Musset Alfred de

1810-1857

"Fils de Musset-Pathay et de Mlle Guyot-Desherbiers, il fit ses études au collège Henri IV où il remporta de brillants succès. Après quoi, il essaya de faire son droit, puis sa médecine. La chicane et l’anatomie lui inspirèrent une égale horreur et « il passait son temps à se promener aux Tuileries et au boulevard ». Paul Foucher l’avait mis en relation avec Victor Hugo. Il fut admis dans le cénacle romantique et s’y grisa de savoureuses discussions littéraires. Il fréquenta aussi le salon de Nodier et courut les femmes auxquelles plaisaient sa grâce élégante, sa fatuité et les ardeurs de sa jeunesse. Il commença à rimer des poésies qui, tour à tour, étaient du Chénier ou du Victor Hugo et il traduisit (1828) de la manière la plus inexacte et la plus romantique du monde, les Confessions d’un mangeur d’opium de Thomas de Quincey. Son père, que cette littérature inquiétait, l’obligea à prendre une place d’expéditionnaire dans les bureaux d’une entrepreneur de chauffage militaire. Rien ne pouvait être plus antipathique à Musset qui aimait le monde, le plaisir, l’indépendance absolue. Aussi pour obliger sa famille à lui reconnaître la qualité et les droits d’auteur, publia-t-il en 1830 son premier volume de poésies : Les Contes d’Espagne et d’Italie, Don Paez, Les Marrons du feu, Portia, la Ballade à la Lune, Mardoche. Elles eurent un grand succès. Les classiques poussèrent des cris d’indignation et les journaux sérieux furent prodigues de critiques acerbes. Mais Musset eut pour lui tous les jeunes gens et toutes les femmes – les femmes dont il exaltait le charme avec une intensité d’accent qui révèle déjà le poète de l’amour: Comme elle est belle au soir, aux rayons de la lune,
Peignant sur son col blanc sa chevelure brune !
Sous la tresse d’ébène on dirait, à la voir,
Une jeune guerrière avec un casque noir !
Son voile déroulé plie et s’affaisse à terre.
Comme elle est belle et noble ! et comme, avec mystère,
L’attente du plaisir et le moment venu
Font sous son collier d’or frissonner son sein nu ! Le succès de Musset eut pour première conséquence de le brouiller avec le cénacle qui s’était aperçu que son « Benjamin » avait d’étranges audaces, qu’il dépassait, en hardiesse, le maître lui-même, surtout qu’il méprisait la forme préconisée par lui et qu’en dépit d’exagérations voulues et d’une cinglante ironie il n’était rien moins que romantique. La rupture fut consommée par la publication d’Un Spectacle dans un fauteuil (1832) où Musset dit nettement son fait à la rime riche et répudie la couleur locale fabriquée à grand renfort de Guides et de dictionnaires géographiques. Le livre contenait cet étonnant et tragique poème de La Coupe et les lèvres, où est si marquée l’ardeur de la passion sans objet qui dévora le poète, cette gracieuse comédie, merveille de passion chaste, À quoi rêvent les jeunes filles, et Namouna qui jette des lueurs si singulières sur la psychologie de l’auteur : Un jeune homme est assis au bord d’une prairie,
Pensif comme l’amour, beau comme le génie ;
Sa maîtresse enivrée est prête à s’endormir.
Il vient d’avoir vingt ans, son cœur vient de s’ouvrir ;
Rameau tremblant encor de l’arbre de la vie
Tombée, comme le Christ, pour aimer et souffrir. Le volume était incomparablement supérieur à son aîné. Pourtant il fut peu compris, sauf de Sainte-Beuve, et passa presque inaperçu.

Musset s’était bien débarrassé de la forme romantique, mais il avait, comme toute sa génération, ressenti trop profondément l’influence des théories du cénacle pour n’en pas garder la marque indélébile. Et c’est ainsi qu’il restera romantique jusqu’à son dernier jour, par son impuissance à sortir de lui-même et à s’intéresser à ce qui n’est pas lui ; et c’est ainsi qu’il va étrangement souffrir pour s’être attaché à réaliser sur la matière vivante et vibrante les fausses et dangereuses abstractions de l’amour romantique.

En 1833, il recontra George Sand. Cette femme bizarre, aux grands yeux noirs si beaux, l’attira violemment. Ils s’aimèrent, avec des emportements furieux ; ils connurent toutes les joies et toutes les misères d’une passion impossible. Pour qu’un amour soit heureux et durable, il faut qu’il y ait entre ceux qui s’aiment quelque inégalité. Et l’on conçoit très bien ce que put être l’amour de cette femme de génie et de cet homme de génie, et qui étaient, tous deux, littérateurs, habitués à analyser leurs sentiments et leurs sensations, avec l’arrière-pensée instinctive de les traduire en prose ou en vers, de plus, emportés par l’idée de se tenir toujours en dehors de la nature, comme les héros de leur imagination. Ce fut une atroce torture. Les deux amants partirent pour l’Italie. Musset fut atteint d’une fièvre cérébrale grave. Le dévouement de George Sand, les soins d’un jeune médecin, Pagello, le sauvèrent. Mais George Sand s’éprit de Pagello. Musset revint à Paris, où bientôt George Sand amenait son médecin. Tous trois étaient fiers d’être liés « de nœuds sublimes et imcompréhensibles aux autres » ! Des crises affreuses bouleversèrent leur vie jusqu’à la rupture définitive (7 mars 1835).

Musset sortit profondément transformé de cette rude épreuve. Au début de sa liaison, il avait écrit, encore dans sa première manière, Rolla (1833), où la fausse rhétorique alterne avec des amertumes à la Byron et qui ne laisse pas de produire, par instants, de grands effets. De 1835 à 1837, il donne Les Nuits, la Lettre à Lamartine, les plus belles pages lyriques qui existent dans notre langue. Lui-même a bien marqué la transition : J’ai vu le temps où ma jeunesse
Sur mes lèvres était sans cesse
Prête à chanter comme un oiseau ;
Mais j’ai souffert un dur martyre,
Et le moins que j’en pourrais dire,
Si je l’essayais sur la lyre,
La briserait comme un roseau. Après cela, après la Nuit d’octobre (1837), il retrouve le calme : Je te bannis de ma mémoire,
Reste d’un amour insensé,
Mystérieuse et sombre histoire
Qui dormiras dans le passé ! Et il retombe aussi dans le dandysme de ses débuts pour ne plus produire, en fait de poésies, que de charmantes petites pièces, d’un fin parisianisme comme Une Soirée perdue (1840) ou Après une lecture (1842), des madrigaux, des chansons (Fortunio, À Ninon), des babioles, et Dupont et Durand (1838), un badinage insignifiant. Le Souvenir (1841), dans le note du Lac de Lamartine, ou de la Tristesse d’Olympio de Victor Hugo, dernier écho de la passion de Musset pour George Sand, doit être mis à part. Il renferme, en très beaux vers, la synthèse de son originale philosophie, à savoir que le bonheur n’existe que dans l’amour et qu’il faut toujours le rechercher, non pour le conserver, car l’amour trompe, mais pour l’avoir eu et s’en souvenir: Un souvenir heureux est peut-être sur terre
Plus vrai que le bonheur. Le poète traînait une existence désenchantée. Il cherchait des stimulants dans la débauche et dans le vin. Il réunissait à peine ainsi à « étourdir sa misère ». En 1839, il voulut se suicider, après un accès de désespoir: J’ai perdu ma force et ma vie,
Et mes amis et ma gaieté ;
J’ai perdu jusqu’à la fierté
Qui faisait croire à mon génie. À partir de 1840, il est en proie à la souffrance physique : crises de nerfs, fièvres, pleurésie et maladie de cœur qui l’emporta. Il mourut en laissant échapper ce cri de lassitude infinie: « Dormir !… Enfin, je vais dormir ».

Le 12 février 1852 il avait été élu membre de l’Académie française, en remplacement de Dupaty. Il avait accepté, du gouvernement de Juillet, la sinécure de bibliothécaire du ministère de l’Instruction publique, dont Rollin le priva en 1848 et qui lui rendue par Fortoul.

Nous avons passé en revue les principales œuvres poétiques de Musset. Restent les œuvres en prose. Ce sont: la Confession d’un enfant du siècle, des Contes et Nouvelles, des mélanges et son théâtre.

La Confession d’un enfant du siècle (1836) est, comme on sait, l’histoire souvent poignante comme on sait, l’histoire souvent poignante des amours du poète et de George Sand. Elle renferme de jolies descriptions, des pages superbes : elle est gâtée par de lourdes et interminables déclamations. Telle quelle, elle est un précieux recueil de « renseignements sur la pathologie de l’amour ».

Les Contes et les Nouvelles sont de charmants récits d’amour, sans prétention, élégamment écrits, dont Le Merle blanc (1842) peut donner une idée achevée.

Musset avait débuté en 1830 (14 décembre) à l’Odéon par une bluette, La Nuit vénitienne, qui, représentée au fort de la bataille des classiques et des romantiques, fut outrageusement sifflée. Cet insuccès dégoûta le poète de la scène. Mais il composa pourtant des comédies qu’il inséra dans la Revue des Deux Mondes (de 1833 à 1850) et qu’il réunit pour la plupart en volume en 1840. Ce théâtre était tout à fait inconnu ou du moins oublié, lorsqu’en 1847 Mme Allan-Despréaux, qui avait joué à Saint-Pétersbourg, avec le plus grand succès, Un Caprice, le fit admettre à la Comédie-Française. Ce fut une révélation. « Depuis Marivaux, écrivait Théophile Gautier, il ne s’est rien produit à la Comédie-Française de si fin, de si délicat, de si doucement enjoué que ce chef-d’œuvre mignon enfoui dans les pages d’une revue et que les Russes de Saint-Pétersbourg, cette neigeuse Athènes, ont été obligés de découvrir pour nous le faire accepter. »

Les autres pièces passèrent tour à tour : Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, Il ne faut jurer de rien, Le Chandelier, André del Sarto en 1848, Les Caprices de Marianne en 1851, On ne badine pas avec l’amour en 1861, Fantasio en 1866, Barberine en 1882, Lorenzaccio en 1896, etc. Le théâtre de Musset, dont M. Brunetière a dit « qu’il est tout entier un hymne à l’amour, et à l’amour conçu comme la seule raison qu’il y ait d’être au monde et de vivre », fit plus pour la gloire de l’auteur que toutes ses poésies. Il n’était connu que de quelques cercles assez fermés, il fut célèbre du jour au lendemain. On lut enfin ses vers qui enthousiasmèrent la jeunesse et firent les délices de toute une génération. Chose singulière, Sainte-Beuve fut à peu près seul à s’en fâcher et écrivit assez rudement: « C’est d’un monde fabuleux ou vu à travers une goguette et dans une pointe de vin. – Alfred de Musset est le caprice d’un époque blasée et libertine. » Rien n’y fit, et la renommée de Musset fut consacrée dans toute l’Europe, notamment en Angleterre, en Allemagne et en Italie.

Aujourd’hui [i.e. à la fin du 19e siècle], au moment où les grands romantiques, Chateaubriand, Lamartine, Alfred de Vigny, revivent avec un nouvel éclat et retrouvent l’admiration qui avait salué leurs débuts, A. de Musset est demeuré dans l’ombre. Sans doute il y eut dans son succès bien des éléments suspects et malsains et l’on peut se demander, avec Sainte-Beuve, si les jeunes gens et les femmes n’ont pas surtout admiré chez lui ce qu’il y a de moins admirable : son affectation de dandysme, la crudité de certains tableaux, la morbidité de certains sentiments. Mais il y a d’autres raisons à ce succès : cette illustre victime a toujours été sincère dans ses plus grands écarts. « On ne l’a pas admiré, dit Taine, on l’a aimé ; c’était plus qu’un poète, c’était un homme. Chacun retrouvait en lui ses propres sentiments, les plus fugitifs, les plus intimes ; il s’abandonnait, il se donnait, il avait les dernières des vertus qui nous restent, la générosité et la sincérité. Et il avait le plus précieux des dons qui puissent séduire une civilisation vieillie, la jeunesse. » Et comme, après tout, il n’y a pas dans notre langue de plus passionnés, de plus poignants, de plus beaux poèmes d’amour que Les Nuits et la Lettre à Lamartine, on ne saurait concevoir aucun doute sur l’avenir qui leur est réservé. Musset, le « poète de l’amour », ne passera pas.

Les œuvres de Musset ont eu de très nombreuses éditions. Les meilleures éditions collectives [à la fin du 19e siècle] sont celles des Œuvres complètes (Paris, 1865 et suiv., 10 volumes gr. in-8 et Paris, 1886 et suiv., in-4). M. S. Rocheblave a publié les Lettres d’Alfred de Musset et de George Sand (Paris, 1897, in-12). On a de Musset un beau médaillon, œuvre de David d’Angers, et un portrait au pastel de Charles Landelle, qui est fort médiocre.»

René Samuel, article «Alphonse de Lamartine» de La grande encyclopédie: inventaire raisonné des sciences, des lettres et des arts. Réalisée par une société de savants et de gens de lettres sous la direction de MM. Berthelot, Hartwig Derenbourg, F.-Camille Dreyfus [et al.]. Réimpression non datée de l'édition de 1885-1902. Paris, Société anonyme de «La grande encyclopédie», [191-?]. Tome vingt-quatrième (Moissonneuse-Nord), p. 640-641.

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