Vasari Giorgio
Écrivain peu inspiré mais excellent narrateur, ses biographies des plus grands artistes italiens depuis le XIIIe siècle et Cimabue jusqu'à Titien, constituent une première tentative d'écrire l'histoire de l'art en tenant compte de la personnalité des artistes. Il faut remonter jusqu'à Pline l'Ancien pour trouver un panorama aussi complet de l'art d'une époque. Le sculpteur Lorenzo Ghiberti avait ouvert la voie quelques décennies auparavant avec ses Commentarii, sans toutefois s'appliquer, comme le fit Vasari, à un véritable travail d'historien, qui parcourut toute l'Italie, fréquentant les ateliers pour recueillir des témoignages de première main, visitant tous les palais pour voir de ses propres yeux les oeuvres des artistes, collectionnant dans son Libro dei Designi des dessins de ceux dont il admirait le plus le talent.
La célébrité même des biographies a occulté l'importance des autres textes qu'on retrouve dans les Vite, ceux sur l'histoire de la peinture et sur les techniques utilisées par les artistes et artisans de son époque. Le chapitre sur l'histoire de la peinture montre, au-delà de son mépris légendaire pour la "maniera grecqua", une connaissance étonnante de l'évolution de la peinture depuis l'Antiquité jusqu'à son époque, et des jugements plus nuancés que ce que l'histoire a retenu de sa conception de l'art.
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Vasari vu par Stendhal
«Ce fut un homme aimable, d'une belle figure, doué de quelques petits talents, de beaucoup d'adresse, et de persévérance, et d'une de ces âmes froides, très convenables pour faire son chemin dans le monde, et pour être un plat artiste.
George Vasari naquit à Arezzo d'une famille d'artistes. Michel-Ange et André del Sarto lui enseignèrent le dessin. Guillaume de Marcillat et Rosso, l'artde peindre. Mais sa principale école fut Rome, où il fut conduit par Hippolyte, cardinal de Médicis, dont il s était acquis la faveur. Ce cardinal le présenta ensuite à sa famille; il devint à Florence le directeur des arts et y fut comblé d'honneurs et de richesses. À Rome il dessina beaucoup d'après Michel-Ange. Raphaël et l'antique et se forma un style à peu près pareil à celui qui a été décrit au commencement de ce livre, à l'exemple des rands artistes de ce temps, il s'appliqua l'architecture et y acquit du talent. Comme eux, il put élever un palais, l'orner de peintures à fresque et à l'huile, d'orne-ments de tous les genres et le livrer enfin prêt à être habité au souverain qui l'avait désiré. Vasari acquit de la réputation et remplit de ses ouvrages toute l'Italie, depuis Naples jusqu'à Venise et Alexandrie. Accrédité par ses nombreux travaux, aidé de l'estime et de l'amitié de Michel-Ange dont il fut le flatteur assidu, il fut invité par Côme 1er à passer à sa Cour. Il arriva à Florence en 1553, amenant avec lui les nombreux élèves par lesquels il se faisait aider. Il arrivait dans un moment opportun pour sa gloire, quand les artistes que nous avons nommés étaient ou morts, ou dans une vieillesse avancée. Il présida à tous les grands travaux qu'ordonna Côme 1er. Le bâtiment appelé degli Uffizi fut élevé sur ses dessins, et il a en Italie une réputation méritée. Il orna de pein-tures le vieux palais. Une voûte de ce bâtiment représente le couronnement de Charles-Quint par Clément VII. C'est un de ses meilleurs ouvrages. S'il n'était resté de lui que le petit nombre de ceux qu'il fit avec application, il aurait mérité quelque réputation et occuperait un rang distingué parmi les hommes médiocres qui, â force de travail, ont fait quelque chose en peinture. Ce serait un Marmontel, un Laharpe.
Mais il a donné prise à la critique, en laissant une quantité énorme de mauvais ouvrages, peints avec une extrême rapidité par lui ou par ses élèves et qui, d'ailleurs, étant travaillés avec peu de couleurs et nullement empâtés, ont été cruellement maltraités par le temps. Ces méthodes expéditives du premier peintre de la cour de Florence et les raisonnements par lesquels il cherche à les justifier, dans un ouvrage qui a été longtemps le manuel des artistes, ont été une des principales causes de la décadence de l'art en Toscane.
Les hommes de lettres de la cour de Florence avec lesquels il vivait, Annibal Caro, Paul Jove, d'autres encore et parmi eux le cardinal Farnèse, l'engagèrent à rassembler des notes sur tous les artistes connus alors, en commençant par Cimabue. Le projet était qu'il donnerait tous les faits relatifs aux peintres et tous les jugements sur leurs ouvrages à Paul Jove, qui les mettrait en ordre, et leur donnerait les grâces du style. Mais quand il lut son travail à ses amis ils Furent plus satisfaits de son style qu'ils ne s'y attendaient ett trouvèrent que puisqu'il savait rendre sa pensée, il était plus à même que Paul Jove d'employer les termes de l'art d'une manière judicieuse. Il resta donc chargé de tout ce travail. En 1547, il le porta tout terminé à Rimini et pendant qu'il y peignait dans le couvent des Olivetains, le père Factani, abbé du monastère, corrigeait le manuscrit et le faisait tran-scrire par ses moines. Peu après l'ouvrage fut envoyé à Annibal Caro qui le trouva fort bien et qui seulement désira un peu plus de naturel dans le style. Ce défaut fut corrigé et ce livre célèbre parut enfin en 1550 à Florence 2 vol. in-4°, sous le titre de Vies des Peintres, Sculpteurs et Architectes les plus illustres.
Mais Vasari, malgré les flots de louanges dont il inonda son livre, sentit le danger d'écrire une histoire presque contemporaine. Ce qui fait maintenant le mérite de son ouvrage, les anecdotes qu'on y trouve sur quelques peintres, blessèrent beaucoup d'amours-propres. Il entreprit une seconde édition de son histoire, adoucit tout ce qui pouvait offenser, entreprit un nouveau voyage en Italie, pour revoir les ouvrages qu'il jugeait, et enfin fit paraître cette seconde édition en 1568. On y trouve de très beaux morceaux de philosophie et de morale chrétienne que lui avaient four-nis ses amis, mais aussi beaucoup d'erreurs de noms et de dates. Erreurs très excusables aux yeux de ceux qui connaissent par expérience, le vague de ce qu'on appelle la tradition,qui savent que le même nom en Italie change de prononciation et d'orthographe à chaque porte, mais qui ont produit des commentaires inexcusables, pleins d'un bavardage, d'une minutie et d'une partialité énormes.»
STENDHAL, Écoles de peinture italiennes, tome II, Paris, Le Divan, 1932
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La légende dorée de l'art italien
«L’Italie, il est vrai, a eu deux bonnes fortunes refusées à la France, et dont il importe de tenir un grand compte: celle d’avoir conservé intactes les œuvres de ses anciens maîtres et celle d’avoir eu, grâce à Vasari, sa légende dorée de l’art. Maîtres de l’opinion aux XVIe et XXVIIe siècles, les Italiens dispensèrent trop souvent la renommée selon leurs préventions ou leurs dédains. Sans contredit, la France du XIIe et du XIIIe siècle posséda dans son sein un mouvement d’écoles comparable à celui de l’Italie du XIVe siècle; mais elle n’eut pas de narrateur légendaire pour ce grand développement. Ses génies créateurs ne sont guère connus que de nom ou par les chétives images qui nous les montrent sur le pavé de leurs églises, revêtus de l’humble manteau de l’ouvrier.»
ERNEST RENAN, "L'art du moyen âge" in Mélanges d'histoire et de voyage, Paris, Calmann-Levy, 1878. Voir ce texte