Protestantisme

Protestantisme et modernité (Alain Touraine)
«Pour l'histoire des idées, l'enseignement le plus important de la pensée luthérienne est l'échec où elle entraîna le petit groupe des humanistes, des érasmiens, qui s'efforçaient de concilier l'esprit de la Renaissance avec celui de la Réforme. L'histoire de la modernité est dès le départ déchirée non pas entre les hommes de progrès et les hommes de tradition, mais entre ceux qui font naître chacune des deux composantes dont sera désormais faite la modernité. D'un côté ceux qui défendent la raison et qui souvent la réduisent à l'instrumentalité au service d'un bonheur qui replace l'être humain dans la nature; de l'autre, ceux qui se lancent dans la difficile aventure de transformer le sujet divin en sujet humain et qui ne peuvent le faire qu'en suivant le chemin le plus indirect, le plus paradoxal, celui de la décomposition de l'homme social par la foi, voire par la prédestination. [...]
Les Réformes religieuses débordent le rationalisme de la Renaissance à la fois par l'appel l'humaniste à la conscience et à la piété et par le rappel antihumaniste à l'arbitraire divin.» (Critique de la modernité)



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Le protestantisme et l'éducation (Gabriel Compayré, 1843-1913)
«Quelle fut l'attitude des hommes de la Réforme protestante dans les questions pédagogiques? On a soutenu, et non sans quelque vraisemblance, que, malgré d'excellentes intentions, la Réforme, à ses débuts, gêna et entrava la Renaissance, parce que, détournant les esprits des études littéraires, elle les précipita dans les discussions théologiques. Érasme ne pardonnait pas à Luther d'avoir rouvert l'arène des controverses religieuses; il voyait dans la Réforme une scolastique nouvelle, non moins menaçante que l'ancienne pour les bonnes lettres. "Partout où règne le luthérianisme, les études sont mortes": en parlant ainsi, Érasme obéissait à ses préjugés d'érudit. Luther lui rendait d'ailleurs mépris pour mépris: "Je veux défendre à mes enfants de lire les Colloques, disait-il, car Érasme y enseigne des choses malséantes. Érasme est un gamin".

L'ardeur de la foi théologique, si vive chez les premiers réformés, a pu contrarier quelquefois les études purement littéraires. C'est ainsi que Mélanchthon voyait avec tristesse la solitude se faire à ses leçons, quand il expliquait les Olynthiennes ou les Philippiques de Démosthène: il était forcé de suspendre son cours, faute d'auditeurs. Mais en même temps il faut reconnaître que les chefs de la Réforme ont recommandé ou pratiqué la littérature ancienne avec autant de zèle que les plus lettrés de leurs contemporains. L'Église protestante n'a pas laissé aux catholiques et à la Société de Jésus le monopole des études classiques. On peut même affirmer qu'elle les a précédés dans cette voie.

Quelque dédain sans doute pour les lettres, quand elles sont étudiées par pur dilettantisme, en dehors d'une intention morale et d'une pensée d'édification religieuse, mais aussi un profond sentiment de la nécessité de cette instruction générale, qui donne à chacun les moyens de se diriger lui-même et qui "met dans le chemin de la vertu", selon l'expression de Coligny, tel fut le double caractère de Luther comme de Calvin. "En rendant l’homme responsable de sa foi, et en plaçant la source de cette foi dans l'Écriture sainte, la Réforme contractait l'obligation de mettre chacun en état de se sauver par la lecture et l'intelligence de la Bible... Le protestantime mit ainsi au service de l'instruction le stimulant le plus efficace et l'intérêt le plus puissant qui agisse sur les hommes.» Le principe fondamental de la Réforme, que la foi doit être individuelle comme la responsabilité, contenait en germe toute une révolution pédagogique."»

GABRIEL COMPAYRÉ, Histoire critiques des doctrines de l'éducation en France depuis le XVIe siècle, Paris, Hachette et cie, 1883, 4e édition, tome I. Voir ce texte.



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Mme de Staël: du protestantisme en Allemagne
«La Réformation a introduit dans le monde l'examen en fait de religion. Il en est résulté pour les uns le scepticisme, mais pour les autres une conviction plus ferme des vérités religieuses: l'esprit humain était arrivé à une époque où il devait nécessairement examiner pour croire. La découverte de l'imprimerie, la multiplicité des connaissances, et l'investigation philosophique de la vérité, ne permettaient pas plus cette foi aveugle dont on s'était jadis si bien trouvé. L'enthousiasme religieux ne pouvait renaître que par l'examen et la méditation. C'est Luther qui a mis la Bible et l'Évangile entre les mains de tout le monde; c'est lui qui a donné l'impulsion à l'étude de l'antiquité; car en apprenant l'hébreu pour lire la Bible, et le grec pour lire le Nouveau Testament, on a cultivé les langues anciennes, et les esprits se sont tournés vers les recherches historiques.

L'examen peut affaiblir cette foi d'habitude que les hommes font bien de conserver tant qu'ils le peuvent; mais quand l'homme sort de l'examen plus religieux qu'il n'y était entré, c'est alors que la religion est invariablement fondée; c'est alors qu'il y a paix entre elle et les lumières, et qu'elles se servent mutuellement.

Quelques écrivains ont beaucoup déclamé contre le système de la perfectibilité, et l'on aurait dit, à les entendre, que c'était une véritable atrocité de croire notre espèce perfectible. Il suffit en France qu'un homme de tel parti ait soutenu telle opinion pour qu'il ne soit plus de bon goût de l'adopter; et tous les moutons du même troupeau viennent donner, les uns après les autres, leurs coups de tête aux idées, qui n'en restent pas moins ce qu'elles sont.

Quand Luther a paru, la religion n'était plus qu'une puissance politique, attaquée ou défendue comme un intérêt de ce monde. Luther l'a rappelée sur le terrain de la pensée. La marche historique de l'esprit humain à cet égard, en Allemagne, est digne de remarque. Lorsque les guerres causées par la Réformation furent apaisées, et que les réfugiés protestants se furent naturalisés dans les divers États du Nord de l'Empire germanique, les études philosophiques, qui avaient toujours pour objet l'intérieur de l'âme, se dirigèrent naturellement vers la religion, et il n'existe pas, dans le dix-huitième siècle, de littérature où l'on trouve sur ce sujet une telle quantité de livres que dans la littérature allemande.

Lessing, l'un des esprits les plus vigoureux de l'Allemagne, n'a cessé d'attaquer avec toute la force de sa logique cette maxime si communément répétée, qu'il y a des vérités dangereuses. En effet, c'est une singulière présomption dans quelques individus, de se croire le droit de cacher la vérité à leurs semblables, et de s'attribuer la prérogative de se placer, comme Alexandre devant Diogène, pour nous dérober les rayons de ce soleil qui appartient à tous également. Cette prudence prétendue n'est que la théorie du charlatanisme: on veut escamoter les idées pour mieux asservir les hommes. La vérité est l'œuvre de Dieu; les mensonges sont l'œuvre de l'homme. Si l'on étudie les époques de l'histoire où l'on a craint la vérité, l'on verra toujours que c'est quand l'intérêt particulier luttait de quelque manière contre la tendance universelle.
[...]
Le droit d'examiner ce qu'on doit croire est le fondement du protestantisme. Les premiers réformateurs ne l'entendaient pas ainsi: ils croyaient pouvoir placer les colonnes d'Hercule de l'esprit humain aux termes de leurs propres lumières; mais ils avaient tort d'espérer qu'on se soumettrait à leurs décisions comme infaillibles, eux qui rejetaient toute autorité de ce genre dans la religion catholique. Le protestantisme devait donc suivre le développement et les progrès des lumières, tandis que le catholicisme se vantait d'être immuable au milieu des vagues du temps.»

MME DE STAËL, De l'Allemagne, chap. VI, in Œuvres complètes, Paris, Firmin Didot, 1871.

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Du protestantisme

Mme de Staël

Le Musée du Désert

Musée du Désert
Créé en 1910 par Frank Puaux et Edmond Hugues, le Musée du Désert est établi dans la maison natale du Chef Camisard Pierre Laporte surnommé Roland. Situé au coeur des basses Cévennes, au Mas Soubeyran, dans un hameau de la commune de Mialet,

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