Description des races de chevaux

Description des principales races de chevaux connues au XVIe siècle, par le grand naturaliste Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon. Il y est question des chevaux barbes, des races arabes, anglaises, espagnoles, italiennes, françaises, allemandes, scandinaves et néerlandaises. Extrait du tome quatrième de l'Histoire naturelle.
Dans tous les animaux, chaque espèce est variée suivant les différents climats, et les résultats généraux de ces variétés forment et constituent les différentes races, dont nous ne pouvons saisir que celles qui sont les plus marquées, c'est-à-dire celles qui différent sensiblement les une des autres, en négligeant toutes les nuances intermédiaires qui sont ici, comme en tout infinies. Nous en avons même encore augmenté le nombre et la confusion en favorisant le mélange de ces races, et nous avons pour ainsi dire, brusqué la nature en amenant dans ces climats des chevaux d'Afrique et d'Asie; nous avons rendu méconnaissables les races primitives de France, en y introduisant des chevaux de tout pays: et il ne nous reste, pour distinguer les chevaux, que quelques légers caractères, produit par l'influence actuelle du climat. Ces caractères seraient bien plus marqués et les différences seraient bien plus sensibles, si les races de chaque climat s'y fussent conservées sans mélange: les petites variétés auraient été moins nuancées, moins nombreuses; mais il y aurait eu un certain nombre de grandes variétés bien caractérisées, que tout le monde aurait aisément distinguées; au lieu qu'il faut de l'habitude, et même une assez longue expérience, pour connaître les chevaux des différents pays. Nous n'avons sur cela que les lumières que nous avons pu tirer des livres des voyageurs, des plus habiles écuyers, tels que MM. Newcastle, de Garsault, de la Guérinière, etc., et de quelques remarques que M. de Pignerollas, écuyer du roi, et chef de l'Académie d'Angers, a eu la bonté de nous communiquer.


Les chevaux arabes sont les plus beaux que l'on connaisse en Europe; ils sont plus grands et plus étoffés que les barbes, et tout aussi bien faits, mais comme il en vient rarement en France, les écuyers n'ont pas d'observations détaillées de leurs perfections et de leurs défauts.

Les chevaux barbes sont plus «communs ils ont l'encolure longue, fine, peu chargée de crins et bien sortie du garrot; la tête belle, petite, et assez ordinairement moutonnée; l'oreille belle et bien placée, les épaules légères et plates, le garrot mince et bien relevé, les reins courts et droits, le flanc et les côtes rondes sans trop de ventre, les hanches bien effacées, la croupe le plus souvent un peu longue, et la queue placée un peu plus haut, la cuisse bien formée et rarement plate, les jambes belles, bien faites, et sans poil, le nerf bien détaché, le pied bien fait, mais souvent le paturon long. On en voit de tous poils, mais plus communément de gris. Les barbes ont un peu de négligence dans leur allure; ils ont besoin d'être recherchés, et on leur trouve beaucoup de vitesse et de nerf: ils sont fort légers, et très propres à la course. Ces chevaux paraissent être les plus propres pour en tirer race: il serait seulement à souhaiter qu'ils fussent de plus grande taille; les plus grands sont de quatre pieds huit pouces, et il est rare d'en trouver qui aient quatre pieds neuf pouces. Il est confirmé par expérience qu'en France, en Angleterre, etc., ils engendrent des poulains plus grands qu'eux. On prétend que parmi les barbes, ceux du royaume de Maroc sont les meilleurs, ensuite les barbes de montagne; ceux du reste de la Mauritanie sont au dessous, aussi bien que ceux de Turquie, de Perse et d'Arménie. Tous ces chevaux des pays chauds ont le poil plus ras que les autres. Les chevaux turcs ne sont pas si bien proportionnés que les barbes: ils ont pour l'ordinaire l'encolure effilée, le corps long, les jambes trop menues; cependant ils sont grands travailleurs et de longue haleine. On n'en sera pas étonné, si on fait attention que dans les pays chauds les os des animaux sont plus durs que dans les climats froids; et c'est par cette raison que, quoiqu'ils aient le canon plus menu que ceux de ce pays-ci, ils ont cependant plus de force dans les jambes.

Les chevaux d'Espagne, qui tiennent le second rang après les barbes, ont l'encolure longue, épaisse, et beaucoup de crins, la tête un peu grosse, et quelquefois moutonnée; les oreilles longues, mais bien placées; les yeux pleins de feu; l'air noble et fier, les épaules épaisses, et le poitrail large, les reins assez souvent un peu bas; la côte ronde, et souvent un peu trop de ventre; la croupe ordinairement ronde et large, quoique quelques-uns l'aient un peu longue; les jambes belles et sans poil; le nerf bien détaché; le pâturon quelquefois un peu long, comme les barbes; le pied un peu allongé, comme celui d'un mulet, et souvent le talon trop haut. Les chevaux d'Espagne de belle race sont épais, bien étoffés, bas de terre; ils ont aussi beaucoup de mouvement dans leur démarche, beaucoup de souplesse, de feu et de fierté: leur poil le plus ordinaire est noir ou bai marron, quoiqu'il y en ait quelques-uns de toutes sortes de poil. Ils ont très rarement des jambes blanches et des nez blancs: les Espagnols, qui ont de l'aversion pour ces marques, ne tirent point race des chevaux qui les ont; ils ne veulent qu'une étoile au front; ils estiment même le chevaux zains autant que nous les méprisons. L'un et l'autre de ces préjugés, quoique contraires, sont peut-être tout aussi mal fondés puisqu'il se trouve de très bons chevaux avec toutes sortes de marques, et de même d'excellents chevaux qui sont zains. Cette petite différence dans la robe d'un cheval ne semble en aucune façon dépendre de son naturel ou de sa constitution inférieure, puisqu'elle dépend en effet d'une qualité extérieure et si superficielle, que par une légère blessure dans la peau on produit une tâche blanche. Au reste, les chevaux d'Espagne, zains ou autres, sont tous marqués à la caisse, hors le montoir, du haras d'où ils sont sortis. Ils ne sont pas communément de grande taille; cependant on en trouve quelques-uns de quatre pieds neuf ou dix pouces. Ceux de la haute Andalousie passent pour être les meilleurs de tous, quoiqu'ils soient assez sujets à avoir la tête trop longue, mais on leur fait grâce de ce défaut en faveur de leurs rares qualités: ils ont du courage, de l'obéissance, de la grâce, de la fierté, et plus de souplesse que les barbes : c'est par tous ces avantages qu'on les préfère à tous les autres chevaux du monde, pour la guerre, pour la pompe, et pour le manège.

Les plus beaux chevaux anglais sont, pour la conformation, assez semblables aux arabes, dont ils sortent en effet: ils ont cependant la tête plus grande, mais bien faite et moutonnée, les oreilles plus longues, mais bien placées. Par les oreilles seules on pourrait distinguer un cheval anglais d'un cheval barbe; mais la grande différence est dans la taille: les anglais sont bien étoffés et beaucoup plus grands on en trouve communément de quatre pieds dix pouces, et même de cinq pieds de hauteur. Il y en a de tous poils et de toutes marques. Ils sont généralement forts, vigoureux, hardis, capables d'une grande fatigue, excellents pour la chasse et la course; mais il leur manque la grâce et la souplesse; ils sont durs, et ont peu de liberté dans les épaules.

On parle souvent de courses de chevaux en Angleterre, et il y a des gens extrêmement habiles dans cette espèce d'art gymnastique. Pour en donner une idée, je ne puis mieux faire que de rapporter ce qu'un homme respectable, que j'ai déjà eu occasion de citer, m'a écrit de Londres le 18 février 1748. M. Thornhill, maître de poste à Stilton, fit gageure de courir à cheval trois fois de suite le chemin de Stilton à Londres, c'est-à-dire de faire deux cent quinze milles d'Angleterre (environ soixante-douze lieues de France) en quinze heures. Le 29 avril 1745, il se mit en course, partit de Stilton, fit la première course jusqu'à Londres en trois heures cinquante-une minutes, et monta huit différents chevaux dans cette course; il repartit sur-le-champ, et fit la seconde course de Londres à Stilton en trois heures cinquante-deux minutes, et ne monta que six chevaux, il se servit pour la troisième course des mêmes chevaux qui lui avaient déjà servi dans les quatorze il en monta sept, et il acheva cette dernière course en trois heures quarante-neuf minutes; en sorte que non seulement il remplit la gageure qui était de faire ce chemin en quinze heures, mais il le fit en onze heures trente-deux minutes. Je doute que dans les jeux olympiques il se soit jamais fait une course si rapide que cette course de M. Thornhill.

Les chevaux d'Italie étaient autrefois plus beaux qu'ils ne le sont aujourd'hui, parce que depuis un certain temps on y a négligé les haras; cependant il se trouve encore de beaux chevaux napolitains, surtout pour les attelages; mais en général ils ont la tête grosse et l'encolure épaisse; ils sont indociles, et par conséquent difficiles à dresser. Ces défauts sont compensés par la richesse de leur taille, par leur fierté, et par la beauté de leur mouvements. Ils sont excellents pour l'appareil, et ont beaucoup de dispositions à piaffer.

Les chevaux danois sont de si belle taille et si étoffés, qu'on les préfère à tous les autres pour en faire des attelages. Il y en a de parfaitement bien moulés, mais en petit nombre; car le plus souvent ces chevaux n'ont pas une conformation fort régulière. La plupart ont l'encolure épaisse, les épaules grosses, les reins un peu longs et bas, la croupe trop étroite pour l'épaisseur du devant; mais ils ont toujours de beaux mouvements, et en général ils sont très bons pour la guerre et pour l'appareil. Ils sont de tous poils; et même les poils singuliers, comme pie et tigre, ne se trouvent guère que dans les chevaux danois.

Il y a en Allemagne de fort beaux chevaux, mais en général ils sont pesants et ont peu d'haleine, quoiqu'ils viennent, pour la plupart, des chevaux turcs et barbe, dont on entretient les haras, aussi bien que de chevaux d'Espagne et d'Italie. Ils sont donc peu propres à la chasse et à la course de vitesse, au lieu que les chevaux hongrois, transsylvains, etc., sont au contraire légers et bons coureurs. Les housards et les Hongrois leurs fendent les naseaux, dans la vue. dit-on, de leur donner plus d'haleine, et pour les empêcher de hennir à la guerre. On prétend que les chevaux auxquels on a fendu les naseaux ne peuvent plus hennir. Je n'ai pas été a portée de vérifier ce fait; mais il me semble qu'ils doivent seulement hennir plus faiblement. On a remarqué que les chevaux hongrois, croates et polonais, sont fort sujets à être bégus.

Les chevaux de Hollande sont fort bons pour le carrosse, et ce sont ceux dont on se sert le plus communément en France. Les meilleurs viennent de la province de Frise; il y en a aussi de fort bons dans les pays de Bergues et de Juliers. Les chevaux flamands sont fort au dessous des chevaux de Hollande: ils ont presque tous la tête grosse, les pieds plats, les jambes sujettes aux eaux: et ces deux derniers défauts sont essentiels dans les chevaux de carrosse.

Il y a en France des chevaux de toute espèce, mais les beaux sont en petit nombre. Les meilleurs chevaux de selle viennent du Limousin: ils ressemblent assez aux barbes, et sont comme eux excellents pour la chasse, mais ils sont tardifs dans leur accroissement; il faut les ménager dans leur jeunesse, et même ne s'en servir qu'à l'âge de huit ans. Il y a aussi de très bons bidets en Auvergne, en Poitou, dans le Morvan, en Bourgogne; mais après le Limousin, c'est la Normandie qui fournit les plus beaux chevaux: ils ne sont pas si bons pour la chasse, mais ils sont meilleurs pour la guerre; ils sont plus étoffés et plus tôt formés. On tire de la basse Normandie et du Cotentin de très beaux chevaux de carrosse, qui ont plus de légèreté et de ressource que les chevaux de Hollande. La Franche-Comté et le Boulonnais fournissent de très bons chevaux de tirage.

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