Sénat

Enjeux

Il semble qu'on puisse constater "un important regain du bicamérisme dans les Parlements contemporains.

Ce constat repose sur quelques données objectives et simples: si environ 45 pays connaissaient, au début des années 1970, le système bicaméral, ce nombre s'établit aujourd'hui à 67 et plus d'une douzaine de pays supplémentaires envisagent de créer un Sénat (2) ou en ont pris la décision sans que la Chambre soit encore créée (3) Plus encore, loin d'être une 'anomalie', le bicamérisme est actuellement le système parlementaire sous lequel vivent le plus grand nombre d'habitants de la planète et celui qui a été choisi par les Etats les plus puissants économiquement: c'est ainsi que sur les quinze pays du monde bénéficiant des produits intérieurs bruts les plus élevés, seuls deux - la République populaire de Chine (4) et la Corée du Sud - ont un Parlement monocaméral.

D'où provient ce regain du bicamérisme alors que le système bicaméral est, par essence, plus complexe que le système monocaméral et que, dans les années 1970, au contraire, le bicamérisme paraissait en déclin, les pays scandinaves ayant par exemple choisi de l'abandonner? (...)

Nous observons tout d'abord que le bicamérisme, historiquement, a rempli deux missions fondamentales: d'une part la représentation des Etats fédérés dans les Etats fédéraux, et c'est le modèle des Etats-Unis d'Amérique avec la Constitution de 1787; d'autre part un partage du pouvoir politique au bénéfice d'une classe sociale dont l'évolution de la société tendait à remettre en cause la prééminence: c'est l'exemple de la Chambre des Lords dans le régime monarchique anglais. Si le premier de ces modèles subsiste, se développe, et conserve à l'évidence toute sa raison d'être, le second, en revanche, s'érode pour des raisons également évidentes: les Chambres aristocratiques sont menacées tout simplement parce que la réalité sociologique qu'elles incarnaient s'estompe.

C'est donc dans d'autres directions qu'il faut chercher la cause du regain bicaméral actuel et nous pensons que ces directions sont - et cette liste n'est pas exhaustive - les suivantes:
    * sans aboutir à une structure fédérale, la plupart des Etats du monde sont aujourd'hui engagés dans des processus de décentralisation qui légitiment une représentation spécifique au niveau central : seul le bicamérisme permet cette adaptation nécessaire aux réalités du monde moderne;
    * de nombreux Etats sont engagés dans des processus de démocratisation ou d'approfondissement de l'Etat de droit qui imposent, pour leur succès même, que leur soient associées des composantes de la nation qui, spontanément et pour des motifs très divers, ne sont pas enclines à y participer: le bicamérisme assume cette fonction d'intégration et de stabilisation d'un processus de transition qui est la clé du succès de la démocratisation;
    * d'autres Etats, ou parfois les mêmes, après s'être dotés, dans un premier temps, d'un système monocaméral, en ont perçu les limites, sinon même les risques, dans la mesure où ce modèle est perçu comme le produit d'un mimétisme institutionnel importé sans considération suffisante pour les réalités locales: la diversification de la représentation que permet l'instauration du bicamérisme autorise un processus d'appropriation du système parlementaire respectueux de la contingence nationale;
    * dans d'autres cas, le bicamérisme s'impose en tant que modalité moderne d'application du principe de la séparation des pouvoirs - ce principe sans lequel une société n'a point de Constitution (6) - et il est particulièrement évident ici que le développement des systèmes majoritaires - ces systèmes où majorité et Gouvernement se confondent - légitiment et même imposent une Seconde Chambre libre de ses propos précisément parce qu'elle échappe à la loi d'airain du système majoritaire qui postule que la majorité a pour mission première de soutenir le gouvernement;
    * dans la plupart des cas, par ailleurs, le bicamérisme apparaît comme un gage d'efficacité par sa fonction d'amélioration de la production législative. La complexité et la technicité croissante des problèmes, l'élargissement rapide du champ du droit et de la loi justifient, en effet, l'intervention d'une seconde chambre chargée tout à la fois d'envisager les projets de loi sous un nouvel angle de vue et de procéder à une relecture des textes adoptés par l'autre chambre;
    * sans doute pourrait-on (ou devrait-on) enfin jeter un pont entre les recherches de philosophie politique contemporaine et les réflexions des constitutionnalistes pour développer le fondement philosophique pur du bicamérisme qui n'est autre, probablement, pour un système politique achevé, que la nécessité de représenter l'homme dans sa totalité, c'est-à-dire l'homo civicus titulaire des droits de citoyen et l'homme socialisé par les collectivités auxquelles il appartient ou, plus exactement, par les collectivités qu'il constitue."

Notes
(2) Cette réflexion est en cours au Liban ainsi qu'en Oman et en Ouzbékistan
(3) Par exemple, le Cameroun, la  Géorgie, le Tchad.
(4) La République populaire de Chine connaît néanmoins, à côté de l'Assemblée Nationale populaire, une assemblée dénommée "Conférence consultative politique du Peuple Chinois".
(...)
(6) Article XVI de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789 : "Toute société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution".

source: Le bicamérisme dans le monde: situation et perspectives (site du Sénat de la République française) - reproduction autorisée par le site d'origine

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Le Grand Conseil de l’État du Québec

Marc Chevrier
Paru dans L’Agora, octobre-novembre 1999, vol. 7 no 1, p. 44-45.



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