Un contre-discours sur l’immigration au Québec

Yves Archambault

Conseiller au ministère de l’Immigration du Québec de 1992 à 2015, j’ai consigné dans un ouvrage  mes observations sur les pratiques et les orientations du ministère

Après une brève revue historique des politiques et orientations ministérielles en matière d’immigration et de francisation, j’y remets en question un certain discours « diversitaire » ambiant au ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI). La valorisation de l’apport des minorités ethniques à la société québécoise entraîne la mise en sourdine du rôle fondamental de la société d’accueil francophone. Celle-ci devrait pourtant constituer le véritable pôle de convergence culturelle, au-delà des quelques « valeurs communes ». Voilà le véritable sens à donner à l’intégration à la majorité francophone, à ne pas confondre avec l’assimilation.

J’aborde plus loin la question du volume et du mode de sélection de l’immigration permanente, plus précisément des immigrants travailleurs qualifiés (TQ), dont le Québec a la responsabilité. Plutôt que d’axer la détermination du volume annuel des TQ en fonction de la capacité réelle d’intégration de la société d’accueil, le Ministère s’ajuste essentiellement aux souhaits du monde des affaires. Les employeurs exercent une influence décisive dans la sélection des TQ, ce qui a pour effet de gonfler indûment le nombre d’immigrants admis.

Pour être accepté, tout candidat TQ à l’immigration doit atteindre un seuil d’admissibilité selon une grille de sélection. Cette grille comporte divers critères destinés à évaluer les compétences des candidats. Jusqu’à récemment, la plupart d’entre eux étaient convoqués à une entrevue de sélection dirigée par un conseiller ministériel, à l’étranger ou sur place. Rien de plus normal. Malheureusement, ces entrevues ont été abolies (sauf exceptions), au profit d’une sélection sur simple examen du dossier du candidat. Que dirait-on des employeurs québécois qui se contenteraient de lire les CV des candidats à des postes locaux à combler, sans même les rencontrer ?

La cerise sur le gâteau, c’est la pseudo-sélection des aides familiales résidentes (sous-catégorie des TQ), essentiellement des femmes philippines, unilingues anglophones. Celles-ci sont toutes sélectionnées par dérogation systématique du ministre, même si aucune n’atteint, loin s’en faut, le seuil d’admissibilité de la grille.

Par ailleurs, on assiste désormais à une augmentation fulgurante de l’immigration temporaire, sorte de voie express vers le statut d’immigrant permanent, au point de constituer la majorité des TQ reçus. Élément central de cette approche, le Programme d’expérience québécoise (PEQ) permet de sélectionner aisément des candidats déjà sur place au Québec comme travailleurs ou étudiants. Or ce programme a donné lieu à certaines dérives troublantes : des commissions scolaires anglo-montréalaises ont recruté des élèves en Chine pour gonfler les inscriptions dans leurs établissements et grossir artificiellement les rangs des candidats au PEQ.

Bref, le processus de sélection des TQ est devenu hyper-bureaucratisé et déshumanisé, tel une « machine à saucisses »!

En matière de francisation, l’offre ministérielle des cours de français s’est sensiblement redéployée au fil des ans. Elle est devenue accessible à une clientèle immigrante élargie, grâce notamment aux ententes avec les Alliances françaises. Toutefois, la durée insuffisante de la formation offerte ne permet pas à la majorité des étudiants de devenir fonctionnels en français. En outre, aucun suivi n’est effectué sur le cheminement ultérieur des ex-étudiants afin de vérifier s’ils mettent à profit leur apprentissage du français dans la vie courante. De plus, élément pourtant essentiel au renforcement des apprentissages, la promotion de l’usage du français ne figure pas dans les programmes ministériels.  

Enfin, la grande majorité des immigrants francotropes adoptent le français comme langue seconde (par transfert linguistique), alors que les immigrants anglotropes[1] optent massivement pour l’anglais. Globalement, la proportion de ces derniers excède nettement le poids relatif des anglophones dans la société d’accueil. Qu’on le veuille ou non, l’immigration tend donc  inexorablement à faire abaisser l’importance relative des francophones au Québec. C’est surtout le cas à Montréal et sa proche banlieue. Si bien que cette région devient inexorablement une « société distincte » au sein du Québec, ce qui est fort préoccupant.

 

Yves Archambault, « Immigration, intégration et francisation des immigrants au Québec : un contre-discours », Montréal, 2020. Disponible en versions papier et epub.

https://bouquinbec.ca/boutique/immigration-integration-et-francisation-des-immigrants-au-quebec-un-contre-discours.html

 

 

 

 


[1] Les francotropes regroupent les locuteurs de langue latines ou provenant de pays de la Francophonie internationale (Maghreb, Afrique Noire, etc). Les anglotropes comprennent les locuteurs provenant des pays du Commonwealth ou d’ex-colonies britanniques.

Extrait

Pour être accepté, tout candidat TQ à l’immigration doit atteindre un seuil d’admissibilité selon une grille de sélection. Cette grille comporte divers critères destinés à évaluer les compétences des candidats. Jusqu’à récemment, la plupart d’entre eux étaient convoqués à une entrevue de sélection dirigée par un conseiller ministériel, à l’étranger ou sur place. Rien de plus normal. Malheureusement, ces entrevues ont été abolies (sauf exceptions), au profit d’une sélection sur simple examen du dossier du candidat. Que dirait-on des employeurs québécois qui se contenteraient de lire les CV des candidats à des postes locaux à combler, sans même les rencontrer ?




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