Castor

Le castor
«Mammifère rongeur habitant, l’été, des terriers qu’il creuse au bord des rivières et des fleuves; l’hiver, des cabanes qu’il construit sur le bord ou au milieu des eaux, et qu’il protège par des espèces des digues.

M. Bacqueville de la Potherie affirme que l’adresse avec laquelle le castor bâtit sa maison est si admirable que l’on reconnaît en lui l’autorité d’un maîtra absolu, le véritable caractère d’un père de famille, le génie d’un habile architecte. Aussi les Sauvages disent que c’est un esprit et non un animal. Les castors s’assemblent, ordinairement neuf, et connaissent la bonté de leur établissement par la quantité d’eau qu’ils trouvent. Lorsqu’il s’agit de faire la charpente, il y en a un qui commande comme un premier moteur; et quand l’arbre qu’ils coupent avec les dents est près de tomber du côté où il le juge à propos, il fait un cri, qui est un signal à tous les autres d’en éviter la chute. Le travail d’un charpentier et l’application d’un maçon y sont observés avec art. Les uns taillent les arbres, d’autres font les fondations avec une force qu’un mouton ne pourrait enfoncer la pièce de bois avec plus de solidité; les autres, prenant du limon avec leur queue, en façon de truelle, en font le ciment des murailles, qui se trouvent à l’épreuve des injures du temps. Leurs maisons ont trois ou quatre étage. Les planchers sont faits de branches d’arbres. La chambre est toujours d’une grande propreté. Lorsque les eaux grossissent, les castors montent à l’étage supérieur. Leurs provisions, écorces de tremble, sont au fond de l’eau. En dehors, ils avaient des maisons de campagne situées à quelques centaines de pas des demeures aquatiques.

Dans le commerce du XVIIe siècle, l’on distinguait plusieurs espèces de castor : le castor gras était le castor mis en robe et longtemps porté par les Sauvages; le demi-gras, mis en robe, n’ayant jamais été porté; le moscovite, sorti de la bête, n’était ni passé en robe, ni mis en usage quelconque et convenait le mieux à la vente en Moscovie, pays très froid; le sec, sorti de la bête, n’était ni passé, ni mis en robe, appelé d’ordinaire bardeau, parce que le cuir en était très épais, exposé à la vente chargé encore de chair, les Sauvages l’ayant mal gratté et apprêté, exprès pour trouver leur compte dans le poids. Le castor gras d’été était le castor était le castor passé par les Sauvages pour leur servir d’habillement; le castor sec d’été était le même, sauf qu’il n’était ni passé, ni apprêté, ni porté, depuis qu’on l’avait tiré de l’animal (v. P. Margry, t. V).

Selon M. George Johnson, dans les armoiries, le castor paraît pour la première fois comme emblème du Canada sur la cotte d’armes de sir William Alexander, accordée au vicomte de Sterling par le roi Charles Ier. En 1632, sir James Balfour reçut de Sa Majesté l’ordre de fixer cette cotte d’armes : on vit alors un castor représenté exactement comme on le voit aujourd’hui dans les nombreux emblèmes destinés à symboliser l’intelligence, l’industrie et la persévérance du peuple canadien (voir le Bulletin des recherches historiques de l’année 1905).

Le 13 octobre 1673, M. de Frontenac écrivait à Colbert qu’il proposait au roi « comme livrées et armes de la ville de Québec : les fleurs de lys sans nombre, au chef d’or, chargé d’un castor de sable, avec deux orignaux pour supports, et le blanc et le bleu pour les livrées de la ville ». L’idée du gouverneur demeura sans réalisation.

Sur la médaille commémorative de la défaite de Phipps en 1690, l’on voit un castoir s’avancer timidement vers une femme, qui trône avec majesté sur les trophées enlevés à l’ennemi : figure symbolique de la Nouvelle et de l’Ancienne France.

La première édition de l’Histoire de la Nouvelle-France du Père de Charlevoix, en 1744, porte au bas du titre une allégorie, représentant une ruche d’abeilles et deux castors placés sous des branches d’arbres.

En 1792, MM. Phyn, Ellice et Inglis, négociants de Londres, et MM. McGill et Compagnie de Montréal, fondaient une banque éphémère - Canadian Banking Co -; sur l’un des billets émis paraît un castor rongeant le pied d’un arbrisseau.

En 1815, M. Viger, premier maire de Montréal, fit dessiner un écusson de fantaisie, qui avait un castor comme support : ainsi le rongeur a passé dans les armes de la ville.

Quelques années plus tard, au sentiment de M. H. Larue, les emblèmes distinctifs des Sociétés Saint-Jean-Baptiste sont : un castor entouré d’une guirlande de feuilles d’érable, avec cette épigraphe : Nos institutions, notre langue et nos lois. Aux premiers banquets de la Société qui se tinrent à Montréal, la salle de festin « était décorée de bouquets, de fleurs, de feuillages disposés en festons ». On y remarquait, à l’entrée, un faisceau de branches d’érables chargées de feuilles.

En 1836, le président de la Société, Denis-Benjamin Viger, dit au banquet en parlant de l’érable : « Cet arbre, qui croît dans nos vallons, sur nos rochers, d’abord jeune et battu par la tempête, languit, en arrachant avec sa nourriture du sol qui le produit; mais bientôt il s’élance et, devenu grand et robuste, brave les orages et triomphe de l’aquilon qui ne saurait l’ébranler. L’érable, c’est le roi de nos forêts, c’est l’emblème du peuple canadien. » Quelques mois plus tard, Le Canadien changeait sa vignette – à savoir un laboureur se reposant près de sa charrue et de ses bœufs – en adoptant comme emblème la feuille d’érable et le castor. « Frontispice, écrivait le rédacteur, facile à comprendre. Le principal, la feuille d’érable, a été, on le sait, adopté comme emblème du Bas-Canada, de même que la rose en Angleterre, le chardon en Écosse, le trèfle en Irlande. » L’on croit que l’épigraphe fut inspirée par M. Étienne Parent (voir le Bulletin des recherches historiques de l’année 1898).»

Source: article "Castor" de: Louis Le Jeune, Dictionnaire général de biographie, histoire, littérature, agriculture, commerce, industrie et des arts, sciences, moeurs, coutumes, institutions politiques et religieuses du Canada, Ottawa, Université d'Ottawa, 1931



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Description du castor par Pehr Kalm, un naturaliste suédois en voyage au Canada au XVIIe
«Les castors abondent partout dans l'Amérique du Nord, et forment l'un des principaux articles du commerce en Canada. Les Indiens se nourrissent de leur chair pendant une grande partie de l'année. Il est certain que ces animaux se multiplient très-vite; mais on en tue un nombre immense tous les ans. Les Indiens sont déjà obligés d'entreprendre de longs voyages pour leur faire la chasse. La raison de leur diminution s'explique facilement: les sauvages, avant l'arrivée des Européens, n'en tuaient qu'autant qu'il leur était nécessaire pour se vêtir de leurs dépouilles, et le commerce des fourrures n'existait pas. Aujourd'hui, c'est bien différent grand nombre de vaisseaux font voile chaque année pour l'Europe, chargés principalement de peaux de castors. La rivalité qui existe entre les Anglais et les Français, faisant hausser le prix de l'article, encourage les Indiens à faire au castor une guerre d'extermination. Beaucoup de gens m'ont dit qu'ils se souviennent d'avoir vu, dans leur jeunesse, toutes les rivières près de Montréal, y compris la rivière St-Laurent, remplies de castors et de leurs digues; mais à présent, il faut pénétrer à plusieurs milles dans l'intérieur pour en trouver un seul, tant ils ont été détruits. J'ai déjà remarqué que les peaux de castors du Nord sont préférées à celles des castors du Sud.

La chair du castor est mangée non-seulement par les sauvages, mais aussi par les Européens, et surtout les Français, les jours maigres, car Sa Sainteté, dans son système, a rangé le castor parmi les poissons. La chair du castor qui s'est nourri de végétaux ou de feuilles du peuplier et de l'arbre à castor, est réputée excellente ; mais lorsqu'il s'est nourri de poisson, elle n'a pas bon goût. Aujourd'hui, pour la première fois, j'en ai mangé de bouillie; tout le monde a trouvé ce mets délicieux, excepté moi, qui n'ai pu m'y faire. C'est mangeable, voilà tout. La chair du castor devient noire lorsqu'elle est bouillie et elle a un goût particulier. Pour la bien apprêter, il faut la laisser mijoter dans plusieurs eaux depuis le matin jusqu'à midi, afin de lui faire perdre son mauvais goûte La queue se mange aussi ; apres l'avoir fait bouillir de la manière qui précède, on la met rôtir; mais, quoiqu'on n'en veuille pas convenir, cette partie ne se compose que de gras, et il faut être habitué à ce mets pour en avaler une bouchée. Quelquefois, mais rarement, on prend des castors à poil blanc.»

PEHR KALM, Voyages en Amérique, tome 2, in «Mémoires de la société historique de Montréal», imp. Berthiaume, 1880.

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Jacques Dufresne



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