Chopin Frédéric

01 / 03 / 1810-17 / 10 / 1849
«La gloire de Chopin est plus discrète que celle de Liszt, mais elle est peut-être plus étendue, et cela à cause de ses qualités de poésie et d'intimité. Qui de nous ne fut pas troublé par sa musique pénétrante, douloureuse, charmante et aristocratique? Qui de nous n'a pas subi l'envoûtement de cette musique sentimentale au sens le plus profond du mot? Poète-musicien, Chopin est le musicien des êtres sensibles et des poètes.

Né en Pologne, Chopin tient à la France par son origine paternelle. Mais il est polonais par son amour pour son pays et par ce qu'il en a exprimé dans sa musique. Sa Pologne, c'est la Pologne douloureuse conquise et partagée. C'est en pleurant sur elle qu'il compose ses premières oeuvres et l'une de ses plus belles Études pour piano, celle en ut mineur, est écrite sous l'inspiration de la prise de Varsovie. C'est pourquoi on l'appelle la Révolutionnaire.

Le destin de Chopin fut de vivre toujours à l'étranger. Son passeport, qu'il avait fait viser pour l'Angleterre, portait à tout hasard la mention: bon pour un séjour à Paris. Il devait y passer sa vie et y rencontrer la gloire, l'amour et la mort.

Sa gloire fut double: gloire de pianiste et gloire de compositeur. C'est le compositeur qui demeure, mais on sait par les témoignages du temps combien il fut extraordinaire comme pianiste. Son « toucher », sa sonorité, étaient jusqu'alors choses inconnues. Liszt passait des heures à l'écouter afin de surprendre les secrets de ce jeu exceptionnel, qui jamais ne fut brutal et qui savait rester pénétrant jusque dans les passages les plus doux. De même que Liszt, il fut un étonnant improvisateur et c'est souvent dans ces moments-là qu'il atteignait à la plus miraculeuse splendeur.

L'amour lui fut moins propice. Il est vrai qu'il fut personnifié pour lui par une terrible femme à écrire qui se nommait George Sand. Je n'éprouve guère de sympathie pour cette romancière qui a vidé son... cœur entier dans la littérature. Car enfin, cette femme de lettres a fait souffrir un grand poète, Musset, et un grand musicien, Chopin. C'est un beau tableau de chasse - sans compter les nombreux autres - pour une seule dame. Celle que Nietzsche a irrespectueusement nommée la « vache à écrire» et Rémy de Gourmont la «célèbre polyandre » avait une façon bien personnelle de comprendre l'amour. Le pauvre Chopin, qui le concevait surtout platoniquement, manqua périr dans les bras de ce monstre en jupon.

Si Chopin mourut phtisique, s'il fut toute sa vie de santé débile, sa musique n'est pas malade à la manière où on l'entend généralement. Il ne faut pas prendre pour de la maladie cette élégance naturelle qui était la sienne, cette discrétion, cette délicatesse aristocratique, ce dédain de la vulgarité, cette grâce légère, ondoyante et pénétrante, qui caractérisent sa musique. Sous cette fine enveloppe battait un cœur viril, héroïque et sublime. Il est souvent pathétique et grandiose, mais il ne brise jamais rien et il sait toujours où s'arrêter. Ses violences se replient sans cassures, avec souplesse, et ses mélodies, revêtues d'harmonies somptueuses, s'étirent en une continuité qui est un des miracles de la musique au XIXe siècle.

Chopin n'a bien écrit que pour le piano. Mais il l'a fait avec la marque authentique du génie. Son influence au cours du XIXe siècle a été aussi considérable que celle de Liszt, dans un ordre différent. Elle l'est encore et on sait, par exemple, que Debussy lui devait beaucoup de sa manière tendre et veloutée. On sait aussi que de bien grandes symphonies n'atteignent pas à la beauté, à la profondeur et à la poésie de la plus simple de ses Études ou de ses Mazurkas, aux rythmes si pénétrants et si évocateurs.»

Léo-Pol Morin, Musique, Montréal, Beauchemin, 1946

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