison à la théorie du contrôle mutuel. Nous restons toutefois dans l'interrogation et parfois dans l'expectative.
Si nous parlons du relativisme, comme l'une des sources du phénomène Wikipedia, c'est aussi parce que sur l'encyclopédie, c'est celui qui a écrit le dernier qui a raison. Qu'est-ce qui nous assure, sinon notre jugement personnel, qu'un article est proche de la neutralité recherchée ? On ne peut écarter l'hypothèse que tel ou tel article soit a priori contrôlé par tel ou tel groupe d'activistes – regardez en ce moment l’article « Julius Evola » en langue française... On ne peut écarter non plus l'hypothèse que la majorité des auteurs de Wikipedia ne soit pas "neutre", mais animée dans son ensemble par l’ambition consciente ou inconsciente de faire triompher un point de vue dominant, représentatif ou pas de la société dans son ensemble, et peut-être très éloigné de ce qu'on appelle la connaissance. Les errements collectifs ne sont pas rares... Nous maintenons notre analyse, selon laquelle Wikipedia fait droit au relativisme.

A l'origine de cet article, il y avait le constat selon lequel peu d'efforts ont été accomplis pour comprendre ce qui se passe en ce moment avec Wikipedia. L'une des réactions à notre article, celle de Delphine Ménard, dit : "Malgré un certain nombre de communications sur le sujet, Wikimedia doit effectivement apprendre à mieux communiquer". Certes, toute institution doit communiquer avec efficacité et persévérance pour améliorer son image. Il revient cependant aux individus qui ne veulent pas être dupes de la communication de s'engager eux-mêmes, vis-à-vis de leur conscience, et avec leur seule intelligence pour guides, pour comprendre à quoi ils ont affaire. Cette tâche peut sans doute être appelée philosophie, même si elle n'est en rien réservée aux philosophes.
Pourquoi vouloir comprendre, alors qu'il est beaucoup plus enthousiasmant de participer ? Florence Nibard-Devouart est membre du conseil d'administration de la Fondation Wikimedia, et nous l’en félicitons. Florence Nibard-Delvouart invoque le souci de la factualité, assurément très louable pour une encyclopédie. Toutefois, la factualité à elle seule pourrait nous faire oublier la culture, qui représente le sens ultime d'une encyclopédie. Il ne s’agit pas seulement d'exposer le savoir, mais d'oeuvrer à la culture, qui a le sens d'une formation générale de l'esprit à partir de matériaux choisis. C'est ce que les Grecs entendaient sans doute par le mot paideia, et que Rabelais avait sans doute à l'esprit lorsqu'il forgea le mot "encyclopédie". Un esprit a aussi besoin d’outils pour tirer parti des faits. Un esprit qui n’aurait que des faits en tête n’est rien. Ce serait une forme de mémoire, un âne qui se contenterait de gonfler. Qu’en est-il lorsqu’il s’agit de lier les données entre elles ? De les interpréter ? De décider de leur importance ? L’organisation de Wikipedia fonctionne par liens hypertextes. Le lien hypertexte est neutre. Il n’est pas possible d’y introduire un sens plus important que le simple saut d’une page à une autre. La démarche de Wikipedia, conforme à l’esprit d’Internet, est une démarche absolument horizontale. En raison de la multiplicité des liens hypertextes, on peut choisir son parcours ; nulle page ne propose un parcours guidé, tracé à l’image d’un plan de cours. C’est pourquoi nous avons souligné que Wikipedia est adaptée à la recherche immédiate d’informations, étant en revanche inapte à fournir davantage que des paquets d’information. Certains disent, comme Socrate, que mieux vaut ne pas savoir que de mal savoir, ou de croire que l’on sait. Wikipedia est un instrument fantastique à la portée de tous, et pourtant nous déconseillons de travailler seul sur la plupart des notions, qui peuvent être mal introduites et faire prendre de mauvais plis à la pensée.
Une encyclopédie se doit non seulement de présenter des faits, mais aussi de proposer une démarche d’introduction à l’absorption sans limites des faits – ce que l’on appelle pédagogie.


Les réactions de Florence Nibard-Devouart nous montrent que le conseil d'administration de la Fondation Wikimedia, sise à Tampa en Floride, ne maîtrise pas grand chose de l’évolution de l’encyclopédie dont elle a théoriquement la charge. Ce n'est pas une critique, c'est un constat. On lit en effet sous sa plume que "l'auteur ferait bien de s'inspirer de Wikimedia en terme de factualité. Chez nous, les "il est à prévoir" ou "des services seront certainement..." ou "dans un avenir proche" ne sont pas les bienvenus. Actuellement, Yahoo ! ne prévoit rien de particulier."
Il existe beaucoup de belles choses qui se sont sans que l'on y pense, presque naturellement, comme la mer sculpte des morceaux de bois au point de les faire ressembler parfois à de magnifiques œuvres d’art. Cependant, il n'est pas raisonnable de se bander les yeux et de refuser toute interrogation sur le sens de ce que l'on fait : nous ne pouvons croire que la Fondation Wikimedia ait totalement renoncé à prévoir.
S'interroger sur le sens, c'est littéralement se demander où l'on va.
La Fondation peut-elle se contenter de gérer au jour le jour un processus spontané ? Cette attitude, nous l’avons dit, s’explique aussi par le manque de moyens financiers. C'est une attitude à la fois irresponsable et proche de la vie elle-même : les multiples interactions constitutives de la vie font que l’être conscient et volontaire ne possèdera sur ce processus qu’une maîtrise assez limitée.
Comment peut-on écrire toutefois que "Yahoo ne prévoit rien de particulier" ? Certes, nous ne connaissons pas les intentions de Yahoo!, malgré les indices que nous donnons avec les rachats récents de Flickr et de Del.icio. Nous donnons aussi quelques avertissements au sujet des appétits que les quatre milliards de pages de Wikipedia ne manquent pas de susciter. Plusieurs milliards de pages, cela veut dire éventuellement plusieurs millions de revenus avec de la publicité, et des moyens conséquents à portée de main pour la réalisation de projets.
Les sociétés comme Yahoo! sont quant à elles obligées de prévoir ou du moins d'anticiper : faire comme si ces sociétés respecteraient par principe la logique propre de Wikipedia relève de l'angélisme. Les logiques d'appropriations que nous évoquons n'ont d'ailleurs pas Yahoo! comme cible particulière. Ce sont des logiques et des tentations propres au fonctionnement général de notre économie, des comportements usuels, humains, profondément enracinés en nous, voire des nécessités vitales au projet lui-même. Aussi rappelons-nous la fragilité relative du communisme de Wikipedia face à ces appétits très puissants, qu'il s'agisse de sociétés souvent retorses et cyniques (question de survie) ou d'experts qui souhaiteraient éventuellement "valider" le contenu de l'encyclopédie (question de notoriété). Historiquement, on peut dire que le communisme ne s’est jamais matérialisé en système durable. Peut-être aura-t-il plus de chances avec des biens immatériels ?

Puisque la Fondation ne maîtrise presque rien du destin de l'encyclopédie libre, on aurait affaire à un processus sans sujet, c'est-à-dire sans organe de direction, sans communauté identifiable non plus, puisque tout le monde peut participer - et sans personne pour réfléchir sur ce qui se passe. Voilà un élément à méditer, dont nous n'aurions pas assez perçu l'importance sans les réactions. C’est peut-être ce qui distingue le communisme de Wikipedia d’autres formes de communisme historiques. Il nous faut ici constater que les Wikipedistes sont convaincus que le sens de leur démarche va de soi, et qu’ils peuvent forger un Web à l’image de l’encyclopédie libre. Beaucoup plus que les faits, ce sont les démarches qui importent. On aurait beau savoir toutes les définitions du Petit Robert, ce n’est pas pour autant que l’on saurait parler français. C’est pourquoi nous préférons miser sur le jugement que sur le savoir. Face à cette démarche difficile, la self-confidence américaine a des avantages et des inconvénients. Les inconvénients que nous venons d’énoncer deviennent de plus en plus visibles à mesure que Wikipedia grossit, monte dans le ranking et instaure peu à peu un monopole sur le « savoir ».

Faut-il regretter que notre article ne soit pas modifiable par les lecteurs ? Les lecteurs ne peuvent pas modifier ce qui les dérange et ce qui ne correspond pas à leur point de vue. Nous estimons que cette résistance du texte à l'opinion du lecteur est profitable, voire salutaire. Nous en voulons pour preuve les réactions elles-mêmes. Florence Nibart-Devouard écrit en effet à la fin de sa lettre : "Je crois que plus de quatre ans de Wikipedia m'ont contaminée7". Delphine Ménard, quant à elle, précise au début de sa lettre : "J'aime bien, en lisant des critiques dans le premier sens du terme ( "capacité de l'esprit à juger un être, une chose, à sa juste valeur, après avoir discerné ses mérites et ses défauts, ses qualités et ses imperfections") de Wikipedia, apprendre des choses que je ne savais pas, ou entendre confirmer des choses que je savais déjà8." Delphine Ménard rappelle ici avec intelligence le sens de la critique, juste évaluation de l'objet que l'on examine. Cependant, il ne s'agit pas seulement d'apprendre ou de confirmer ce que l'on sait. Ce que nous avons écrit sur Wikipedia vise le savoir en un autre sens, le savoir que l'on acquiert de haute lutte en exerçant son jugement, en écartant les préjugés qui se bousculent au portillon, les discours tout préparés et les directions dans lesquelles on aimerait bien aller, pour mettre fin rapidement aux problèmes. Le savoir n’est pas un contenu stable et directement assimilable.

Florence Nibart-Devouard se croit attaquée lorsque nous écrivons que les "voyages" ont coûté plus cher que prévu9. Ce n'était nullement notre intention ! Nous sommes admiratifs que tant de choses sur Wikipedia se fassent avec si peu de moyens. L'expérience de l'Encyclopédie de l'Agora est tout à fait semblable : jamais aussi peu de ressources financières n'ont porté un projet capable de rendre accessibles autant de contenus culturels à autant de personnes.

Ceux qui oeuvrent pour laisser en libre accès des contenus de qualité ne devraient-ils pas être unis par un sentiment de fraternité ? Nous ne pouvons que féliciter les personnes investies dans Wikipedia d'avoir déjà employé une partie de leur temps, de leur intelligence et de leur énergie, pour les lumières de tous.

Marc Foglia et Chang Wa Huynh, juin 2006




Notes

1. Par souci de transparance, nous publions ici le message qui nous a été adressé par Patrice Létourneau.


Bonjour Monsieur Foglia,

Par souci de transparence, je tenais à vous informer que j'ai réagi brièvement à votre article intitulé « Wikipédia : principes et perspectives » (L'Encyclopédie de L'Agora, mai 2006).  C'est qu'à la lecture de votre article, plusieurs de vos interprétations m'ont semblé hautement problématiques.  Comprenez bien que si cela avait été présenté comme un texte d'humeur, j'aurais jugé cela différemment.  Mais s'agissant d'un article qui se veut « de fond » et qui se retrouve sur L'Encyclopédie de L'Agora, j'ai cru bon de relever certains de ces aspects interprétatifs problématiques –  en plus d'indiquer un lien vers un texte de Florence Nibart-Devouard, où elle relève des erreurs factuelles contenues dans votre article.  Par ailleurs, veillez noter que Delphine Ménard a, elle aussi, formulé un commentaire critique fort pertinent au sujet de votre article – un commentaire critique que je vous invite à lire.

Vous pouvez lire ces deux commentaires, respectivement aux adresses suivantes :

http://carnets.opossum.ca/patriceletourneau/archives/2006/05/lencyclopedie_d.html

http://notablog.notafish.com/index.php/2006/05/25/101-perspectives-mises-en-perspective

Je ne sais si, par souci d'honnêteté envers vos lecteurs, il serait de mise d'indiquer à la fin de votre article un lien vers ces commentaires.  En revanche, il me semble certain que les erreurs factuelles devraient être corrigées.

Si je peux me permettre, j'ajouterais que ce type d'événement est plutôt de nature à témoigner, à mes yeux, de la pertinence que peut revêtir l'accessibilité (pour ne pas dire la démocratisation) des outils de publication Web.

Cordialement,
Patrice Létourneau

Voici également l'adresse du courriel envoyé par Florence Nibart-Devouard :
http://mail.wikipedia.org/pipermail/wikifr-l/2006-may/005132.html
On lira aussi avec intérêt Patrice Letourneau, expliquant pourquoi il a choisi de renforcer la GNU Free Documentation License par une formule de Creative Commons.

2. in USA Today, 29 nov. 2005http://www.usatoday.com/news/opinion/editorials/2005-11-29-wikipedia-edit_x.htm
3. in Le Devoir, 10 nov. 2005
http://www.ledevoir.com/2005/01/10/72213.html
4. Wikipedia : "propriété intellectuelle des pages"
5. Voir Wikipedia : "Ownership of articles". On y lit encore qu'il existe un "legal ownership of the text"... mais aussi : "Since no one "owns" any part of any article, if you create or edit an article, you should not sign". Peut-être serions-nous plus éclairés après un passage de quelques années à la Havard Law School.
6. http://en.wikipedia.org/wiki/wikipedia:wikipedia_signpost/2006-01-30/congressional_astroturfing
7. http://mail.wikipedia.org/pipermail/wikifr-l/2006-may/005132.html
8. http://notablog.notafish.com/index.php/2006/05/25/101-perspectives-mises-en-perspective
9. http://mail.wikipedia.org/pipermail/wikifr-l/2006-may/005132.html

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