Ambiguïté de l'échec

Gustave Thibon
Dans l'ordre moral, il faut transformer l'échec en épreuve.
Métaphysique de l'échec. - Nietzsche: ? C'est signe de bassesse de se repentir d'un échec.? Hugo : ? Pour les vaincus la lutte est un grand bonheur triste/ Qu'il faut continuer le plus longtemps qu'on peut. ? - Tout dépend du niveau où se situe l'échec. Plus il s'agit de réalités matérielles où les résultats de l'action sont vérifiables par la plus grossière expérience, plus l'échec est la sanction absolue de l'erreur et l'indice infaillible qu'on ne doit pas persévérer. Que penser par exemple d'un maçon ou d'un médecin qui, instruits par l'expérience, s'obstineraient, le premier à construire des maisons sur un terrain mouvant et le second à prescrire des remèdes dont il aurait constaté la nocivité ? - Plus on s'élève au contraire dans l'échelle des réalités et des valeurs, moins le critère de l'échec apparent et immédiat revêt d'importance. Plus encore, l'échec se présente comme une invitation à poursuivre une marche qui, d'obstacle en obstacle, conduit vers des profondeurs inconnues. Telles sont les épreuves de l'amour humain ou de la foi religieuse : l'échec apparent y est signe d'une crise, d'un mal, et non d'une erreur irréparable.

Ce qui me frappe, c'est l'inversion des niveaux où s'exerce la persévérance après l'échec. Des hommes politiques par exemple, tels que, pendant soixante-dix ans, les dirigeants de l'empire soviétique, se sont obstinés à rester fidèles à des principes qui, depuis près d'un siècle, ont fait leurs preuves négatives, alors que tant d'amants ou tant de croyants renient leur amour ou leur foi dès la première épreuve. Là où l'échec nous enjoint de renoncer, obstination absurde; là où il nous invite à la fidélité héroïque, lâche refus de persévérer.
En résumé : dans l'unidimensionnel, l'échec est signe qu'on doit changer de direction; dans le pluridimensionnel (les choses de l'âme et de Dieu ... ), c'est une exhortation, non à reculer, mais à changer de niveau, à passer de la marche à l'envol...

Critère de discernement: plus l'objet désiré débouche sur l'inconnu et sur le mystère (l'amour, la beauté, le sacré ... ), moins l'échec doit être dissuasif ; plus au contraire il s'agit de choses terrestres, matérielles et objets de sciences à peu près exactes, plus l'échec commande un changement d'orientation et plus la fidélité relève de l'utopie, au pire sens du mot: errare humanum, perseverare diabolicum. Deux exemples extrêmes: s'obstiner à prier à travers l'épaisseur du silence de Dieu et des prières inexaucées et s'acharner à pêcher dans une rivière dont l'observation a prouvé qu'aucun poisson ne l'habite...

Autres articles associés à ce dossier

À lire également du même auteur

Œdipe ou l’homme libre qui s’accuse quand il aurait des excuses.
Dans une humanité surdéterminée par les hormomes, les gènes, l’inconscient, la misère, une telle liberté ressemble à un acte de

L'oubli de la vie
Ne pas mourir est une chose. Vivre en est une autre. Nous entrons dans une ère où l'homme cultive et multiplie tous les moyens de ne pas mourir (médecine, confort, assurances, distractions), tout ce qui permet d'étirer ou de supporter l'existence dans le temps, mais non pas de vivre, car

Vie urbaine et surmenage affectif
Qui trop embrasse mal étreint. Cela est vrai aussi dans l'ordre des sentiments. Il n'est pas plus possible à un homme de répondre à toutes les excitations affectives que d'apprendre toutes les sciences ou de faire tous les métiers.Or, quel spectacle nous offrent les milieux urbains mo




L'Agora - Textes récents

  • Vient de paraître

    Lever le rideau, de Nicolas Bourdon, chez Liber

    Notre collaborateur, Nicolas Bourdon, vient de publier Lever de rideau, son premier recueil de nouvelles. Douze nouvelles qui sont enracinées, pour la plupart, dans la réalité montréalaise. On y retrouve un sens de la beauté et un humour subtil, souvent pince-sans-rire, qui permettent à l’auteur de nous faire réfléchir en douceur sur les multiples obstacles au bonheur qui parsèment toute vie normale.

  • La nouvelle Charte des valeurs de Monsieur Drainville

    Marc Chevrier
    Le gouvernement pourrait décider de ressusciter l'étude du projet de loi 94 déposé par le ministre de l'Éducation, Bernard Drainville. Le projet de loi 94 essaie d’endiguer, dans l’organisation scolaire publique québécoise, toute manifestation du religieux ou de tout comportement ou opinion qui semblerait mû par la conviction ou la croyance religieuse.

  • Billets de Jacques Dufresne

    J'ai peur – Jour de la Terre, le pape François, Pâques, les abeilles – «This is ours»: un Texan à propos de l'eau du Canada – Journée des femmes : Hypatie – Tarifs etc: économistes, éclairez-moi ! – Musk : danger d'être plus riche que le roi – Zelensky ou l'humiliation-spectacle – Le christianisme a-t-il un avenir?

  • Majorité silencieuse

    Daniel Laguitton
    2024 est une année record pour le nombre de personnes appelées à voter, mais c'est malheureusement aussi l’année où l'abstentionnisme aura mis la démocratie sur la liste des espèces menacées.

  • De Pierre Teilhard de Chardin à Thomas Berry : un post-teilhardisme nécessaire

    Daniel Laguitton
    Un post-teilhardisme s'impose devant l'évidence des ravages physiques et spirituels de l'ère industrielle. L'écologie intégrale exposée dans les ouvrages de l'écothéologien Thomas Berry donne un cadre à ce post-teilhardisme.

  • Réflexions critiques sur J.D. Vance du point de vue du néothomisme québécois

    Georges-Rémy Fortin
    Les propos de J.D. Vance sur l'ordo amoris chrétien ne sont somme toute qu'une trop brève référence à une théorie complexe. Ce mince verni intellectuel ne peut cacher un mépris égal pour l'humanité et pour la philosophie classique.

  • François, pape de l’Occident lointain

    Marc Chevrier
    Selon plusieurs, François a été un pape non occidental parce qu'il venait d'Amérique latine. Ah bon ? Cette Amérique se tiendrait hors de l'Occident ?

  • L'athéisme, religion des puissants

    Yan Barcelo
    L’athéisme peut-il être moral? Certainement. Peut-il fonder une morale? Moins certain, car l’athéisme porte en lui-même les semences de la négation de toute moralité.

  • Entre le bien et le mal

    Nicolas Bourdon
    Une journée d’octobre splendide, alors que je revenais de la pêche, Jermyn me fit signe d’arrêter. « Attends ! J&

  • Le racisme imaginaire

    Marc Chevrier
    À propos des ouvrages de Yannick Lacroix, Erreur de diagnostic et de François Charbonneau, L'affaire Cannon

  • Le capitalisme de la finitude selon Arnaud Orain

    Georges-Rémy Fortin
    Nous sommes entrés dans l'ère du capitalisme de la finitude. C'est du moins la thèse que Arnaud Orain dans son récent ouvrage, Le monde confisqué