Eugénisme

Ce mot qui vient du grec eu (bien) et gennân (engendrer) signifie littéralement bien naître. Il fut employé pour la première fois dans ce sens par un cousin de Charles Darwin, le psychologue et physiologiste anglais Francis Galton. On note avec intérêt qu'avant de forger le mot eugenics Galton utilisait le mot viriculture pour désigner la “science” qu'il avait fondée. La pratique correspondante remonte toutefois aux Spartiates, qui éliminaient les enfants mal conformés. Platon lui-même a élaboré un programme de mariage eugénique. Plus tard, Thomas More et Campanella se préoccuperont du problème. En 1779, un médecin allemand, J. Peter, propose des mariages eugéniques dans son Système complet de police médicale.

Les origines de l'eugénisme moderne, scientifique, ne sont donc pas allemandes, comme plusieurs sont portés à le croire, en raison de la publicité ayant entouré les pratiques nazies, mais anglo-saxonnes. Dans ce cas, comme dans bien d'autres, les Nazis n'ont fait qu'appliquer, en les déformant jusqu'à l'horreur, des théories forgées ailleurs. C'est dans le monde anglo-saxon, où la tradition démocratique le mettait à l'abri de tout excès, que l'eugénisme a continué de se développer.

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Essentiel

Chesterton rattache l'eugénisme au protestantisme et plus précisément au calvinisme. La croyance en la prédestination, dit-il en substance, a créé un climat favorable à l'eugénisme. Puisque la destinée terrestre et éternelle de l'homme est déterminée à la naissance, tout ce qui précède cette dernière et peut l'améliorer revêt une importance singulière.

"Or tous les sociologues, eugénistes et autres, ne sont pas tant matérialistes que vaguement calvinistes. Ils sont tous préoccupés d'éduquer l'enfant avant sa naissance. [...] Ces Calvinistes concentrés ont supprimé quelques-unes des parties les plus libérales et universelles du Calvinisme, telle que la croyance en un ordre préconçu ou à une félicité éternelle. Mais bien que Mr Shaw et ses amis considèrent comme une superstition qu'un homme soit jugé après sa mort, ils s'accrochent à leur dogme central: qu'il est jugé avant sa naissance."

Source: G. K. Chesterton, Ce qui cloche dans le monde, Paris, Gallimard, 1948

Enjeux

Collectif l'eugénisme était une horreur, individualisé on dirait qu'il prend du chic.

Par Francine Mackenzie, présidente du Conseil du statut de la femme du Québec

"[...] Divers autres facteurs favorisent actuellement le développement d'un nouvel eugénisme, notamment les progrès récents en génétique et un certain retour aux sources du libéralisme. Même si la science-fiction s'est bien vite emparée de ses promesses, nul ne peut nier que la génétique constitue désormais une science sérieuse, par comparaison du moins avec la science de l'hérédité que prétendait avoir fondée Galton. La découverte de la structure de l'ADN à la fin des années cinquante aura été pour cette discipline l'équivalent de la théorie de la gravitation pour la physique. On sait de plus en plus de choses précises sur les mécanismes de transmission de la vie et des caractères héréditaires. On dispose d'autre part de techniques perfectionnées pour mettre ces connaissances en application. Par rapport aux techniciens qui peuvent aujourd'hui produire des embryons in vitro, les médecins et les biologistes du temps d'Hitler font figure de sorciers maladroits.

Les progrès de la génétique ont permis de relativiser, en en montrant la complexité, la plupart des phénomènes de transmission héréditaire; ils ont aussi permis de démythifier le concept de race; mais ils ont du même coup, paradoxalement, créé de nouvelles conditions favorables à l'eugénisme. Les fous voulant créer une race pure ou saine par la stérilisation des indésirables ne sont plus à craindre. On ne les prendrait plus au sérieux. On peut donc considérer d'un bon oeil les manipulations ponctuelles de gènes et d'embryons: elles apparaissent comme de simples mesures préventives.

Le libéralisme renaissant apporte sa propre légitimation à cette approche. Puisque les personnes qui choisissent les mères porteuses et les pères donneurs, ou qui décident d'éliminer un foétus infirme, agissent sur une base strictement privée et individuelle, sans visée totalitaire apparente, de quel droit entraver leur liberté? Ne sont-ils pas des adultes consentants? C'est ainsi que l'idéologie néo-libérale pourrait jouer insidieusement le même rôle que l'idéologie nazie il y a cinquante ans. En s'acheminant vers la population parfaite via une accumulation de choix individuels présentés comme innocents, plutôt que sous la férule d'un État totalitaire, on gagne sur tous les tableaux. On évite le génocide et les stérilisations scandaleuses sans s'éloigner du but ultime.

Pour toutes ces raisons, l'eugénisme négatif a été abandonné mais l'eugénisme positif est en pleine vogue. On ne fait plus d'élimination ni de mutilations, mais on choisit soigneusement ses donneurs et ses porteuses; surtout, on déprogramme allègrement la naissance d'individus qu'on aurait ensuite été tenté d'éliminer si la nature avait suivi son cours. Cet étrange eugénisme positif, qui ne remue aucune des vieilles cendres du nazisme, prend le plus souvent la forme du dépistage. Aux États-Unis et en Angleterre, on situe entre 3 et 5 % la proportion des nouveaux-nés atteints de troubles d'origine génétique. Aux États-Unis, 12% des admissions d'adultes à l'hôpital seraient imputables à des maladies d'origine génétique. Des désordres génétiques seraient aussi à l'origine de 15% des cas de déficience mentale."

Source: Jacques Dufresne, La reproduction humaine industrialisée.

Articles


L'eugénisme de Platon

François-Xavier Ajavon
La législation eugénique positive dans les textes politiques de Platon

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Wilfrid Noël Raby

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