Art religieux

 «Il n'y a, à proprement parler, d'art religieux que si la religion se confond absolument avec la vie or, elle est, tout au plus, pour la plupart d'entre nous, un beau risque à courir, une aventure, que nous situons sagement à part, en marge de notre vie, au même titre que bien d'autres besoins d'aventure. Il est curieux de remarquer que ce sont des artistes non pratiquants (je fais exception pour Rouault, le plus grand, et pour quelques autres) qui ont, actuellement, quelque chance de donner une grandeur nouvelle à l'art religieux. Ceux-là, pour qui tout art est religieux, trouveront peut-être, dans leur amour des choses de la terre, l'équivalent d'un sujet et d'une émotion qui les dépassait. Qu'importe alors s'ils ne sont pas religieux d'abord ; une profonde émotion humaine rejoint l'attitude du croyant, et j'ai confiance en la force de pénétration de telle petite « Nativité» de Goerg, liquide, précieuse et dure comme un diamant, si païenne soit-elle. Cette humanité les préserve de certains attendrissements, de certains enthousiasmes gratuits, qui tendent à faire de Dieu une abstraction sans attaches terrestre:

Chez Fra Angelico, (ici, Le baiser de Judas) il y a ce sens de la terre, et vous reconnaissez à la courbe d'un nez, à la structure précise d'une hanche, à l'attache émouvante d'un poignet, que cette chair transparente et pure comme le regard même du peintre, et ces robes couleur de ciel, recouvrent des squelettes humains. Et c'est ce contrôle même de la vie, cette présence réelle, qui les préservera aussi d'un réalisme factice, fabriqué, dont j'ai dit ici, à propos de l'exposition Marek Swarc qu'il me semblait manquer son but, qui était sa seule excuse émouvoir le plus grand nombre. Dieu n'est pas plus proche de nous sous les traits d'un curé de campagne ; la souffrance du Christ ne nous émeut pas plus si elle nous est expliquée.1

Et d'autre part, cette habitude quotidienne du merveilleux, du divin, que procure aux artistes leur contact profond avec les choses humaines, leur facilitera une transposition sans effort, une fusion directe de ces deux plans, l'humain et le divin, sans que l'un quelconque des deux vienne se surajouter artificiellement à l'autre voilà l'essentie :et par où nous pourrons tâcher, si nous savons rester modestes, de retrouver l'attitude spirituelle des hommes du Moyen-Age.

Cet accord profond du spirituel et du concret sur le double plan de l'art et de la religion, je le trouve tout entier exprimé dans une petite toile de Gromaire exposée à l'hôtel de Rohan : la ligne basse d'un village couleur de terre, plein de nuit ; au-dessus la Vierge s'élève, dans un grand ciel blanc d'hiver. »

Jean BAZAINE.

Ci-contre: Jean Bazaine, Vitrail de St-Séverin





1. On m'objectera certains calvaires de l'école allemande:mais ce qui nous émeut alors, ce n'est pas tant, il me semble,la représentation de la souffrance. que le lyrisme douloureux qui s'en dégage, et l'émotion diffuse,l'exaltation de l'artiste lui-même. Cette souffrance,nous devons, une bonne fois pour toutes, l'accepter comme un tout non mesurable : à l'artiste de se débrouiller pour que son coeur soit assez haut placé. Et puis enfin, combien la Crucifixion de Fra Angelico nous étreint plus profondément,et par le meilleur de nous-mêmes.

Source: Jean Bazaine, Notes sur l'art religieux Moderne, Revue Esprit, 1934/07. Disponbile sur Gallica.

 

 

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