Freud Sigmund

06 / 05 / 1856-1939

"Dans un essai paru en 1925 intitulé : «Présentation de moi-même » (2) Sigmund Freud nous indique expressément que chez lui la vie, l'oeuvre et l'accueil qui leur fut réservé ne doivent jamais être dissociés si on veut comprendre sa découverte de la psychanalyse à la fois comme pratique thérapeutique et comme théorie métapsychologique. Dans cette étroite liaison, un élément pourtant va finir par dominer au point d'en constituer le véritable projet existentiel: la volonté de comprendre la seule chose qui importe à la fin, l'homme. «Ma Présentation de moi-même montre comment la psychanalyse devient le contenu de ma vie, et se conforme ensuite à ce principe justifié que rien de ce qui m'arrive personnellement ne mérite d'intéresser au regard de mes relations avec la science.» (3)

Dans cette étroite liaison entre existence, projet scientifique et relation au monde, l'élément dominant est donc le projet intellectuel qui aboutit à la découverte de la psychanalyse entendue indissolublement comme thérapeutique et comme modèle hypothétique de compréhension des comportements humains. Quel fut l'itinéraire de Freud?

Une vie, une oeuvre

Pour lui être fidèle, le mieux est peut-être encore de suivre son propre récit autobiographique que l'on pourrait intituler, à la manière d'Alain, «l'histoire de mes idées». Autant de découvertes scientifiques majeures, autant d'étapes essentielles sur le chemin de la vie.

La première grande période correspond aux années d'apprentissage. Né à Freiberg le 6 mai 1856 en Moravie (actuelle République tchèque), Freud dit tenir de ses origines juives trois qualités qui l'ont beaucoup aidé dans ses luttes: la vénération pour la connaissance en général, surtout les sciences; un esprit critique très libre et une grande résistance à l'hostilité. Quant à sa situation de famille, elle apparaît déjà comme exemplaire de l'Oedipe: un père qui se remarie à une toute jeune femme, à peine plus âgée que le fils aîné du premier lit.

La soif de savoir va orienter d'abord le jeune Freud vers la médecine, la botanique, la chimie, la zoologie, l'anatomie pathologique, mais aussi vers la philosophie et l'histoire. Comme l'écrit justement M. Robert: «Matérialiste, positiviste... fermement convaincu que les causes des maladies sont à rechercher dans l'organisme et que l'opinion contraire n'est qu'une illusion ou un préjugé, le Freud d'avant Freud aurait sans doute pu devenir l'un de ces chercheurs éminents qui se font un nom dans le cercle étroit de leur spécialité, plus ou moins loin du grand public.» (4)

Une expérience médicale nouvelle introduit un changement d'orientation et ouvre une nouvelle période que Freud appelle avec humour la «préhistoire cathartique de la psychanalyse» (5).

Confronté à des patients injustement qualifiés de «simulateurs» ou de «nerveux», il commence à se consacrer à la délicate question de l'hystérie. Au contact de Charcot à Paris, de Liebault et de Bernheim à Nancy, puis de Janet, il découvre par l'hypnose et la suggestion médicale qu'il pourrait exister «des processus psychiques puissants qui ne s'en dérobent pas moins à la conscience de l'homme» (6) et le poussent à agir à son insu. Très vite, les symptômes hystériques lui apparaissent liés à des expériences antérieures oubliées. La crise cathartique montre que le symptôme naît de la rétention d'un affect et que cet affect est souvent lié à la sexualité. Contrairement à ce que pense Janet, l'hystérique ne souffre pas d'une faiblesse constitutionnelle aboutissant au clivage psychique; il faut parler d'un véritable conflit «psychique inconscient», aussi monstrueuse que cette expression puisse paraître (7). La mésaventure de Breuer avec Anna O. confirme que dans l'expérience cathartique, l'hystérique n'est pas un simulateur, mais un malade qui cherche à exprimer ce à quoi il n'a pas habituellement accès.

De l'aveu même de Freud, la période historique de la psychanalyse commence avec le constat que l'abréaction ne suffit pas à guérir le malade. Il existe des résistances, des refoulements qu'il convient de mettre au jour afin de les remplacer par «des actes de jugement aboutissant à l'acceptation ou au rejet» (8) de ce qui avait jadis été repoussé. La libre expression du patient empêchera à la longue les rechutes, ce que la simple catharsis ne permettait pas.

Commence alors la période analytique proprement théorique qu'il faut entendre comme la «tentative pour se représenter l'appareil psychique à partir d'un certain nombre d'instances ou de systèmes et de rendre compte des relations qu'ils entretiennent entre eux.» (9) «Les doctrines de la résistance et du refoulement, de l'inconscient, de la signification étiologique de la vie sexuelle et de l'importance des expériences vécues dans l'enfance sont les principaux éléments de l'édifice théorique de la psychanalyse.» (10)

À partir de cette époque, Freud n'est plus seul; ses collaborateurs, ses élèves prennent de plus en plus d'importance au risque de déformer, de trahir l'inspiration même de sa recherche. Il paraît inutile ici d'entrer dans les querelles de doctrine qui vont assombrir la vieillesse du père de la psychanalyse. Son travail s'oriente vers l'approfondissement et la généralisation des résultats obtenus à d'autres domaines de la connaissance (topiques, anthropologie, histoire, religion, rêves, mots d'esprit, art, etc.). La gloire touchera Freud en même temps que la peine avec la montée du nazisme en Allemagne: «C'est en 1929 que Thomas Mann, l'un des auteurs qui avait le plus vocation à être le porte-parole du peuple allemand, m'assigna une place dans l'histoire de l'Esprit moderne, en des phrases tout aussi riches de contenu que bienveillantes. Peu de temps après, ma fille Anna fut fêtée à l'Hôtel de ville de Francfort-sur-le Main, lorsqu'elle y apparut à ma place pour y recueillir le prix Goethe qui m'avait été conféré en 1930. Ce fut le point culminant de ma vie sociale; peu de temps après, notre patrie s'était confinée dans l'étroitesse, et la nation ne voulait plus rien savoir de nous.» (11)

En 1938, un an avant sa mort, Freud quitte Vienne où il avait passé presque toute sa vie, contraint à l'exil par l'arrivée du nazisme."

Notes
2. Traduit en français sous le titre: Sigmund Freud présenté par lui-même, Paris, Gallimard, 1991.
3. Idem, p. 121-122, Post-scriptum de 1935.
4. Robert, M. Article « Sigmund Freud » in Encyclopaedia Universalis, Paris, 1980, vol. 7, p. 384.
5. Sigmund Freud présenté par lui-même, op. cit., p. 93.
6. Idem, p. 30.
7. Idem, p. 54.
8. Idem, p. 51.
9. Idem, p. 55.
10. Idem, p. 67.
11. Idem, p. 124.

Bernard Jolibert, "Sigmund Freud (1856-1939)", Perspectives: revue trimestrielle d'éducation comparée (Paris, UNESCO : Bureau international d'éducation), vol. XXIII, n° 3-4, 1993, p. 467-479.
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