Essentiel
Citations sur le romantisme
GOETHE
«La question du classique et du romantique en poésie, cette idée qui court le monde et qui est la source de tant de querelles, de tant de divisions, c'est à Schiller et à moi qu'elle remonte. J'avais adopté en poésie le principe du procédé objectif, et ne consentais à reconnaître que celui-là. Schiller qui n'agissait que sous l'influence subjective, considérait sa manière comme la seule bonne et , pour se défendre contre moi, il écrivit sa dissertation sur la poésie naïve et sentimentale. Il me prouva que j'étais moi-même, et contre mon gré, un romantique; il me démontra que mon Iphigénie, grâce à la prédominance du sentimentalisme, n'était nullement aussi classique, aussi conçue dans l'esprit de l'antiquité qu'on serait disposée à le croire. Les Schlegel s'emparèrent de l'idée et la poussèrent plus loin, si bien qu'aujourd'hui elle a fait son chemin partout.» (
Entretiens de Goethe et d'Eckermann)
MME DE STAËL
Du romantisme en Allemagne et en France
«Le nom de
romantique a été introduit nouvellement en Allemagne pour désigner la poésie dont les chants des troubadours ont été l'origine, celle qui est née de la chevalerie et du christianisme. Si l'on n'admet pas que le paganisme et le christianisme, le nord et le midi, l'antiquité et le Moyen Age, la chevalerie et les institutions grecques et romaines, se sont partagé l'empire de la littérature, l'on ne parviendra jamais à juger sous un point de vue philosophique le goût antique et le goût moderne.
On prend quelquefois le mot classique comme synonyme de perfection. Je m'en sers ici dans une autre acception, en considérant la poésie classique comme celle des Anciens, et la poésie romantique comme celle qui tient de quelque manière aux traditions chevaleresques. Cette division se rapporte également aux deux ères du monde celle qui a précédé l'établissement du christianisme, et celle qui l'a suivi.
[...]
Il y a dans les poèmes épiques, et dans les tragédies des Anciens, un genre de simplicité qui tient à ce que les hommes étaient identifiés à cette époque avec la nature, et croyaient dépendre du destin comme elle dépend de la nécessité. L'homme, réfléchissant peu, portait toujours l'action de son âme au-dehors; la conscience elle-même était figurée par des objets extérieurs, et les flambeaux des Furies secouaient les remords sur la tête des coupables. L'événement était tout dans l'antiquité, le caractère tient plus de place dans les temps modernes; et cette réflexion inquiète, qui nous dévore souvent comme le vautour de Prométhée, n'eût semblé que de la folie au milieu des rapports clairs et prononcés qui existaient dans l'état civil et social des Anciens.
On ne faisait en Grèce, dans le commencement de l'art, que des statues isolées; les groupes ont été composés plus tard. On pourrait dire de même, avec vérité, que dans tous les arts il n'y avait point de groupes; les objets représentés se succédaient comme dans les bas-reliefs, sans combinaison, sans complication d'aucun genre. L'homme personnifiait la nature; des nymphes habitaient les eaux, des hamadryades les forêts : mais la nature à son tour s'emparait de l'homme, et l'on eût dit qu'il ressemblait au torrent, à la foudre, au volcan, tant il agissait par une impulsion involontaire, et sans que la réflexion pût en rien altérer les motifs ni les suites de ses actions. Les Anciens avaient pour ainsi dire une âme corporelle, dont tous les mouvements étaient forts, directs et conséquents, il n'en est pas de même du cœur humain développé par le christianisme : les modernes ont puisé, dans le repentir chrétien, l'habitude de se replier continuellement sur eux-mêmes.
[...]
La poésie classique doit passer par les souvenirs du paganisme pour arriver jusqu'à nous : la poésie des Germains est l'ère chrétienne des beaux-arts : elle se sert de nos impressions personnelles pour nous émouvoir le génie qui l'inspire s'adresse immédiatement à notre coeur, et semble évoquer notre vie elle-même comme un fantôme le plus puissant et le plus terrible de tous.» (
De l'Allemagne, 1813)
VICTOR HUGO
«Le libéralisme en littérature»
«Le romantisme, tant de fois mal défini, n'est, à tout prendre, et c'est là sa définition réelle, que le
libéralisme en littérature. [...] La liberté dans l'art, la liberté dans la société, voilà le double but auquel doivent tendre d'un même pas tous les esprits conséquents et logiques; voilà la double bannière qui rallie, à bien peu d'intelligences près (lesquelles s'éclaireront), toute la jeunesse si forte et si patiente d'aujourd'hui; puis, avec la jeunesse et à sa tête, l'élite de la génération qui nous a précédés, tous ces sages vieillards qui, après le premier moment de défiance et d'examen, ont reconnu que ce que font leurs fils est une conséquence de ce qu'ils ont fait eux-mêmes, et que la liberté littéraire est fille de la liberté politique. [...]
Le principe de la liberté littéraire, déjà compris par le monde qui lit et qui médite, n'a pas été moins complètement adopté par cette immense foule, avide des pures émotions de l'art, qui inonde chaque soir les théâtres de Paris. Cette voix haute et puissante du peuple qui ressemble à celle de Dieu, veut désormais que la poésie ait la même devise que la politique: tolérance et liberté.
Maintenant, vienne le poète! Il y a un public. Et cette liberté, le public la veut telle qu'elle doit être, se conciliant avec l'ordre, dans l'état, avec l'art, dans la littérature. La liberté a une sagesse qui lui est propre, et sans laquelle elle n'est pas complète. Que les vieilles règles de d'Aubignac meurent avec les vieilles coutumes de Cujas, cela est bien; qu'à une littérature de cour succède une littérature de peuple, cela est mieux encore; mais surtout qu'une raison intérieure se rencontre au fond de toutes ces nouveautés. Que le principe de liberté fasse son affaire, mais qu'il la fasse bien. Dans les lettres, comme dans la société, point d'étiquette, point d'anarchie: des lois. Ni talons rouges, ni bonnets rouges.» (Préface à
Hernani, 1830)
PIERRE LASSERRE
Rousseau et le Romantisme
«Rousseau n'est pas à l'égard du Romantisme un précurseur. Il est le Romantisme intégral. Pas une théorie, pas un système, pas une forme de sensibilité ne revendiqueront par la suite la qualité de romantique ou ne la recevront, qui ne se trouvent recommandées ou autorisées par son oeuvre. Je ne vois rien non plus dans les conceptions, passions et imaginations qui font la matière de son éloquence, à quoi le caractère romantique puisse être dénié. Rien dans le Romantisme qui ne soit du Rousseau. Rien dans Rousseau qui ne soit romantique.
La notion très incomplète et mal éclairée du Romantisme, que retiennent encore nombre de bons esprits, vient de ce que ce phénomène n'a été baptisé de son nom qu'à l'occasion d'une des ses manifestations déjà tardives, la plus retentissante, il est vrai, mais non pas, tant s'en faut, la plus proche de son essence profonde. Je veux dire: la jeune littérature de 1830. Le Romantisme enveloppe bien autre chose qu'une mode littéraire. Il est une révolution générale de l'âme humaine. Cependant, longtemps avant l'apparition de ce substantif, dont la forme annonce bien une sorte de nouveauté systématique, l'adjectif avait joui, et particulièrement chez Rousseau lui-même, d'une certaine fortune obscure et hésitante. "Romantique" se dit dans
les Rêverie d'un promeneur solitaire, et pareillement dans
Obermann, d'un paysage de montagnes où rien ne montre la main de l'homme, ni ne donne lieu à son passage, et de la défaillance voluptueuse ou de l'exaltation vaine que ce spectacle, selon qu'il est calme ou agité, communique, en se prolongeant, à une sensibilité lyrique; ces émotions, au dire de Sénancour, comme de Rousseau, reportant celui qui sait les éprouver en deçà de la civilisation et le replaçant dans la véritable disposition intellectuelle et morale de l'homme primitif. Réservant, pour l'instant, la signification réelle de ces états psychiques, rapprochons l'interprétation philosophique qu'en proposent Senancour et Rousseau, des théories esthétiques de 1830: l'idée commune aux applications diverses et partielles d'un même vocable devient évidente. Que demandent et que se flattent d'avoir réalisé sous le nom de "Romantisme" les jeunes séïdes d'Hernani? Affranchissement des règles et des traditions, «liberté», c'est-à-dire, spontanéité absolue dans la création artistique, l'artiste se mettant en présence de lui-même et de la nature et ignorant qu'il y ait eu un art et des hommes avant lui. Le Romantisme, c'est donc le système de sentir, de penser et d'agir conformément à la prétendue nature primitive de l'humanité. C'est la prédication même de Jean-Jacques. Il n'y manque que le mot.» (
Le romantisme français, 1907)
Essentiel
Citations sur le romantisme
GOETHE
«La question du classique et du romantique en poésie, cette idée qui court le monde et qui est la source de tant de querelles, de tant de divisions, c'est à Schiller et à moi qu'elle remonte. J'avais adopté en poésie le principe du procédé objectif, et ne consentais à reconnaître que celui-là. Schiller qui n'agissait que sous l'influence subjective, considérait sa manière comme la seule bonne et , pour se défendre contre moi, il écrivit sa dissertation sur la poésie naïve et sentimentale. Il me prouva que j'étais moi-même, et contre mon gré, un romantique; il me démontra que mon Iphigénie, grâce à la prédominance du sentimentalisme, n'était nullement aussi classique, aussi conçue dans l'esprit de l'antiquité qu'on serait disposée à le croire. Les Schlegel s'emparèrent de l'idée et la poussèrent plus loin, si bien qu'aujourd'hui elle a fait son chemin partout.» (
Entretiens de Goethe et d'Eckermann)
MME DE STAËL
Du romantisme en Allemagne et en France
«Le nom de
romantique a été introduit nouvellement en Allemagne pour désigner la poésie dont les chants des troubadours ont été l'origine, celle qui est née de la chevalerie et du christianisme. Si l'on n'admet pas que le paganisme et le christianisme, le nord et le midi, l'antiquité et le Moyen Age, la chevalerie et les institutions grecques et romaines, se sont partagé l'empire de la littérature, l'on ne parviendra jamais à juger sous un point de vue philosophique le goût antique et le goût moderne.
On prend quelquefois le mot classique comme synonyme de perfection. Je m'en sers ici dans une autre acception, en considérant la poésie classique comme celle des Anciens, et la poésie romantique comme celle qui tient de quelque manière aux traditions chevaleresques. Cette division se rapporte également aux deux ères du monde celle qui a précédé l'établissement du christianisme, et celle qui l'a suivi.
[...]
Il y a dans les poèmes épiques, et dans les tragédies des Anciens, un genre de simplicité qui tient à ce que les hommes étaient identifiés à cette époque avec la nature, et croyaient dépendre du destin comme elle dépend de la nécessité. L'homme, réfléchissant peu, portait toujours l'action de son âme au-dehors; la conscience elle-même était figurée par des objets extérieurs, et les flambeaux des Furies secouaient les remords sur la tête des coupables. L'événement était tout dans l'antiquité, le caractère tient plus de place dans les temps modernes; et cette réflexion inquiète, qui nous dévore souvent comme le vautour de Prométhée, n'eût semblé que de la folie au milieu des rapports clairs et prononcés qui existaient dans l'état civil et social des Anciens.
On ne faisait en Grèce, dans le commencement de l'art, que des statues isolées; les groupes ont été composés plus tard. On pourrait dire de même, avec vérité, que dans tous les arts il n'y avait point de groupes; les objets représentés se succédaient comme dans les bas-reliefs, sans combinaison, sans complication d'aucun genre. L'homme personnifiait la nature; des nymphes habitaient les eaux, des hamadryades les forêts : mais la nature à son tour s'emparait de l'homme, et l'on eût dit qu'il ressemblait au torrent, à la foudre, au volcan, tant il agissait par une impulsion involontaire, et sans que la réflexion pût en rien altérer les motifs ni les suites de ses actions. Les Anciens avaient pour ainsi dire une âme corporelle, dont tous les mouvements étaient forts, directs et conséquents, il n'en est pas de même du cœur humain développé par le christianisme : les modernes ont puisé, dans le repentir chrétien, l'habitude de se replier continuellement sur eux-mêmes.
[...]
La poésie classique doit passer par les souvenirs du paganisme pour arriver jusqu'à nous : la poésie des Germains est l'ère chrétienne des beaux-arts : elle se sert de nos impressions personnelles pour nous émouvoir le génie qui l'inspire s'adresse immédiatement à notre coeur, et semble évoquer notre vie elle-même comme un fantôme le plus puissant et le plus terrible de tous.» (
De l'Allemagne, 1813)
VICTOR HUGO
«Le libéralisme en littérature»
«Le romantisme, tant de fois mal défini, n'est, à tout prendre, et c'est là sa définition réelle, que le
libéralisme en littérature. [...] La liberté dans l'art, la liberté dans la société, voilà le double but auquel doivent tendre d'un même pas tous les esprits conséquents et logiques; voilà la double bannière qui rallie, à bien peu d'intelligences près (lesquelles s'éclaireront), toute la jeunesse si forte et si patiente d'aujourd'hui; puis, avec la jeunesse et à sa tête, l'élite de la génération qui nous a précédés, tous ces sages vieillards qui, après le premier moment de défiance et d'examen, ont reconnu que ce que font leurs fils est une conséquence de ce qu'ils ont fait eux-mêmes, et que la liberté littéraire est fille de la liberté politique. [...]
Le principe de la liberté littéraire, déjà compris par le monde qui lit et qui médite, n'a pas été moins complètement adopté par cette immense foule, avide des pures émotions de l'art, qui inonde chaque soir les théâtres de Paris. Cette voix haute et puissante du peuple qui ressemble à celle de Dieu, veut désormais que la poésie ait la même devise que la politique: tolérance et liberté.
Maintenant, vienne le poète! Il y a un public. Et cette liberté, le public la veut telle qu'elle doit être, se conciliant avec l'ordre, dans l'état, avec l'art, dans la littérature. La liberté a une sagesse qui lui est propre, et sans laquelle elle n'est pas complète. Que les vieilles règles de d'Aubignac meurent avec les vieilles coutumes de Cujas, cela est bien; qu'à une littérature de cour succède une littérature de peuple, cela est mieux encore; mais surtout qu'une raison intérieure se rencontre au fond de toutes ces nouveautés. Que le principe de liberté fasse son affaire, mais qu'il la fasse bien. Dans les lettres, comme dans la société, point d'étiquette, point d'anarchie: des lois. Ni talons rouges, ni bonnets rouges.» (Préface à
Hernani, 1830)
PIERRE LASSERRE
Rousseau et le Romantisme
«Rousseau n'est pas à l'égard du Romantisme un précurseur. Il est le Romantisme intégral. Pas une théorie, pas un système, pas une forme de sensibilité ne revendiqueront par la suite la qualité de romantique ou ne la recevront, qui ne se trouvent recommandées ou autorisées par son oeuvre. Je ne vois rien non plus dans les conceptions, passions et imaginations qui font la matière de son éloquence, à quoi le caractère romantique puisse être dénié. Rien dans le Romantisme qui ne soit du Rousseau. Rien dans Rousseau qui ne soit romantique.
La notion très incomplète et mal éclairée du Romantisme, que retiennent encore nombre de bons esprits, vient de ce que ce phénomène n'a été baptisé de son nom qu'à l'occasion d'une des ses manifestations déjà tardives, la plus retentissante, il est vrai, mais non pas, tant s'en faut, la plus proche de son essence profonde. Je veux dire: la jeune littérature de 1830. Le Romantisme enveloppe bien autre chose qu'une mode littéraire. Il est une révolution générale de l'âme humaine. Cependant, longtemps avant l'apparition de ce substantif, dont la forme annonce bien une sorte de nouveauté systématique, l'adjectif avait joui, et particulièrement chez Rousseau lui-même, d'une certaine fortune obscure et hésitante. "Romantique" se dit dans
les Rêverie d'un promeneur solitaire, et pareillement dans
Obermann, d'un paysage de montagnes où rien ne montre la main de l'homme, ni ne donne lieu à son passage, et de la défaillance voluptueuse ou de l'exaltation vaine que ce spectacle, selon qu'il est calme ou agité, communique, en se prolongeant, à une sensibilité lyrique; ces émotions, au dire de Sénancour, comme de Rousseau, reportant celui qui sait les éprouver en deçà de la civilisation et le replaçant dans la véritable disposition intellectuelle et morale de l'homme primitif. Réservant, pour l'instant, la signification réelle de ces états psychiques, rapprochons l'interprétation philosophique qu'en proposent Senancour et Rousseau, des théories esthétiques de 1830: l'idée commune aux applications diverses et partielles d'un même vocable devient évidente. Que demandent et que se flattent d'avoir réalisé sous le nom de "Romantisme" les jeunes séïdes d'Hernani? Affranchissement des règles et des traditions, «liberté», c'est-à-dire, spontanéité absolue dans la création artistique, l'artiste se mettant en présence de lui-même et de la nature et ignorant qu'il y ait eu un art et des hommes avant lui. Le Romantisme, c'est donc le système de sentir, de penser et d'agir conformément à la prétendue nature primitive de l'humanité. C'est la prédication même de Jean-Jacques. Il n'y manque que le mot.» (
Le romantisme français, 1907)