* Détour: L'idée de limite
Dans la grande tradition grecque, la limite n'était pas seulement un fait accepté, elle était un idéal. Le mot utilisé le plus souvent pour désigner le mal est Ubris, qui signifie démesure. Le désir mauvais évoque une planète sortie de son orbite. Les autres mots pour désigner le mal sont l'inachevé, l'informe. Ils évoquent la matière première, l'argile en qui on ne distingue aucun contour précis, aucune limite.
Souvenons-nous de la querelle au sujet des nombres irrationnels comme √2. Si ces nombres ont fait scandale en certains milieux, si on a mis du temps à leur assigner une place dans l'ensemble du système pythagoricien, c'est parce qu'ils étaient sans limite, sans contour précis, par opposition aux nombres entiers auxquel on pouvait faire correspondre des ensembles de points parfaitement clairs et distincts. FIN
...Et la philosophie nouvelle sème partout le doute,
Le feu primordial est éteint,
Le Soleil perdu de vue, ainsi que la Terre, et nulle intelligence
N'aide plus l'homme à les trouver.
Les hommes admettent volontiers que notre monde est épuisé
Lorsque dans les planètes et le firmament
Ils cherchent tant de nouveautés, puis s'aperçoivent que
Telle chose est à nouveau brisée en ses atomes.
Tout est en pièces,sans cohérence aucune [...]
Et dans les constellations alors s'élèvent
Des étoiles nouvelles, tandis que les anciennes disparaissent à nos yeux.
Copernic lui-même n'en est pas moins demeuré plus près des Anciens que des Modernes.
Encadré: NICOLAS COPERNIC
«Copernic voulut interpréter Ptolémée plutôt que la Nature». [Kepler]
En réaction à un mathématicien qui avait mis en doute certaines observations de Ptolémée, Copernic a écrit; «il convient de suivre strictement les méthodes des Anciens et de nous tenir à leurs observations qui nous ont été transmises comme un Testament. Et celui qui pense qu'ils ne sont pas entièrement dignes de foi à cet égard, les portes de notre Science lui sont certainement fermées. Il demeurera devant ces portes à faire des rêves de dément à propos du mouvement de la huitième sphère; et il aura ce qu'il mérite pour avoir cru défendre ses hallucinations en calomniant les Anciens».
Arthur Koestler n'est pas tendre à l'endroit de Copernic; «de loin, Copernic fait figure d'intrépide héros révolutionnaire. A mesure que l'on s'approche on le voit peu à peu se transformer en un morne pédant, dénué du flair et de l'intuition de somnambule des vrais génies; c'est un homme qui, s'étant emparé d'une bonne idée, en fait un mauvais système, besognant patiemment à entasser des épicycles et des déférents dans le plus triste, le plus illisible des livres célèbres». Copernic est né à Torun, en Pologne en 1473. Il est mort en 1543. FIN
Sous-titre: L'infini et la pluralité des mondes
Koestler avait bien raison de rappeler qu'en plaçant le soleil au centre de l'univers, Copernic a fait éclater les limites de ce dernier, mais on pourrait tout aussi bien dire, tant le besoin de dépasser les limites était répandu à la Renaissance, que Copernic a tout simplement fait entrer l'astronomie dans une ère de l'infini que les grandes découvertes avaient d'autre part amorcée. Plusieurs grands esprits de la Renaissance ont anticipé les idées actuelles sur les dimensions et la composition de l'univers. Le plus audacieux d'entre eux fut l'italien Giordano Bruno.
Dans un livre intitulé L'infini, l'univers et les mondes, paru en 1584 il écrivait:
«Mais nous savons qu'il existe un champ infini, un espace contenant qui embrasse et pénètre le tout. En lui se trouve une infinité de corps semblables au nôtre. Aucun d'eux n'est au centre de l'univers, car l'univers est infini et par conséquent sans centre ni limite, bien que ces derniers appartiennent à chacun de ces mondes, qui sont au sein de l'univers de la façon que j'ai déjà expliquée en d'autres occasions, en particulier lorsque nous avons démontré qu'il existe certains centres définis déterminés, à savoir les soleils, des corps de feux autour desquels tournent toutes les planètes, les terres et les eaux, comme nous voyons sept planètes décrire leur trajectoire autour du soleil. De même, nous avons montré que chacun de ces astres ou mondes tournant sur son propre centre semble un monde solide et continu qui s'empare, en raison de sa force, de toute chose visible, susceptible de devenir un astre et fait tourner ces choses autour de lui-même comme s'il s'agissait du centre de son univers. Ainsi, il n'existe pas seulement un monde, une terre, un soleil, mais autant de mondes que nous pouvons voir de lumières briller autour de nous, qui ne sont pas plus dans un seul ciel, un seul espace, un seul contenant sphérique que notre terre ne se trouve dans un seul univers contenant, un seul espace ou un seul ciel. De sorte que le ciel, à savoir cet air qui s'étend infiniment, bien que partie de l'univers infini, n'est pas un monde ou une partie de monde. Mais c'est le sein, le refuge, et le champ où tous ces mondes se meuvent et vivent, où ils croissent et rendent effectives les différentes actions de leurs vicissitudes. C'est là où ils produisent, nourrissent et préservent leurs habitants et leurs animaux».
Nous n'allons pas en conclure que Bruno appartenait à la même famille d'esprit que ceux qui dissertent aujourd'hui sur la pluralité des mondes habités. Il n'était ni astronome ni mathématicien, mais philosophe et poète. C'est la tradition hermétique, à laquelle il était rattaché, qui l'a incité à repousser les limites de l'univers jusqu'à l'infini... et à se séparer de l'Église, dont il encourut l'anathème.
Insoumis, il refusa d'abjurer ses idées, comme le lui ordonnait le Saint-Office. Il fut en conséquence condamné à mort par le pape Clément VIII et brûlé le 17 février 1600.
Sous-titre: KEPLER
«Voilà que j'ai jeté les dés et que j'écris un livre soit pour mes contemporains, soit pour la postérité. Cela m'est égal. Il peut attendre cent ans un lecteur, Dieu a attendu six mille ans un témoin...». Kepler n'a pas attendu cent ans un lecteur. Ses trois lois sont la base de l'astronomie moderne. On n'y retrouve aucune trace des rouages et des sphères de Ptolémée.
Encadré: JOHANNES KEPLER (1571-1630)
«Je mesurais les cieux, je mesure à présent les ombres de la terre. L'esprit était céleste, ci-gît l'ombre du corps». [Epitaphe de Kepler]
Kepler est né dans le Wurtemberg, une région de la République fédérale allemande d'une famille plutôt dégénérée. Son père, sans métier stable était un homme brutal. A 23 ans, Kepler devint professeur de mathématiques et d'astronomie mais sa réputation était surtout fondée sur ses talents d'astrologue. Que pensait-il au fond de l'astrologie, à laquelle il a consacré plusieurs ouvrages? Il semble osciller à son sujet entre le mépris et le respect. Tantôt il évoque ses «singeries à sortilèges», tantôt il la définit ainsi: «de quelle manière la configuration du ciel au moment de la naissance détermine-t-elle le caractère? Elle agit sur l'homme pendant sa vie comme les ficelles qu'un paysan noue au hasard autour des courges dans son champ: les noeuds ne font pas pousser les courges mais ils en déterminent la forme. De même le Ciel: il ne donne pas à l'homme ses habitudes, son histoire, son bonheur, ses enfants, sa richesse, sa femme... mais il façonne sa condition...».
En 1600, Kepler rencontre l'astronome danois Tycho Brahé alors âgé d'une cinquantaine d'années. Brahé, monstrueusement vaniteux vivait comme un roi, avait sa propre cour avec banquets fastueux et amuseurs. Moins théoricien que Kepler, Brahé avait assemblé une foule de données d'observation qui permirent à Kepler d'énoncer ses fameuses lois. FIN
Kepler précise dans sa première loi que toutes les planètes se déplacent sur des orbites elliptiques dont l'un des foyers est occupé par le soleil. N.B.: Cette loi s'applique à tout satellite artificiel ou vaisseau spatial qui gravitent autour de notre globe. La terre occupe alors un des foyers de l'ellipse.
La deuxième loi a trait à la vitesse des planètes. Contrairement à ce qu'on avait cru jusque là, nous dit Kepler, les planètes ne se déplacent pas autour du soleil à une vitesse uniforme mais leur mouvement s'accélère lorsqu'elles s'en approchent puis ralentit lorsqu'elles s'en éloignent. Elles balaient des aires angulaires égales en des temps égaux.
La troisième loi précise le rapport entre la distance moyenne qui sépare une planète du soleil et la période*. Le carré de la période d'une planète est proportionnel au cube de la distance moyenne qui sépare cette planète du soleil.
Détour: * Période
Période: temps d'une révolution complète d'une planète autour du soleil. FIN
P2=a3
P est ici la période mesurée en années; a est la distance de la planète au soleil, mesuré en unités astronomiques*.
Détour: * Unité atronomique
L'unité astronomique est la distance qui sépare la terre du soleil. FIN
Comme nous le révèle cette formule, la période d'une planète est d'autant plus longue que la dite planète est plus éloignée du soleil. Jupiter, qui se situe à environ cinq unités astronomiques du soleil, a une période de onze ans, à peu près la racine carrée de 125 (5 au cube).
Fin: ...
On est en un sens très injuste à l'égard de Kepler quand on considère ces trois lois comme l'essentiel de son oeuvre. Certes un raisonnement mathématique simple et rigoureux est enfin appliqué à l'étude du cosmos et Kepler est sans doute le premier à le démontrer, mais, peut-être parce qu'il ne faisait pas de différence entre le raisonnement mathématique et les figures géométriques parfaites, il a lui-même attaché moins d'importance à ses célèbres lois, qu'aux constructions qu'il a déduites de la considération des figures géométriques parfaites de Pythagore et de Platon: le tétraèdre (pyramide), le cube, l'octaèdre (8 triangles équilatéraux), le dodécaèdre (12 pentagones) et l'icosaèdre (20 triangles équilatéraux). Kepler pensait que ces solides parfaits s'imbriquaient par la volonté de Dieu dans les orbites des six planètes alors connues. Idée sublime, mais fausse.
Les trois lois de Kepler, principes mathématiques logiques en harmonie avec les fruits de l'observation sont les premières lois naturelles modernes.
Sous-titre: GALILÉE OU LA RÉFUTATION D'ARISTOTE
On connaît la place de la terre dans l'univers, de même que la forme de son mouvement autour du soleil: une ellipse. Mais pourquoi se meut-elle, quelles forces la poussent, ces questions sont encore sans réponse au moment où naît Galilée.
Encadré: GALILEO GALILÉE
Italien (1564-1642). Arrogant, sarcastique, coléreux, provocateur, tel était Galilée. Qu'en est-il de sa légende?
Il n'a inventé ni le télescope, ni le microscope ou le thermomètre.
Il n'a découvert ni la loi d'inertie, ni les taches du soleil.
Il n'a pas laissé tomber de poids du haut de la Tour de Pise.
Il n'a pas démontré la vérité du système de Copernic.
Il n'a pas dit: «et pourtant elle tourne».
Il n'a pas été emprisonné dans un cachot mais plutôt assigné à résidence chez un Grand-Duc et au luxueux Palais d'un Archevêque.
Mais il a fondé la dynamique et cela suffit à sa gloire. FIN
Gardons-nous surtout de les confondre. Le problème du pourquoi, de la finalité du mouvement est en fait celui du sens de l'univers. Il est une variante de la question fondamentale: pourquoi l'univers existe-t-il? Il pourrait très bien ne pas exister. Mais pour des êtres humains conscients qui ont besoin de connaître le sens de leur propre existence, cette contingence de l'univers - existe, n'existe pas, pile ou face! - est la cause d'une angoisse insupportable.
L'univers est beau, d'une beauté telle que lorsque l'être humain la contemple d'une regard pur et abandonné, il peut connaître une extase, une union au principe divin qui lui donne la certitude absolue de son accomplissement. C'est là une façon d'en évoquer le sens. Le pourquoi du mouvement et des autres aspects particuliers de l'univers devient secondaire dans ces conditions. On pourra dire que le mouvement des astres introduit dans le ciel une variété, une vie même sans laquelle la beauté de l'univers ne serait pas complète.
Aristote, celui qui fut le maître à penser de l'Occident pendant deux mille ans expliquait le mouvement en prêtant aux objets des caractéristiques que l'on s'attend à trouver chez une personne. Les humains avaient selon lui une âme intellective, les animaux une âme sensitive et les plantes une âme végétative. Aristote prolonge ce mouvement descendant en attribuant aux objets, non pas une âme à proprement parler, mais une tendance, l'équivalent d'un désir. Si la pomme qui se détache de l'arbre tombe par terre, c'est qu'elle aspire à retrouver son lieu d'origine. Comme l'oiseau migrateur. Le monde physique apparaît dans ces conditions comme peuplé d'objets-êtres mus par quelque chose d'analogue à l'instinct et à l'amour. Qu'importe dans ces conditions de vérifier l'impression selon laquelle les pommes lourdes tombent plus rapidement que les pommes légères?
On s'entend généralement pour rattacher cette physique d'Aristote à l'animisme qui caractérise les visions du monde des cultures primitives. C'est la principale raison pour laquelle on accuse Aristote d'obscurantisme. On lui fait reproche d'avoir été suffisamment intelligent, logique, cohérent pour donner à l'ensemble de son système une vraisemblance telle qu'on l'a longtemps préférée, jusque dans ses moindres détails, aux résultats d'une observation attentive.
Une fois qu'on a admis que ce système n'explique pas les phénomènes, on se priverait toutefois d'une belle poésie si on n'en retenait pas l'aspect positif: le sens qu'il introduit dans la pensée humaine. Souvenons-nous du monde sublunaire imparfait qu'Aristote opposait au monde supra lunaire parfait, incorruptible. Si la pomme tombe vers la terre, c'est qu'elle appartient tout entière au monde sublunaire, c'est qu'elle tend vers le bas, au sens métaphysique comme au sens physique du terme. Mais voici la plante qui tend vers la lumière d'en haut, voici l'animal qui se meut lui-même et qui se dresse parfois vers le ciel et voici enfin l'homme, qui se tient debout et se plaît à contempler les étoiles. Par son regard, par son intelligence n'appartient-il pas au monde supralunaire?*
* L'homme est le seul être vivant dont le visage soit tourné vers le Ciel. [Ovide, Les Métamorphoses].FIN
Ces métaphores sont si belles, et si innocentes, qu'une fois éliminée toute prétention à l'explication des phénomènes, ce serait folie que de les frapper d'interdit. Montaigne s'est bien gardé de le faire, Montaigne qui pourtant n'a pas craint de critiquer les dogmes aristotéliciens, Montaigne le sceptique, l'humaniste, le moderne. De l'homme en qui loge la philosophie il nous dit qu'il se tient debout avec une espèce d'ivresse, qu'il a une contenance contente et débonnaire, une gracieuse fierté, un maintien actif et débonnaire. Mais voici la marque la plus expresse de sa sagesse, le signe de son esjouissance constante: «son estat est comme des choses au-dessus de la lune, toujours serein».
Il n'empêche qu'Aristote se trompe quand il affirme que la pomme lourde tombe plus vite que la pomme légère et que, tant que de telles faussetés ont été la norme, il a été impossible d'expliquer le mouvement des astres et des autres corps inanimés, de répondre à notre seconde question: quelles sont les forces qui les poussent.
C'est Galilée, qui sur ce point précis, réfuta Aristote. Réfuter est le bon mot, car tout s'est passé non sur le plan de l'expérience* mais sur celui de la logique, de la logique aristotélicienne qui plus est. Galilée n'a pas eu à s'imposer de fastidieuses mesures dans un laboratoire. Il lui a suffi d'un raisonnement par l'absurde. Le voici. Il mérite un respect particulier. Le philosophe des sciences Karl Popper le considère comme «l'un des arguments les plus simples et des plus ingénieux dans l'histoire de la pensée rationnelle relative à notre univers».
«Étant donné deux corps en mouvement ayant des vitesses naturelles inégales, ... il est évident que si nous les mettons ensemble-le plus lent et le plus rapide-ce dernier sera partiellement retardé par le plus lent, lequel sera partiellement accéléré par le plus rapide... Si une grosse pierre se déplace à une vitesse de 2, 5 m et une plus petite à une vitesse de 1, 25 m, par exemple, alors, après qu'on les ait mises ensemble le système composé se déplacera à une vitesse inférieure à 2, 5 m. Or les deux pierres mises ensemble forment une pierre plus grosse que la première, laquelle se déplaçait à une vitesse de 2, 5 m. Le corps composé (bien plus gros que le première pierre seule), se déplacera donc plus lentement que la première pierre seule ce qui contredit ton hypothèse».
Galilée* démontrait ainsi par l'absurde que les corps en chute libre ont, indépendamment de leur «pesanteur», une même accélération qui demeure constante tout au long de la chute.
Détour: * Galilée expérimentateur.
Bien que Galilée, «le père de la physique moderne» soit considéré comme le premier véritable expérimentateur, la précision même de certains de ses résultats obtenus au moyen d'une technique plutôt rudimentaire amène les historiens des sciences à douter de la réalité des expériences relatées dans son ouvrage Discours sur deux sciences nouvelles de 1638! C'est notamment l'opinion que Pierre Thuillier a exposé dans la Revue La Recherche. FIN
La physique d'Aristote, en tant qu'explication des phénomènes, ne pouvait résister longtemps à de telles critiques. Elle était discréditée à l'avance par le seul fait qu'on veuille désormais répondre à des questions comme celles qui portent sur les forces expliquant le mouvement plutôt qu'à des questions sur le pourquoi et le sens des phénomènes.
Qu'ils soient lourds ou légers, les corps tombent à la même vitesse, soit. Telle est la pesanteur, mais comment l'expliquer? Galilée parle à ce propos de la répugnance, l'inclination ou de l'indifférence des objets les uns par rapport aux autres et il renoue ainsi avec l'animisme d'Aristote.
Sur ce terrain, c'est moins aux idées d'Aristote qu'il convenait de s'attaquer qu'à d'autres idées en vogue à l'époque de Galilée, à l'idée d'impetus. En lisant le mot impetus, on songe bien sûr au mot impulsion et l'on songe à la corde de l'arc qui en se détendant va donner son mouvement à la flèche. On distinguait deux sortes d'impetus: l'impetus naturel qui fait tomber l'objet et l'impetus violent qui le projette vers le haut. Le mouvement était considéré comme la résultante de ces deux types d'impetus.
Mais qu'est-ce au juste qu'un impetus? La vitesse de chute d'un corps s'accélère. Faut-il en conclure que l'impetus s'accroît? Quelle est alors la cause de cet accroissement? Plutôt que de faire fond sur cette notion rappelant les tendances d'Aristote, Galilée se contenta d'analyser le mouvement dans le cadre général du principe d'inertie: un corps au repos ou en mouvement demeure dans son état à moins qu'une force extérieure ne le modifie.
Un projectile, précise-t-il, suit à la fois deux mouvements; l'un est propre à l'objet alors que l'autre est une chute au sol à une vitesse uniformément accélérée. La synthèse des deux mouvements épouse la forme parabolique.
Voilà un bel exemple de ces mystérieuses rencontres entre les idées et les faits dont sont constitués les grands moments de la science. La parabole certes n'est pas une forme aussi pure que le cercle. Elle appartient tout de même au monde des idées géométriques. Elle est belle, elle correspond à une équation simple, y=x2; elle n'existe parfaitement que dans l'esprit. Et pourtant toutes les fontaines du monde en produisent une image approchante.
«Même en l'absence d'analyse mathématique subtile la contempler est une expérience sensorielle plaisante, bien qu'il soit très difficile aux psychologues d'expliquer ce plaisir. Certes la courbe est symétrique, mais toutes les lettres majuscules de l'alphabet sont symétriques et on ne saurait revendiquer pour elles le même degré de beauté que pour la parabole. On pourrait peut-être dire que la parabole s'enrobe d'un parfum d'infinité au fur et à mesure qu'elle s'élève au-dessus de l'espace quadrillé, ce qui contraste fort avec l'odeur locale et coutumière que l'on respire aux abords du foyer S. Mais que valent ces explications? L'attrait esthétique n'est pas douteux, mais sa source reste cachée.
La parabole est aussi un locus d'une grande simplicité: elle est la trace laissée sur une surface par un point qui se meut en respectant une loi simple que l'on peut formuler ainsi: le point P est équidistant d'un point fixe S (le foyer) et d'une ligne fixe, ZM (la directrice). Si l'on voulait remonter à l'origine de l'attrait esthétique, on la trouverait dans la simplicité de l'idée d'une courbe et dans la netteté de la méthode permettant de la produire».
Entre les ellipses de Kepler et la parabole la parenté est frappante. La parabole est une section conique située entre l'ellipse et l'hyperbole.
ellipse : PS|PM < 1
parabole: PS|PM= 1
hyperbole : PS|PM > 1
L'eau de la la fontaine qui semble dessiner une parabole en retombant dessine en fait une ellipse allongée dont le centre de la terre est l'un des foyers.
Galilée aurait pu appliquer aux mouvements des planètes l'analyse qu'il faisait des mouvements d'un projectile. Il n'aurait sans doute eu aucune difficulté à faire correspondre ses paraboles et les ellipses de Kepler. Il ne l'a pas fait. Il s'en est tenu, comme Pythagore et Aristote, à l'idée que seul le mouvement circulaire était digne des planètes et il présentait ce mouvement comme le résultat d'une tendance inhérente à la pesanteur et de l'effet d'un mouvement circulaire perpétuel.
Descartes, qui avait eu l'intuition du principe d'inertie avant Galilée, soutenait qu'un corps isolé en mouvement suit une ligne droite. Cette position pouvait être accordée à celle de Kepler. Pour en arriver à l'idée du mouvement elliptique des planètes, il aurait suffi à Descartes de démontrer que le mouvement premier en ligne droite est transformé en mouvement elliptique par une force quelconque. Cette synthèse du mouvement elliptique de Kepler, de l'inertie selon Descartes et de la dynamique de Galilée, c'est Newton qui le fera.