Parthénon

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Essentiel

Le Parthénon vu par le poète Lamartine

«Tout se tait devant l'impression incomparable du Parthénon, ce temple des temples bâti par Setinus, ordonné par Périclès, décoré par Phidias; — type unique et exclusif du beau, dans les arts de l'architecture et de la sculpture; — espèce de révélation divine de la beauté idéale reçue un jour par le peuple, artiste par excellence, et transmise par lui à la postérité en blocs de marbre impérissable, et en sculptures qui vivront à jamais. — Ce monument, tel qu'il était avec l'ensemble de sa situation, de son piédestal naturel, de ses gradins décorés de statues sans rivales, de ses formes grandioses, de son exécution achevée dans tous les détails, de sa matière, de sa couleur, lumière pétrifiée; ce monument écrase, depuis des siècles, l'admiration sans l'assouvir; — quand on en voit ce que j'en ai vu seulement, avec ses majestueux lambeaux mutilés par les bombes vénitiennes, par l'explosion de la poudrière sous Morosini, par le marteau de Théodore, — par les canons des turcs et des grecs; — ses colonnes en blocs immenses touchant ses pavés, ses chapiteaux écroulés, ses triglyphes brisés par les agents de lord Elgin, ses statues emportées par des vaisseaux anglais. — Ce qu'il en reste est suffisant pour que je sente que c'est le plus parfait poëme écrit en pierre sur la face de la terre; mais encore, je le sens aussi, c'est trop petit; l'effet est manqué, ou il est détruit. — Je passe des heures délicieuses couché à l'ombre des Propylées, les yeux attachés sur le fronton croulant du Parthénon; je sens l'antiquité tout entière dans ce qu'elle a produit de plus divin; — le reste ne vaut pas la parole qui le décrit! L'aspect du Parthénon fait apparaître, plus que l'histoire, la grandeur colossale d'un peuple. Périclès ne doit pas mourir! Quelle civilisation surhumaine que celle qui a trouvé un grand homme pour ordonner, un architecte pour concevoir, un sculpteur pour décorer, des statuaires pour exécuter, des ouvriers pour tailler, un peuple pour solder, et des yeux pour comprendre et admirer un pareil édifice? Où retrouvera-t-on et une époque et un peuple pareils? Rien ne l'annonce. à mesure que l'homme vieillit, il perd la séve, la verve, le désintéressement nécessaire pour les arts! Les Propylées, — le temple d'Érechthée ou celui des Cariatides, sont à côté du Parthénon. — Chefs-d'œuvre eux-mêmes, mais noyés dans ce chef-d'œuvre; l'âme, frappée d'un coup trop fort à l'aspect du premier de ces édifices, n'a plus de force pour admirer les autres; il faut voir et s'en aller, — en pleurant moins sur la dévastation de cette œuvre surhumaine de l'homme, que sur l'impossibilité de l'homme d'en égaler jamais la sublimité et l'harmonie. Ce sont de ces révélations que le ciel ne donne pas deux fois à la terre: — c'est comme le poëme de Job, ou le Cantique des cantiques; comme le poëme d'Homère, ou la musique de Mozart! Cela se fait, se voit, s'entend; puis cela ne se fait plus, ne se voit plus, ne s'entend plus, jusqu'à la consommation des âges. — Heureux les hommes par lesquels passent ces souffles divins! Ils meurent, mais ils ont prouvé à l'homme ce que peut être l'homme; et Dieu les rappelle à lui pour le célébrer ailleurs et dans une langue plus puissante encore! — J'erre tout le jour, muet, dans ces ruines, et je rentre l'œil ébloui de formes et de couleurs, le cœur plein de mémoire et d'admiration! Le gothique est beau; mais l'ordre et la lumière y manquent; — ordre et lumière, ces deux principes de toute création éternelle! — Adieu pour jamais au gothique.

[...]

Rebâtissons le Parthénon: cela est facile, il n'a perdu que sa frise et ses compartiments intérieurs. Les murs extérieurs ciselés par Phidias, les colonnes ou les débris des colonnes y sont encore. Le Parthénon était entièrement construit de marbre blanc, dit marbre pentélique, du nom de la montagne voisine d'où on le tirait. Il consistait en un carré long, entouré d'un péristyle de quarante-six colonnes d'ordre dorique. — Chaque colonne a six pieds de diamètre à sa base, et trente-quatre pieds d'élévation. — Les colonnes reposent sur le pavé même du temple, et n'ont point de base. à chaque extrémité du temple existe ou existait un portique de six colonnes. La dimension totale de l'édifice était de deux cent vingt-huit pieds de long sur cent deux pieds de large; sa hauteur était de soixante-six pieds. Il ne présentait à l'œil que la majestueuse simplicité de ses lignes architecturales. — C'était une seule pensée de pierre, une et intelligible d'un regard, comme la pensée antique. — Il fallait s'approcher pour contempler la richesse des matériaux, et l'inimitable perfection des ornements et des détails. — Périclès avait voulu en faire autant un assemblage de tous les chefs-d'œuvre du génie et de la main de l'homme, qu'un hommage aux dieux; — ou plutôt c'était le génie grec tout entier, s'offrant, sous cet emblème, comme un hommage lui-même à la divinité. Les noms de tous ceux qui ont taillé une pierre, ou modelé une statue du Parthénon, sont devenus immortels.

Oublions le passé, et regardons maintenant autour de nous, alors que les siècles, la guerre, les religions barbares, des peuples stupides, le foulent aux pieds depuis plus de deux mille ans.

Il ne manque que quelques colonnes à la forêt de blanches colonnes: elles sont tombées, en blocs entiers et éclatants, sur les pavés ou sur les temples voisins: quelques-unes, comme les grands chênes de la forêt de Fontainebleau, sont restées penchées sur les autres colonnes; d'autres ont glissé du haut du parapet qui cerne l'acropolis, et gisent, en blocs énormes concassés, les unes sur les autres, comme dans une carrière les rognures des blocs que l'architecte a rejetées. — Leurs flancs sont dorés de cette croûte de soleil que les siècles étendent sur le marbre: leurs brisures sont blanches comme l'ivoire travaillé d'hier. Elles forment, de ce côté du temple, un chaos ruisselant de marbre de toutes formes, de toutes couleurs, jeté, empilé, dans le désordre le plus bizarre et le plus majestueux: de loin, on croirait voir l'écume de vagues énormes qui viennent se briser et blanchir sur un cap battu des mers. L'œil ne peut s'en arracher; on les regarde, on les suit, on les admire, on les plaint avec ce sentiment qu'on éprouverait pour des êtres qui auraient eu ou qui auraient encore le sentiment de la vie. C'est le plus sublime effet de ruines que les hommes ont jamais pu produire, parce que c'est la ruine de ce qu'ils firent jamais de plus beau!

Si on entre sous le péristyle et sous les portiques, on peut se croire encore au moment où l'on achevait l'édifice; les murs intérieurs sont tellement conservés, la face des marbres si luisante et si polie, les colonnes si droites, les parties conservées de l'édifice si admirablement intactes, que tout semble sortir des mains de l'ouvrier: seulement le ciel étincelant de lumière est le seul toit du Parthénon, et, à travers les déchirures des pans de murailles, l'œil plonge sur l'immense et volumineux horizon de l'Attique. Tout le sol alentour est jonché de fragments de sculpture ou de morceaux d'architecture qui semblent attendre la main qui doit les élever à leur place dans le monument qui les attend. — les pieds heurtent sans cesse contre les chefs-d'œuvre du ciseau grec: on les ramasse, on les rejette, pour en ramasser un plus curieux; on se lasse enfin de cet inutile travail; tout n'est que chef-d'œuvre pulvérisé. — Les pas s'impriment dans une poussière de marbre; on finit par la regarder avec indifférence, et l'on reste insensible et muet, abîmé dans la contemplation de l'ensemble, et dans les mille pensées qui sortent de chacun de ces débris. Ces pensées sont de la nature même de la scène où on les respire; elles sont graves comme ces ruines des temps écoulés, comme ces témoins majestueux du néant de l'humanité; mais elles sont sereines comme le ciel qui est sur nos têtes, inondées d'une lumière harmonieuse et pure, élevées comme ce piédestal de l'acropolis, qui semble planer au-dessus de la terre; résignées et religieuses comme ce monument élevé à une pensée divine, que Dieu a laissé crouler devant lui pour faire place à de plus divines pensées! Je ne sens point de tristesse ici; l'âme est légère, quoique méditative; ma pensée embrasse l'ordre des volontés divines, des destinées humaines; elle admire qu'il ait été donné à l'homme de s'élever si haut dans les arts et dans une civilisation matérielle; elle conçoit que Dieu ait brisé ensuite ce moule admirable d'une pensée incomplète; que l'unité de Dieu, reconnue enfin par Socrate dans ces mêmes lieux, ait retiré le souffle de vie de toutes ces religions qu'avait enfantées l'imagination des premiers temps; que ces temples se soient écroulés sur leurs dieux: la pensée du Dieu unique jetée dans l'esprit humain vaut mieux que ces demeures de marbre où l'on n'adorait que ses ombres. à mesure que la religion se spiritualise, les temples païens s'en vont, les statues des demi-dieux descendent par degrés de leurs socles; ses temples deviennent plus nus et plus simples à mesure qu'ils résument davantage la grande pensée du Dieu unique prouvé par la raison et adoré par la vertu.»

ALPHONSE DE LAMARTINE, Souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un voyage en Orient, 1832-1833 ou Notes d'un voyageur, Paris, Hachette, 1874-1880



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«L'idéal cristallisé en marbre pentélique» (Ernest Renan)
«L'impression que me fit Athènes est de beaucoup la plus forte que j'aie jamais ressentie. Il y a un lieu où la perfection existe; il n'y en a pas deux: c'est celui-là. Je n'avais jamais rien imaginé de pareil. C'était l'idéal cristallisé en marbre pentélique qui se montrait à moi. Jusque-là, j'avais cru que la perfection n'est pas de ce monde; une seule révélation me paraissait se rapprocher de l'absolu. Depuis longtemps, je ne croyais plus au miracle, dans le sens propre du mot; cependant la destinée unique du peuple juif, aboutissant à Jésus et au christianisme, m'apparaissait comme quelque chose de tout à fait à part. Or voici qu'à côté du miracle juif venait se placer pour moi le miracle grec, une chose qui n'a existé qu'une fois, qui ne s'était jamais vue, qui ne se reverra plus, mais dont l'effet durera éternellement, je veux dire un type de beauté éternelle, sans nulle tache locale ou nationale. Je savais bien, avant mon voyage, que la Grèce avait créé la science, l'art, la philosophie, la civilisation; mais l'échelle me manquait. Quand je vis l'acropole, j'eus la révélation du divin, comme je l'avais eue la première fois que je sentis vivre l'évangile, en apercevant la vallée du Jourdain des hauteurs de Casyoun.»

ERNEST RENAN, Prière sur l'Acropole, Paris, Pelletan éditeur, 1899

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