Bioéconomie
La naissance de la bioéconomie, en tant que nouveau paradigme scientifique (avec sa dimension éthique: "Aime ton espèce comme toi-même"!), réclamait un immense effort intellectuel, à contre-courant de l'actuelle division du savoir en disciplines académiques de plus en plus spécialisées. Pour notre mathématicien roumain devenu économiste américain, ce fut une "aventure" (c'est son terme), inséparable de l'histoire des idées scientifiques et philosophiques du XXe siècle. Dans les années à venir, Georgescu-Roegen fera figure, j'en suis pour ma part convaincu, de géant de la pensée critique du XXe siècle, de prophète injustement méconnu de ses contemporains. Son esprit encyclopédique lui a déjà valu parfois d'être comparé aux hommes universels de la Renaissance. Il est conscient lui-même de faire partie du petit nombre des esprits lucides et novateurs, ceux qui pensent en avance sur leur temps.
Le terme même de bioéconomie peut prêter à confusion dans la mesure où il est déjà utilisé (et cela depuis le début du siècle) pour désigner l'étude de la manière dont les organismes vivants répartissent leurs ressources pour optimiser leur reproduction dans la compétition darwinienne qu'est la lutte pour la vie, et, plus récemment, pour parler de l'économie ou plutôt de la gestion des ressources biologiques (renouvelables). Il s'agit là plutôt de l'application de la science économique à l'écologie et non le contraire. Un spécialiste de cette "bioéconomie mathématique", Colin W. Clark, utilise aussi le terme de bioéconomie pour parler de "l'ensemble des interactions entre les systèmes biologiques d'une part et les systèmes économiques humains d'autre part", mais cet écologiste américain semble ignorer les travaux de Georgescu-Roegen (cités pourtant par Eugene Odum).
Jacques Grinevald, La révolution bioéconomique de Nicholas-Georgescu Roegen