Éco-efficacité

Essentiel

Jusqu’à maintenant, la réaction typique à la destruction industrielle a été d’essayer d’être moins mauvais. On a choisi de réduire, éviter, minimiser, limiter, arrêter, etc. Ces termes sont depuis longtemps au coeur du programme des environnementalistes. En 1987, dans le rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, intitulé Our Common Future, l’ONU a introduit le concept d’éco-efficacité: «On doit encourager les industries et les procédés industriels qui sont plus efficaces en termes d’utilisation des ressources, qui génèrent moins de pollution et de déchets, qui dépendent des sources renouvelables d’énergie plutôt que de l’énergie dérivée des combustibles fossiles, et qui minimisent leurs impacts nuisibles sur la santé humaine et celle de l’environnement».

L’éco-efficacité s’est tracé une voie dans le milieu industriel avec un succès remarquable. Le nombre d’entreprises adoptant ce principe ne cesse d’augmenter, incluant des géants industriels comme Monsanto, 3M et Johnson & Johnson. Cette tendance est entretenue par les bénéfices économiques générés par l’éco-efficacité, qui peuvent être considérables. Ainsi, dès 1997, 3M avait économisé plus de $750 millions au moyen de ses programmes de prévention de la pollution. Les fameux 3Rs associés à ce mouvement gagnent toujours en popularité: réduire, réutiliser, recycler. On pourrait ajouter réglementer.

Qu’il s’agisse de diminuer la quantité de déchets toxiques ou le volume des émissions polluantes, la quantité de matières premières utilisées ou même la taille des produits (dématérialisation), la réduction est le principe central de l’éco-efficacité. Mais la réduction dans l’un ou l’autre de ces domaines ne stoppe pas l’appauvrissement ni la destruction, elle ne fait que les ralentir, leur permettant de progresser plus lentement, sur une plus longue période de temps. Bien sûr, minimiser les rejets toxiques générés par les industries est un objectif louable. Mais des études récentes démontrent qu’à long terme, même les émissions négligeables de matières dangereuses peuvent avoir des effets désastreux sur les systèmes vivants. De plus, la plupart des études menées sur les dangers reliés aux produits chimiques industriels n’ont porté que sur leur potentiel cancérigène, alors que les recherches sur les autres effets négatifs reliés à l’exposition à ces produits ne font que commencer. Un cas particulièrement inquiétant est celui des perturbateurs endocriniens, ces infimes particules qui imitent les oestrogènes naturels et dérèglent le système endocrinien des organismes vivants qui les absorbent en occupant leurs récepteurs hormonaux. On les trouve dans une variété de plastiques modernes. L’air, l’eau et le sol ne peuvent pas absorber nos déchets de façon sécuritaire à moins que ces déchets ne soient complètement salubres et biodégradables. Nous en savons trop peu sur les polluants industriels et leurs effets sur les systèmes naturels pour que la stratégie de la réduction soit viable à long terme.

La réduction des déchets peut cependant constituer une première étape efficace dans la démarche vers le développement durable. Ainsi, les premiers efforts d'Interface ont porté sur cette réduction. Par exemple, on a réussi à détourner une multitude de boîtes de carton des dépotoirs en utilisant plutôt des tubes de fil réutilisables. En convertissant les carreaux de tapis au système métrique, on a pu réduire de 20 000 verges carrées les pertes en retailles. À l’usine de Belleville, la compagnie a réduit de 90% la quantité de déchets dirigée vers les sites d'enfouissement, passant de 474 tonnes à 37 tonnes. Au début, la compagnie de collection des déchets croyait que l’usine se préparait à fermer ses portes. Pour ce faire, Interface a mis à profit le talent et la créativité de tous ses employés au moyen d'un programme de bonus appelé QUEST (Quality Utilizing Employee Suggestions and Teamwork). Cette initiative a permis des économies substantielles en incitant tout le monde à traquer le moindre déchet, le moindre gaspillage de matière première ou d'énergie et à faire des suggestions pour améliorer les pratiques de la compagnie. Le programme QUEST a généré des épargnes de $3 millions CAN à l’usine de Belleville et la compagnie Interface dans son ensemble a sauvé $90 millions US. Ces économies ont servi à financer les étapes suivantes.

La réutilisation des déchets est une autre stratégie louable, qui peut aussi receler quelques pièges. Par exemple, l’utilisation des boues d’épuration comme produits de fertilisation est fondée sur la bonne intention de réutiliser les nutriments; mais de la façon dont elles sont actuellement traîtées, ces boues peuvent contenir des substances dangereuses. Par exemple, les boues résiduaires des égoûts municipaux qui contiennent du papier hygiénique recyclé peuvent contenir des dioxines.

La plupart du recyclage (recycling) est en fait un «décyclage» (downcycling), i.e. que la qualité du matériel est réduit. Par exemple, quand les plastiques autres que ceux des bouteilles d’eau et de soda sont recyclés, ils sont mélangés à d’autres sortes de plastiques, ce qui produit un hybride de moindre qualité. Quand ils sont fondus et mélangés, les polymères dans le plastique - les chaînes de molécules qui le rendent fort et flexible - sont raccourcis. Comme les propriétés matérielles du plastique recyclé sont altérées, (son élasticité, sa limpidité et sa résistance à la traction sont diminuées), il faut ajouter des additifs chimiques ou minéraux pour obtenir la performance désirée. En conséquence, le plastique «décyclé» peut être plus nocif pour l’environnement. Le seul fait qu’un produit soit recyclé ne le rend pas automatiquement inoffensif pour l’environnement, spécialement s’il n’a pas été conçu pour être recyclé.

Au lieu de présenter une vision inspirante et excitante du changement, les approches environnementales conventionnelles se concentrent sur ce qu’il ne faut pas faire. On force les compagnies à se conformer à des règlements sous peine de sanction, mais on les récompense rarement pour leurs initiatives heureuses. Comme les règlements exigent des solutions en aval, uniformisées, plutôt qu’une révision en profondeur du design, ils ne favorisent pas la créativité dans la solution des problèmes. De plus, ils alimentent la dynamique d’affrontement entre les industries et les écologistes. Parce que les règlements font figure de châtiment, les industriels les trouvent coûteux et contraignants.

Enjeux

L’éco-efficacité est un noble concept, mais ce n’est pas une stratégie de succès à long terme parce qu’elle reste superficielle. Elle fonctionne avec le même système qui a créé le problème à l’origine, en le ralentissant par des proscriptions morales et des mesures punitives. En se fiant à l’éco-efficacité pour sauver l’environnement, on risque d’obtenir exactement le contraire; l’industrie va terminer son travail de destruction, discrètement, continuellement et complètement. Surtout qu’un écosystème a plus de chance de récupérer après un effondrement soudain, qui laisse quelques niches intactes, que lorsqu’il est soumis à une lente destruction délibérée et efficace.

Articles





L'Agora - Textes récents

  • Vient de paraître

    Lever le rideau, de Nicolas Bourdon, chez Liber

    Notre collaborateur, Nicolas Bourdon, vient de publier Lever de rideau, son premier recueil de nouvelles. Douze nouvelles qui sont enracinées, pour la plupart, dans la réalité montréalaise. On y retrouve un sens de la beauté et un humour subtil, souvent pince-sans-rire, qui permettent à l’auteur de nous faire réfléchir en douceur sur les multiples obstacles au bonheur qui parsèment toute vie normale.

  • La nouvelle Charte des valeurs de Monsieur Drainville

    Marc Chevrier
    Le gouvernement pourrait décider de ressusciter l'étude du projet de loi 94 déposé par le ministre de l'Éducation, Bernard Drainville. Le projet de loi 94 essaie d’endiguer, dans l’organisation scolaire publique québécoise, toute manifestation du religieux ou de tout comportement ou opinion qui semblerait mû par la conviction ou la croyance religieuse.

  • Billets de Jacques Dufresne

    J'ai peur – Jour de la Terre, le pape François, Pâques, les abeilles – «This is ours»: un Texan à propos de l'eau du Canada – Journée des femmes : Hypatie – Tarifs etc: économistes, éclairez-moi ! – Musk : danger d'être plus riche que le roi – Zelensky ou l'humiliation-spectacle – Le christianisme a-t-il un avenir?

  • Majorité silencieuse

    Daniel Laguitton
    2024 est une année record pour le nombre de personnes appelées à voter, mais c'est malheureusement aussi l’année où l'abstentionnisme aura mis la démocratie sur la liste des espèces menacées.

  • De Pierre Teilhard de Chardin à Thomas Berry : un post-teilhardisme nécessaire

    Daniel Laguitton
    Un post-teilhardisme s'impose devant l'évidence des ravages physiques et spirituels de l'ère industrielle. L'écologie intégrale exposée dans les ouvrages de l'écothéologien Thomas Berry donne un cadre à ce post-teilhardisme.

  • Réflexions critiques sur J.D. Vance du point de vue du néothomisme québécois

    Georges-Rémy Fortin
    Les propos de J.D. Vance sur l'ordo amoris chrétien ne sont somme toute qu'une trop brève référence à une théorie complexe. Ce mince verni intellectuel ne peut cacher un mépris égal pour l'humanité et pour la philosophie classique.

  • François, pape de l’Occident lointain

    Marc Chevrier
    Selon plusieurs, François a été un pape non occidental parce qu'il venait d'Amérique latine. Ah bon ? Cette Amérique se tiendrait hors de l'Occident ?

  • L'athéisme, religion des puissants

    Yan Barcelo
    L’athéisme peut-il être moral? Certainement. Peut-il fonder une morale? Moins certain, car l’athéisme porte en lui-même les semences de la négation de toute moralité.

  • Entre le bien et le mal

    Nicolas Bourdon
    Une journée d’octobre splendide, alors que je revenais de la pêche, Jermyn me fit signe d’arrêter. « Attends ! J&

  • Le racisme imaginaire

    Marc Chevrier
    À propos des ouvrages de Yannick Lacroix, Erreur de diagnostic et de François Charbonneau, L'affaire Cannon

  • Le capitalisme de la finitude selon Arnaud Orain

    Georges-Rémy Fortin
    Nous sommes entrés dans l'ère du capitalisme de la finitude. C'est du moins la thèse que Arnaud Orain dans son récent ouvrage, Le monde confisqué