Miron Gaston

08/01/1928-14/12/1996
Extraits de la préface d'André Brochu
«De tous les poètes québécois, Gaston Miron est sans doute le plus connu et le plus aimé en France. Une association, Les Amis de Gaston Miron, regroupe des poètes et des écrivains de l'Hexagone (...) qui lui vouent par delà la mort un culte véritablement amical et qui perpétuent sa mémoire. Celui qui fut, avec d'autres, le fondateur de l'Hexagone - le nôtre - et qui en fut l'âme pendant tant d'années décisives pour le développement de notre littérature, n'est pas pour rien devenu, au cours des ans, le compagnon fêté des André Frénaud, Jean-Pierre Faye, Henri Meschonnic ou Édouard Glissant. Le nom même de la maison d'édition, fondée en 1953 et destinée à promouvoir la poésie québécoise, a des connotations ouvertement françaises, car il ne s'agit pas de créer un régionalisme de plus, ni de gommer la dimension politique, mais d'inscrire dans l'ici le coeur même d'une francophonie à créer, avec et, parfois, malgré la France.

Gaston Miron, le plus québécois des poètes (et le plus poète des Québécois), est tout le contraire d'un régionaliste. Il a passé pourtant par l'école du folklore, l'Ordre de Bon Temps, et sa poésie ne dédaigne rien des réalités locales, fardoches, achigan, orignal, voire les misères du cheap work qui font le pain quotidien du damned Canuck. Mais de tout cela, il fait une plainte et un chant d'une gravité et d'une beauté sans pareilles, où s'accomplissent des épousailles inédites entre la langue (québécoise et française) et un vécu tout ensemble social, géographique, culturel et personnel. (...)

Le tout: tel est bien l'objet visé par un homme, héritier d'un triste héritage, celui de la résignation collective et d'un catholicisme exacerbé qui fut longtemps la seule défense contre l'assimilation. Le catholicisme promettait la vie éternelle; il fallait concevoir la vie sur terre, dans un pays à soi, remplacer un tout idéal par celui, réel, des pratiques quotidiennes de nouveau dotées d'un sens et permettant l'épanouissement de chacun. Dépossédé du réel, l'homme québécois devait réinventer le réel et le monde.»


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Retrouve-t-on Miron dans la poésie des jeunes poètes?, interrogait Elisabeth Nardout-Lafarge à Pierre Nepveu, poète lui-même, professeur de littérature et préfacier de Miron chez Typo en 1993 :

« Non, ou très peu. Pourquoi? La réponse la plus évidente réside dans l'évolution de la poésie depuis les années soixante-dix, marquée par un effacement de la problématique identitaire, de la revendication communautaire et politique liée à l'idée de recommencement, à l'idée de révolution, à l'idéologie de la libération. Toute référence à ce qu'on appelle la poésie nationale crée un certain malaise chez lesjeunes poètes dont l'écriture suppose et revendique souvent une distance par rapport au politique. Cet évanouissement du politique au sens très large se constaterait aussi bien dans les poésies française, américaine ou canadienne-anglaise contemporaines.

Mais cette explication n'est pas suffisante. La question est aussi esthétique. La grande rhétorique, aux sources poétiques assez anciennes, qui caractérise dans une large mesure l'écriture de Miron, véhicule une vision du monde épique et héroïque. Ce ton et ce modèle ont disparu de la poésie actuelle. Certains jeunes poètes réagissent à une sorte de chaos et de désordre ambiant. Les thèmes de la vie urbaine sont très présents chez eux. Leurs textes miment très agressivement — au risque de leur qualité poétique — ce chaos, ils exhibent le sordide de la ville, la pauvreté, la misère, l'errance, la drogue, ils frôlent volontiers la folie. Face à la même réalité, une autre réaction se caractérise par le refuge dans l'intime, la plongée dans l'intériorité ou dans une certaine spiritualité, sur un ton beaucoup plus mesuré, qui opte pour un certain prosaïsme. Ces préoccupations sont très éloignées de l'univers et du ton mironiens. Elles n'adoptent pas non plus le même vers. Le vers de Miron, souvent une sorte d'alexandrin allongé et très rythmé, tend à disparaître dans la poésie actuelle. »

(Source: Lardout Lafarge, Elisabeth et Stéphane Vachon, « Préfacer Miron, entretient avec Pierre Nepveu », dans la revue « Études françaises », vol. 35, no 2-3 : « Gaston Miron : un poète dans la cité », 1999, p.170)


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« É. F. : L'universalité n'est-elle pas une des conditions d'un classique? De ce point de vue, le «Miron dépaysé» que vous proposiez en 1979 dans Les mots à l'écoute n'est-ïl pas le chantier à poursuivre aujourd'hui contre la monumentalisation et contre l’enracinement?

P. N.: La préoccupation de l'universel est explicite chez Miron: on accède à l'universel par le particulier; or une culture minoritaire, relativement marginale comme la culture québécoise n'est pas d'emblée universelle. L'universel n'est pas donné pour elle, il se gagne. Saint-Denys-Garneau, peu préoccupé par les questions nationales, dit la même chose dans son Journal; mais William Carlos Williams, qui commence à écrire dans les années vingt, et qui est américain, exprime la même idée dans les mêmes mots. Il y a là une expérience des Amériques :provincialisme et étrangeté au monde. C'est ence sens que j'ai parlé de «Miron dépaysé», ce qui ne signifie pas la répudiation de toute lecture «enracinée », celle que Miron lui-même faisait de Neruda, de Césaire et de tant d'autres. La notion de dépaysement me vient de Miron lui-même, chez qui le pays n'est nommé qu'à partir d'un profond dépaysement, d'une étrangeté radicale, l'impression d'une sorte de nulle part, d'un lieu qui n'existe pas encore, à venir. On retrouve ici une importante thématique à laquelle renvoie une tradition qui passe par Nelligan, par Saint-Denys-Garneau, par Anne Hébert et d'autres encore. Le philosophe Lévinas dit des choses trèsjustes sur les notions d'habitation et de lieu. Au rebours de l'équivalence, souvent posée au Québec, entre «habiter un espace» ou «habiter un lieu» et y «être enraciné», pour Lévinas, qui se réfère à l'espace concret de la maison, de la demeure, habiter c'est être déraciné, c'est prendre une distance par rapport au continuum naturel, c'est se retirer. L'habitation sépare du terroir. Cette idée a nourri philosophiquement ma lecture de Miron. La demeure est chez lui toujours un peu à venir.

É. F.: " Me voici en moi comme un homme dans une maison / qui s'est faite en son absence / je te salue, silence / je ne suis pas revenu pour revenir / je suis arrivé à ce qui commence " ...

P. N.: Oui, il ne s'agit pas d'enracinement dans ce poème liminaire où la maison a une fonction inaugurale : rien n'est encore donné. Cette notion de l'enracinement est d'ailleurs très peu présente chez Miron. L'imagerie mironienne est bien plutôt celle de l'errance en quête d'une demeure. Ce «Miron dépaysé» m'était donc suggéré par l'œuvre d'abord, par certaines préoccupations philosophiques ensuite, et par ma propre distance face à la revendication territoriale enfin ».

(Source: Lardout Lafarge, Elisabeth et Stéphane Vachon, « Préfacer Miron, entretient avec Pierre Nepveu », dans la revue « Études françaises », vol. 35, no 2-3 : « Gaston Miron : un poète dans la cité », 1999, p.170)





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Jugements sur Miron

DOMINIQUE NOGUEZ
« Miron est-il un bon poète, un grand poète? Répondons sans détour. Un bon poète, pas toujours. Un grand poète, oui, et justement à cause de ce qui l’a parfois empêché d'en être un bon.
(...) Oui, Miron est un grand poète. Le paradoxe que je voudrais redire en terminant, c'est qu'il ne l’est pas seulement à cause de ces beaux vers-là, mais au moins autant à cause des plaintes et des analyses que lui inspire son empêchement personnel et collectif d'en faire davantage, de n'avoirpas que cela à faire — plaintes tantôt amères et ironiques, tantôt rageuses et accusatrices ; analyses implacables comme un étau, lucides comme le petit matin, dures comme l'os —, bref à cause de tout ce qu'il a inscrit de nonpoème (d'apparemment non-poème) dans le poème. »

(Noguez, Dominique, « Le poète en souffrance », dans la revue « Études françaises », vol. 35, no 2-3 : « Gaston Miron : un poète dans la cité », 1999, p.170, pages 21-23)

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