Biomimétisme
«L'homme, disait Francis Bacon, commande à la nature en lui obéissant.» S'il ne la connaît que partiellement, il ne lui obéit que partiellement et il risque de la dégrader en la soumettant à ses ordres. C'est le reproche que l'on peut faire à la science et à la technique modernes. Le biomimétisme qui, à proprement parler, n'est pas une science mais une fin et une méthode assignées à la science, consiste à comprendre la nature dans toute sa complexité pour mieux lui obéir. À mesure que l'on s'engage dans cette voie, on renonce à commander à la nature pour composer avec elle. J.D.
Le texte qui suit est tiré d'un article d'Andrée Mathieu paru en 2002 dans le magazine l'Agora (Vol. 9, No 3) sous le titre Pas à pas avec la nature.
Dans son livre (1997) intitulé Biomimicry, Janine Benyus raconte ses visites dans plusieurs centres de recherche, de diverses disciplines, où biologistes et ingénieurs travaillent ensemble à mettre au point des produits et des procédés qui utilisent la Nature comme modèle et comme instrument de mesure. Il y a plusieurs façons de se faire l'émule de la Nature.
1. On peut d'abord imiter les grands cycles naturels, comme le font McDonough et Braungart dans leur concept de design intelligent, basé sur les métabolismes biologique et technique, qu'on a décrit plus haut.
2. On peut aussi tenter d'imiter les écosystèmes et les interrelations complexes qui les caractérisent, comme le fait l'écologie industrielle. Dans un ensemble, les êtres vivants maintiennent une stabilité dynamique, comme des danseurs qui performent des arabesques, en jonglant continuellement avec les ressources sans produire de déchets. Un bon exemple d'imitation de ces processus nous est donné par Kalundborg, une petite ville industrielle située à une centaine de kilomètres à l’ouest de Copenhague au Danemark. Dans les années 1950 s’y installent une raffinerie de pétrole et une centrale électrique. Comme toutes les centrales thermiques, celle-ci produit des quantités impressionnantes d’eau chaude, mais cette eau n’est pas rejetée dans l’environnement: elle entre dans un processus de «cogénération», c’est-à-dire de réutilisation en vue d’assurer le chauffage de divers usagers - une idée qui tend à s’imposer aujourd’hui, mais qui passait pour très avant-gardiste à l’époque. Puis d’autres partenaires industriels s’installent à Kalundborg et prennent l’habitude d’échanger entre eux les déchets de leurs activités, au point que les responsables de la zone industrielle finissent par réaliser qu’une véritable symbiose s’est instaurée entre les diverses usines du site. Celles-ci sont aujourd’hui au nombre de cinq, reliées entre elles, sur quelques centaines de mètres, par un dense réseau de pipelines permettant les échanges. Kalundborg est le prototype d’un concept apparu au début des années 1990, celui de «parc éco-industriel».
Ce système de partenariat croisé fonctionne sur le modèle de la nature: rien ne se perd, tout se transforme. Les échanges d’eau et de vapeur constituent l’élément centrale de la symbiose industrielle de Kalundborg. On dénombre dix-neuf flux d’échanges entre les partenaires. La raffinerie fournit de l’eau usée pour refroidir la centrale électrique qui vend à son tour de la vapeur à ladite raffinerie, à la ville de Kalundborg, mais aussi à une entreprise de biotechnologie pour le fonctionnement de ses fermenteurs; elle vend aussi de la vapeur à une usine de panneaux de construction et de l’eau chaude à une ferme d’aquaculture qui élève près de là des turbots. Soucieuse de désulfurer ses émissions gazeuses - l’une des principales causes de la pollution de l’air en milieu industriel -, la centrale a mis en service en 1990 une installation de désulfuration. Les gaz de combustion barbotent, avant d’être rejetés, dans un lait de chaux, ce qui donne du gypse, aussitôt transporté par camions jusqu’à l’entreprise voisine où il sert de matière première à la fabrication des panneaux de construction. Du coup, cette société a cessé d’importer du gypse naturel, jusqu’alors en provenance d’Espagne, réduisant du même coup ses charges de transport.
3. Enfin, on peut chercher à imiter une multitude d'organismes vivants qui nous servent une bonne leçon d'humilité en accomplissant nonchalamment des tours de force dont nous pouvons seulement rêver! Prenons par exemple les algues bioluminescentes qui projettent des produits chimiques les uns contre les autres pour allumer leur lanterne corporelle. Les poissons et les grenouilles arctiques qui gèlent dur et reviennent à la vie, ayant protégé leurs organes des dommages causés par la glace. Les ours noirs qui hibernent tout l'hiver sans être empoisonnés par leur urine, tandis que leurs cousins polaires restent actifs, un manteau de poils creux et transparents protégeant leur peau comme les panneaux d'une serre. Les caméléons et les seiches qui se cachent sans avoir besoin de bouger en changeant la couleur et le motif de leur peau pour se confondre instantanément avec leur environnement. Les abeilles, les tortues et les oiseaux qui naviguent sans cartes, pendant que les baleines et les pingouins plongent sans scaphandres. Toutes nos inventions sont déjà apparues dans la nature sous une forme plus élégante et à moindre coût pour la planète. Nos plus intelligentes pièces d'architecture existent déjà dans les feuilles de nénuphars et dans les pousses de bambou. Notre chauffage central et nos systèmes de climatisation sont surpassés par les tours des termites qui réussissent à maintenir, avec une énergie minimale, une température constante de 86oF. Nos radars les plus efficaces sont durs d'oreille comparés à la transmission multifréquences des chauve-souris. Et nos nouveaux matériaux intelligents n'arrivent même pas à la cheville de la peau des dauphins ou de la toile des araignées.
Comment font-ils? Comment les libellules font-elles pour surpasser nos meilleurs hélicoptères? Comment les oiseaux-mouches font-ils pour traverser le Golfe du Mexique avec moins du dixième d'une once de carburant? Comment les fourmis font-elles pour transporter l'équivalent de centaines de livres dans une chaleur torride à travers la jungle? Au bout de décennies d'études persévérantes, les biologistes et les écologistes ont découvert des points communs à tous les écosystèmes. À partir de leurs notes on peut commencer à deviner certaines lois naturelles fondamentales, certaines stratégies et certains principes:
> La Nature fonctionne à l'énergie solaire.
> La Nature utilise seulement l'énergie dont elle a besoin.
> La Nature adapte la forme à la fonction.
> La Nature recycle tout.
> La Nature récompense la coopération.
> La Nature capitalise sur la diversité.
> La Nature recherche l'expertise locale.
> La Nature ne fait pas d'excès.
> La Nature utilise ses limites pour stimuler sa créativité.
Selon Janine Benyus, le biomimétisme consiste à s'immerger dans la Nature, à interviewer la flore et la faune de notre planète, à encourager les ingénieurs et les biologistes à travailler ensemble en utilisant la Nature comme modèle et comme système de référence, et à préserver la diversité et le génie de la Vie.
Interface utilise les services d'un designer d'origine britannique, David Okey, dont l'atelier est situé près d'un étang et d'un boisé naturels près d'Atlanta. Avant de concevoir un nouveau style pour les carreaux de tapis d'Interface, le designer est allé faire une promenade en forêt. C'était l'automne et le sol était jonché de feuilles multicolores qui, soulevées par le vent, tourbillonnaient dans les airs avant de retomber sur le sol en formant un tapis étonnamment semblable à celui qu'elles avaient formé avant d'être soufflées dans les airs. Okey se dit que, tel une feuille, pour qu'un carreau puisse être remplacé après quelque temps sans que l'apparence générale du tapis soit modifiée, il faudrait un motif et un mélange de couleurs aléatoires. Il s'est inspiré de la beauté du tapis de feuilles pour concevoir son nouveau modèle de carreaux de tapis qu'il a judicieusement nommé Entropy. Imaginez les avantages d'un tel design! Les installateurs peuvent poser les carreaux dans n'importe quel sens, les tailler et les juxtaposer aux autres carreaux, éliminant ainsi les retailles et, par conséquent, les pertes de temps, d'argent et de matériel. De plus, il est facile de remplacer un seul carreau, taché ou brûlé, sans changer l'apparence du tapis, même après plusieurs mois d'utilisation. Sans quoi, par souci esthétique, on aurait pu vouloir remplacer toute la surface! Voilà un bel exemple de design intelligent inspiré de la Nature...