Art japonais

Point de vue d'un critique du XIXe, Théodore Duret
«Un art donné est l'image d'un peuple. Et précisément parce que l'art japonais s'est développé dans un milieu fermé, en s'imprégnant de plus en plus du sentiment et des goûts nationaux, nous ne pouvons y trouver que ce que le génie japonais possède et contient. Or quand on considère les parties élevées de son développement et de sa civilisation, on s'aperçoit que tout un ordre de choses a manqué au Japon. Il n'a point connu les grands systèmes métaphysiques ou philosophiques, les compositions idéalisées de la poésie épique, les longs ouvrages en prose ou en vers, systématiquement liés dans leurs parties pour former un ensemble logique. Ce qui correspond dans l'art à ces manifestations de la pensée et de l'imagination, lui fait également défaut. Il n'a cultivé ni la grande architecture de monuments en pierre, ni la sculpture reproduisant le corps humain dans l'ampleur de sa force et de sa beauté, ni la peinture représentant les grandes scènes compliquées de la vie réelle ou de la fable. [...]

Si l'art japonais est resté inférieur du côté de la force équilibrée et de la pensée réfléchie, par contre il triomphe dans la représentation des aspects fugitifs de la nature, dans le rendu du mouvement des êtres et des choses. D'un coup d'œil rapide l'artiste japonais saisit les attitudes les plus fuyantes, gestes, poses et grimaces, de l'être humain; le vol des oiseaux et des insectes; le frémissement du léger bambou; l'agitation de la vague et des eaux en mouvement; l'aspect de la pluie ou de la neige qui tombe, du vent qui déchiquette le feuillage et balaie la campagne. Ne se servant jamais, pour peindre ou dessiner, d'un instrument à pointe résistante, employant exclusivement le pinceau manié a main levée, l'artiste japonais, auquel nul retour sur la première touche n'est possible, fixe sa vision sur le papier de prime saut, avec une hardiesse, une légèreté, une sûreté, que les artistes européens les mieux doués, habitués à d'autres pratiques, ne sauraient atteindre. C'est a ce procédé, autant qu'aux particularités de leur goût, que les Japonais ont dû d'avoir été les premiers et les plus parfaits des Impressionnistes.»

THÉODORE DURET, «L'art japonais», Critique d'avant-garde, Paris, éd. Charpentier, 1885


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L'ukiyo-é
«C'est dans le livre et dans l'estampe plus qu'en ses oeuvres peintes, que l'Ecole d'Ukiyo-é déroule tout le spectacle de la vie populaire. Elle note les faits et gestes de chaque classe-de la société, depuis l'ouvrier citadin et le fruste travailleur des champs jusqu'à la multitude bourgeoise et les classes supérieures de la société. Elle peint le mouvement confus et pittoresque des foules dans l'enfilade des rues ou dans les cours de temples, parées de fleurs de fête; elle s'attache tour à tour aux joies naïves et turbulentes de la troupe enfantine, aux tendres effusions des amoureux, aux fastes du théâtre, aux fêtes lascives et étincelantes du quartier de Yoshiwara; tous les aspects de cette vie bon enfant lui offrent des sujets sans fin: les excursions sous les cerisiers en fleurs, les retours animés de fête, divertissements sur l'eau, voyages par la grande route, cortèges brillants de grands seigneurs, les promenades nocturnes, égayées de mille rouges lanternes, les joyeuses culbutes dans la neige, les rondes échevelées à la folie.

Et c'est cet art de retracer de façon palpitante toute cette vie japonaise, de montrer à la fois l'éphémère de ces existences frivoles et l'éternel amour des grands spectacles de la nature; le don d'impressionner par les péripéties d'un drame sauvage ou de charmer par l'idyllique chanson d'une petite cigale dans l'herbe; l'habile façon de saisir en plein mouvement chaque étre au passage, avec l'allure typique qui le différencie de ses semblables; c'est tout cet art pimpant, où durant plus d'un siècle s'étaient mirées les mœurs d'un peuple exubérant: c'est toute cette Ecole d'Ukiyo-é, qui prend sa forme ultime et immuable dans le génie de l'immortel Hokusaï.»

SAMUEL BING, «L'art japonais avant Hokusaï», La Revue Blanche, Paris, premier semestre 1896

Sur le même sujet

Hokusaï Katsushika

Peintre et graveur sur bois japonais (1760-1849).

Articles


L'art japonais

Théodore Duret
Texte paru en 1885 dans Critique d'avant-garde, une compilation de textes du critique d'art Théodore Duret, un des premiers défenseurs de l'art japonais en France.

L'art japonais avant Hokusaï

Samuel Bing
Étude sur les sources de l'art japonais et les grandes écoles jusqu'à l'avènement de l'École populaire et le développement de la gravure polychrome et l'ukiyo-é. Texte publié en 1896 dans la Revue blanche.

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