Délice

L'adjectif délicieux est devenu banal, c'est le mot délice qui en conserve la substance, comme dans ces vers du Cimetière marin de Paul Valéry

 

«Comme le fruit se fond en jouissance,
Comme en délice il change son absence
Dans une bouche où sa forme se meurt, »

Le délice c'est ce qui vient après la jouissance, c'est comme le précise ailleurs Valéry l'infini esthétique qui succède au fini physiologique.

«La plupart de nos perceptions excitent en nous, quand elles excitent quelque chose, ce qu’il faut pour les annuler ou tenter de les annuler. Tantôt par un acte, réflexe ou non, – tantôt par une sorte d’indifférence, acquise ou non, nous les abolissons ou tentons de les abolir. Il existe en nous à leur égard une tendance constante à revenir au plus tôt à l’état où nous étions avant qu’elles se soient imposées ou proposées à nous : il semble que la grande affaire de notre vie soit de remettre au zéro je ne sais quel index de notre sensibilité, et de nous rendre par le plus court un certain maximum de liberté ou de disponibilité de notre sens.

Ces effets de nos modifications perceptibles qui tendent à en finir avec elles sont aussi divers qu’elles-mêmes sont diverses. On peut toutefois les assembler sous un nom commun, et dire : l’ensemble des effets à tendance finie constitue l’ordre des choses pratiques.


Mais il est d’autres effets de nos perceptions qui sont tout opposés à ceux-ci : ils excitent en nous le désir, le besoin, les changements d’état qui tendent à conserver, ou à retrouver, ou à reproduire les perceptions initiales.

Si un homme a faim, cette faim lui fera faire ce qu’il faut pour être au plus tôt annulée ; mais si l’aliment lui est délicieux, ce délice voudra en lui durer, se perpétuer ou renaître. La faim nous presse d’abréger une sensation ; le délice, d’en développer une autre ; et ces deux tendances se feront assez indé­pendantes pour que l’homme apprenne bientôt à raffiner sur sa nourriture et à manger sans avoir faim.

Ce que j’ai dit de la faim s’étend aisément au besoin de l’amour ; et d’ail­leurs à toutes les espèces de sensation, à tous les modes de la sensibilité dans lesquels l’action consciente peut intervenir pour restituer, prolonger ou accroître ce que l’action réflexe toute seule semble faite pour abolir.»

Source, article L'infini esthétique, dont on peut trouver le texte complet sur les Classiques des sciences sociales.

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