Adorno Theodor Wiesengrund

1903-1969
Adorno et la musique
Philosophe, sociologue et musicographe allemand, il a étudié la composition avec Berg. Comme théoricien de la nouvelle musique, il a contribué à sa notoriété. Son marxisme lui fait voir dans l'émancipation de la dissonance le principe même de la libération du compositeur à l'égard des formes classiques récupérées par la bourgeoisie. Ainsi donc la musique dodécaphonique lui apparaît-elle comme le prolongement de la révolution radicale de la société sans laquelle il n'y a pas de progrès possible. Dans Philosophie de la nouvelle musique, dont l'écriture elle-même est parfois dissonante, Adorno voit la composition musicale comme un matériau dérivé de la société que l'ouvrier, le compositeur, doit affronter: «...la confrontation du compositeur avec le matériau est aussi confrontation avec la société, précisément dans la mesure où celle-ci a pénétré dans l'oeuvre...». Pour Adorno, la consonance classique est aliénante; en libérant le matériau, et nous citons l'auteur: «Tout se passe comme si la musique s'était arrachée à la dernière et présumée contrainte naturelle, qu'exerce sa matière, comme si elle était capable de dominer cette matière librement, consciemment et avec lucidité. Le compositeur s'est émancipé en même temps que les sons».

Adorno ne va tout de même pas jusqu'à nier la contradiction qui est au coeur de la musique sérielle stricte: «Avec la spontanéité de la composition, se paralyse aussi la spontanéité des compositeurs d'avant-garde. Ils se voient devant des problèmes aussi insolubles qu'un écrivain qui, pour chaque phrase qu'il écrit, doit d'abord créer une syntaxe et un vocabulaire spéciaux». Il faut payer le prix de la liberté: «Coûte cher le triomphe de la subjectivité sur la tradition hétéronome, la liberté de laisser à chaque moment musical son autonomie, sans la subordonner à rien». Faut-il que le compositeur, angoissé et ligoté par un tel défi, se tourne vers d'autres procédés? Non, dit Adorno «Aucun artiste n'est capable par lui-même d'abolir la contradiction entre l'art déchaîné et la société enchaînée; tout ce qu'il peut faire, c'est contredire la société enchaînée par l'art déchaîné...».

La musique matériau révolutionnaire! Elle peut effectivement à ce niveau s'autoriser toutes les dissonances. A la limite - car Schönberg n'a pas franchi cette limite - elle se détruira elle-même, elle deviendra muette dans l'indifférence selon le mot d'Adorno lui-même, et les traducteurs précisent que le mot allemand utilisé par l'auteur a la double connotation d'indifférencié et d'indifférence! Car, selon les mots mêmes d'Adorno, qui sont l'antithèse de ceux de Platon pour qui la beauté est la raison d'être de l'art, la nouvelle musique trouve «toute sa beauté à s'interdire l'apparence du beau». Ce pourrait être la définition du phénomène punk...


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Adorno et la «déchirure d'Auschwitz»
«Theodor Adorno fait partie de ceux qui ont essayé de penser ce qu’on appelle "la déchirure d’Auschwitz " à une époque où l’attitude dominante était celle du silence [..] Dans la joie de la paix retrouvée on refuse de voir l’horreur parce qu’elle est insupportable ou bien on est incapable de fonder une réflexion, même à partir des récits des témoins. Auschwitz est considéré comme un événement funeste parmi d'autres et le rôle de conscience critique n’est joué que par des rescapés des camps de la mort ou par des intellectuels juifs exilés, coupés de leur pays d’origine, comme Adorno et ses amis de l’Ecole de Francfort ; contrairement à l’intelligentsia européenne qui retrouve confiance dans le droit, la raison et le progrès, ils ont l'intuition ou la lucidité de voir dans le génocide une rupture de civilisation.

Écrire un poème après Auschwitz est barbare : on cite souvent cet aphorisme par lequel Adorno signifie de manière brutale qu’après la catastrophe, il n’est plus possible d’aller chercher l’oubli dans de fausses consolations lyriques. "L’art, écrit-il…, a toujours été et demeure une force de protestation de l’humain contre la pression des institutions qui représentent la domination autoritaire… La sphère esthétique est aussi nécessairement politique. L’art dont le monde ne peut se passer, doit désormais faire écho à l’horreur extrême"[...]»

Extrait de "À propos d'Adorno", d'Anne Palanché, une excellente introduction aux réflexions critiques développées par Adorno sur les conséquences de la Shoah.

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