Efficience

On confond fréquemment efficacité et efficience, considérant l'un et l'autre mot comme synonyme de rendement. C'est ainsi qu'au mot efficacité, on peut lire, dans le Petit Robert: «capacité de produire le maximum de résultats, avec le minimum d'effort, de dépense.» Cet exemple conviendrait mieux au mot efficience.

Littré donne comme premier exemple d'efficacité celle du remède. C'est également du monde médical que nous viendra par la suite une distinction fort utile entre efficacité et efficience. Dans un ouvrage intitulé Effectiveness (efficicacité) et Efficiency (efficience), l'épidémiologiste anglais Archibald Cochrane distingue l'efficacité d'un remède ou d'un traitement de son efficience.

«Efficacité: Aptitude d'une activité médicale à modifier le cours naturel d'une maladie L'efficacité est généralement évaluée par la technique de l'essai contrôlé (cf. R.C.T.) dans un groupe restreint de sujets.

Efficience: «Rendement » d'une activité médicale s'exerçant dans la collectivité ; rapport entre le coût (crédits, main-d'oeuvre, ressources matérielles) et les avantages pour la population concernée (diminution de la mortalité, de la morbidité, de la « souffrance» individuelle et des inégalités devant la maladie). Une activité médicale (thérapeutique ou préventive) dont l'efficacité a été établie par un essai contrôlé, peut se révéler inefficiente si les moyens mis en oeuvre pour sa réalisation dans la collectivité sont trop complexes et trop onéreux, ou si elle est appliquée à mauvais escient.» (Archibald L. Cochrane, L'inflation médicale, Réflexions sur l'efficacité de la médecine, éditions Galilée, Paris 1977, p.1.) (Voir aussi cet entretien avec A.Cochrane sous le titre Efficacité et rendement.

Il convient de donner une portée universelle à cette distinction: l'effacité c'est le résultat, et l'efficience c'est le résultat au meilleur coût, le mot coût englobant ici les coûts humains et écologiques. Pour mettre l'accent sur l'importance de tenir compte des coûts écologiques, on a créé l'expression éco-efficience. Il serait peut-être préférable de renforcer l'idée que l'idée d'efficience englobe celle d'éco-efficience.

Si l'on veut bien admettre que la prise en compte des coûts personnels est encore plus importante que celle des côuts écologiques, on voudra utiliser le mot efficience pour désigner le résultat obtenu au moindre coût personnel.

L'efficience devient alors une vertu, la vertu de celui qui se regénère en travaillant, qui s'enrichit en se donnant, qui produit des résultats sans hypothéquer son capital naturel personnel. «Charité bien ordonnée commence par soi-même, disait-on dans la chrétienté.

Nous retrouvons ici le prattein d'Aristote, l'action qui ne consiste pas uniquement comme lepoiein, à faire des choses, mais à se faire soi-même en faisant des choses.

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Enjeux

Il vaut mieux vivre de ses rentes que de son capital. Le bon sens le plus élémentaire nous le rappelle. La réflexion sur le développement durable nous a fait redécouvrir que le même raisonnement s’applique au capital naturel. L’humus par exemple, la partie vivante du sol, fait partie de notre capital naturel. Il est aussi absurde de le laisser se dégrader pour accroître artificiellement la productivité de l’agriculture que de prendre sur son capital économique alors que l’on pourrait vivre de ses rentes.

L’une et l’autre question font partie du débat politique. Chose étonnante, le capital naturel personnel, l'humus intérieur, cette réserve qui rend la création possible, n'a pas droit aux mêmes honneurs. Certes on se soucie de la santé et de la sécurité des personnes, parfois jusqu'à l'obsession. Mais on peut être en parfaite sécurité et en parfaite santé, selon la définition la plus courante, l'absence de maladie, tout en hypothéquant jour après jour son capital personnel, tout en étant de moins en moins efficient.

Or de toute évidence l'avenir d'une collectivité dépend encore plus de l'état du capital personnel de ses membres que de l'état de son capital économique ou écologique. Il est donc de la plus haute importance de veiller sur ce capital personnel

L'estime de soi est indissociable de l'efficience, L'effort est seulement efficace. S'il n'est pas tempéré par le souci de l'efficience accompagnant l'estime de soi, il produit des résultats à un coût trop élevé: la dégradation du capitale naturel personnel.

Voici quelques règles pour accéder à l'efficience.


1) Accorder aux idées leur juste prix

Dans une économie du savoir, comme est la nôtre, ce sont ce sont les bonnes idées qui font les grands résultats. Il faut hélas! le rappeler car la plupart d'entre nous vivent le travail intellectuel avec la mentalité des ouvriers de la fin du XIXe siècle.

Voici à titre d'exemple, une bonne idée qui vaut à elle seule un millénaire de sueur médicale.
Au XIXe siècle, le taux de mortalité dans les maternités des hôpitaux européens pouvaient atteindre 40%. Le docteur Philip Ignace Semmelweiss a eu l'idée de demander aux médecins qui faisaient les accouchements de se laver les mains avant d'intervenir. Du jour au lendemain, Semmelweis a obtenu dans ses services des résultats comparables à ceux d'aujourd'hui. Malheureusement une contre-expertise commandée par les plus grands médecins d'Europe a joué en sa défaveur et les femmes ont continué de mourir des fièvres puerpérales pendant cinquante autres années.

Même dans le travail manuel, ce sont les bonnes idées analogues à celle de Semmelweiss, si modeste soit-elle, qui détermine le résultat. Du premier jour au dernier que j'ai passé dans un milieu de travail normal, j'ai vu partout autour de moi des gens qui s'épuisaient inutilement à défaut d'avoir de bonnes idées et de les suivre. Par quel étrange masochisme étaient-ils minés? Comment repérer et éliminer les comportements au travail et à la maison qui ne sont pas dictés par le souci du résultat, mais par une obscure volonté de se punir soi-même et de punir son entourage.

2) Ne rien faire/Tout faire faire/Ne rien laisser faire

Voici la règle d'argent. Vous me direz qu'il s'agit là d'une règle méprisante pour les plus humbles d'entre nous. C'est là une bien mauvaise interprétation. Les personnes les mieux placées pour faire les choses à notre place sont souvent celles qui nous sont supérieures. J'ai appris cela très tôt dans ma carrière. Au cours de la décennie 1970, j'ai fondé et dirigé la revue Critère, un périodique interdisciplinaire. En vue d'un numéro sur le crime que nous songions à faire, j'avais commandé aux services informatiques une bibliographie détaillée sur le sujet. Il aurait fallu cinq ans à une équipe de 10 chercheurs pour tirer un bon numéro de revue de cet océan d'informations. J'ai alors appris qu'il y avait à l'Université de Montréal, au département de criminologie, un certain professeur Ellenberger, un homme d'une érudition exceptionnelle qui avait de notre sujet une vue d'ensemble aussi bien qu'une bonne connaissance des détails. Je suis allé le rencontrer. Je suis sorti de son bureau deux heures plus tard avec un excellent plan pour notre numéro, un intermédiaire pour entrer en contact avec des collaborateurs de premier ordre et un ami. J'ai appliqué ensuite la même méthode dans tous mes travaux, chaque fois que la chose a été possible. Comme il nous sentent et nous savent alors humbles par rapport à nos maîtres, nos collaborateurs sont plus disposés encore à nous aider que si nous prétendions pouvoir tout faire nous-mêmes. La chose la plus difficile c'est de ne rien laisser faire, mais même en cela on peut se faire aider.

3) Subordonner l'effort au résultat

En raison de l'égalitarisme ambiant et d'autres vertus chrétiennes devenues folles, nous habituons les enfants dès leur plus jeune âge à l'idée que c'est l'effort qui importe. Nous sommes satisfaits d'eux si nous estimons qu'ils ont fait ce qu'ils pouvaient pour obtenir les meilleurs résultats. Nous devrions plutôt les orienter vers les domaines où ils obtiennent les meilleurs résultats avec le minimum d'efforts et le maximum de plaisir. Par notre méthode actuelle, nous entretenons une mentalité déplorable telle que ceux-là mêmes qui sont capables de résultats vont cultiver l'effort inutile. Le résultat sans l'effort est un scandale pour plusieurs. Ce type de morale n'a pas sa place au travail où il faut au contraire viser le résultat sans effort.

4) Déduire du résultat les pertes en capital naturel personnel

C'est le principe du pollueur payeur appliqué au capital naturel personnel. Vous me direz que nous manquons de méthodes et d'outils pour évaluer les atteintes au fonds vital. Bien des gens semblent en effet dépourvus sur ce plan. Ils ignorent où sont les indicateurs de l'état de leur créativité. Comme «la perte de l'âme est indolore,» nous attendons pour la diagnostiquer des crises majeures qui sont souvent irréversibles: dépression, burn-out, cancer. Nous attendons d'être à moitié morts pour découvrir que nous sommes malades. Il existe pourtant des méthodes et des outils pour faire le diagnostic avant qu'il ne soit trop tard.

En voici une. Essayer de revivre par la pensée les moments de votre vie, où vous a-t-il semblé, votre créativité atteignait un sommet. Établissez ensuite une liste des défis que vous releviez alors avec allégresse: trouver une solution originale à un vieux problème de géométrie, apprendre des poèmes par coeur, vous initier à un nouvel instrument de musique en quelques semaines etc. Demandez-vous ensuite si vous pourriez faire des choses équivalentes aujourd'hui avec la même allégresse.

La seconde méthode est expérimentale. Prenez un congé sabbatique de six mois, allez faire l'Appalachian Trail ou le Chemin de Compostelle, si vous êtes sédentaire construisez une grande de vos mains. À la fin de cette purification, prenez note des défis que vous aurez plaisir à relever et comparez vos performances avec celles d'avant votre congé.

5) Ne pas confondre l'action avec la passivité agitée.

C'est la volonté présente dans nos gestes qui leur donne le statut d'action. Quand j'applaudis par mimétisme ou par conformisme plutôt qu'à la suite d'un jugement personnel, je n'agis pas je suis agi, je m'agite. Bien des gens s'agitent au travail.

6) Savoir doser la vitesse et la lenteur dans l'exécution des tâches

La lenteur peut être créatrice et la vitesse contre-productive. Il y des choses qu'on ne peut faire bien qu'en les faisant vite: faire sauter des crêpes par exemple. Certains en concluent que l'efficacité dans le travail consiste à faire sauter des crêpes en permanence. Ils oublient que le pot au feu exige un autre rythme.

7) Aborder les défis en athlète plutôt qu'en victime

Cette idée, assez banale je le reconnais, est associé à une histoire bien concrète, celle d'une amie qui est sûrement l'une des femmes les plus occupées du monde, puisqu'elle est responsable des politiques de l'emploi et de la santé dans l'une des plus grandes administrations du monde. Après le dernier G8 de ce secteur à Montréal, en mai dernier, elle a trouvé le moyen de venir passer 36 heures avec nous, même si elle avait d'autres missions à l'étranger la semaine suivante. Elle a enchanté notre fin de semaine par son attention aux petites choses de notre vie, par l'évocation de nos souvenirs communs, tout en trouvant le temps de tirer l'essentiel de deux ou trois livres trouvés dans notre bibliothèque. Bel exemple d'une personne qui prend les défis en athlète. Quel est le secret de ces personnes? Elles sont à la hauteur de leurs responsabilités et ont le don de vivre sous la forme d'un plaisir de la vie privée diverses choses qui sont de plus grande utilité pour leur travail. La façon dont notre amie a profité de notre information et de notre bibliothèque est un bel exemple de ce dont je parle.

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