La rentrée au séminaire

Joseph-Edmond Roy
La cloche sonne. Il est six heures. C'est le signal de la rentrée. Les grands se séparent des petits. Chacun se dirige vers sa salle de récréation. Les maîtres de salle se promènent de long et de large et cherchent à connaître les nouveaux arrivés. Les ombres du soir commencent à descendre sur les cours.

Les portes se ferment. Le régiment est caserné pour dix longs mois. Ô vous, qui entrez, laissez toute espérance, ne manquaient pas de dire alors les anciens, endurcis, qui voulaient faire leurs savants en citant les parole que Dante a inscrites au seuil de son Enfer: Lasciate ogni speranza. Mais les nouveaux, peu sensibles aux charmes classiques, commençaient en ce moment à saisir l'isolement dans lequel ils se trouvaient. Quel écolier, encore à ses premières armes, n'a pas éprouvé la nostalgie du logis? La crainte du ridicule fait refouler au fond du cœur les larmes qui montent involontairement aux yeux. On essaye de se raidir contre ce mal inconnu, mais c'est en vain, les sanglots étouffent la gorge. Les plus braves attendent jusqu'à la nuit pour pleurer tout leur saoûl (sic), dans leur lit, des larmes silencieuses jusqu'à ce qu'un sommeil réparateur vienne faire oublier les émotions de la journée.

Le lendemain, commence la routine régulière. Le lever, la prière, l'étude, les classes, les récréations se suivent et se ressemblent. Les connaissances se nouent, les groupes se forment. Il faut quelque temps aux jeunes poussins pour s'apprivoiser à la cage et régler leur volée au son de la cloche, mais au bout d'une semaine cela n'y paraît plus. Il n'y a pas besoin de bien longs entretiens entre écoliers pour apprendre à s'apprécier mutuellement. En très peu de temps, les connaissances se font et l'on est bientôt à l'aise les uns avec les autres. Ce n'est que lorsque nous avons puisé la dissimulation dans le commerce du monde que nous apprenons à cacher notre caractère, à le dérober aux observations et à déguiser nos véritables sentiments à ceux avec qui nous sommes en relation. Telle n'est pas la naïve et confiante jeunesse.

J'ai connu des collèges où les anciens faisaient subir aux nouveaux une véritable initiation de loges maçonniques, où les grands ne perdaient pas une occasion de maltraiter les petits.

Il ne s'agit pas ici de faire le procès à une éducation plutôt qu'à une autre: j'expose des faits: je dis ce que j'ai vu des rapports entre élèves, entre forts et faibles.

Que de misères ces pauvres novices, timorés et dépaysés, devaient endurer avant d'être admis dans les cercles. A celui-ci, on cachait sa lingerie, à cet autre on donnait la bascule; un troisième recevait gravement l'instruction d'aller chercher le chiar chez le directeur. Je ne finirais plus s'il fallait dire toutes les mystifications dont ces pauvres petits nouveaux étaient les victimes.

D'où vient cette coutume? Je serais bien en peine de le dire, mais on trouve quelque chose d'analogue dans la marine et dans les grands collèges d'Europe et des Etats-Unis...

Dans certains collèges, de mon temps, on considérait ces amusements comme inoffensifs, c'était l'histoire de rire un moment. Mais je me suis toujours demandé pourquoi l'on permettait ces charges à l'adresse des nouveaux. N'était-ce pas un abus révoltant, de nature souvent à jeter le découragement dans les âmes timides?

Ah! ces pauvres nouveaux, comme, une fois seuls dans leurs lits, ils versaient des larmes de colère au souvenir des humiliations de la journée et comme ils regrettaient la maison paternelle!

Au séminaire de Québec, la brimade était chose inconnue, ou si quelque élève prenait quelquefois un malin plaisir à mystifier un nouveau, il le faisait à l'insu des maîtres car autrement il aurait été sévèrement réprimandé.

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