Nation

«La nation est un fait complété et équilibré par une volonté: le fait d'être né sous un même ciel, de parler la même langue...la volonté de vivre ensemble en dépit des différences, de naissance et de langue notamment.

C'est la définition qui se dégage de l'histoire du mot nation. Voici un aperçu de cette histoire.

Du latin «natio», le mot signifie «naissance, extraction»; en ancien français, c'est ainsi qu'on l'emploie pour désigner le lieu ou la province d'origine en France:

«Nous qui sommes Gascons, en sommes mieux pourvus (de qualités) qu'autre nation de France ne peut être de l'Europe.»
Montluc (1499-1577), Commentaires, 1. viii.

(1606) - Une nation, Gens, natio. Gens de diverses nations assemblés en une ville pour demeurer ensemble.
Nicot, Thrésor de la langue française.

Mais déjà il s'emploie pour signifier des gens nés en France:

(1596) - «Si la grande piété qu'avec les nobles Français vous avez toujours, avec tant de valeur, montrée à l'endroit de votre patrie & de vos Roys, lesquels vous avez par dessus toute autre nation, révérés comme vraies images du Dieu vivant.»
S. Banouy, Apologie ..., 1596, p. 3.

Au cours du 17e siècle, les distinctions entre nation et État se définissent:

(1684) - (Nation) se dit d'un grand peuple habitant une certaine étendue de terre, renfermée en certaines limites ou sous une même domination.
(État): royaumes, provinces ou étendues de pays qui sont sous une même domination.
Furetière, Essai d'un dictionnaire universel.

Dix ans plus tard, l'Académie française attache, à la notion de nation, l'idée de communauté de langage:

(1694) - (Nation) est constituée par tous les habitants d'un même État, d'un même pays qui vivent sous mêmes loix et usent de même langage.
(État:) le pays qui est sous une même domination.
Dictionnaire de l'Ac. fr.»

John Hare, "Pays, patrie, nation", Revue Critère, no 22, été 1978. Source en ligne


Nation civique, nation ethnique

«La nation civique fait référence aux sociétés où la nation repose sur un contrat, donc une adhésion et une appartenance volontaires des individus à la nation. Le droit y établit les règles de base, à caractère universel; l'État les fait respecter; les tribunaux tranchent les contentieux en se référant en priorité à la Constitution et/ou à la Charte des droits ou à ce qui en tient lieu. La nation ethnique désigne les collectivités où l'État et le territoire national coïncident avec un groupe ethnique. Dans ce cas, l'État légifère au nom de l'ethnie, dont il s'emploie à protéger et à promouvoir les intérêts; l' ethnicité relève ici pleinement du domaine public.»

Gérard Bouchard, in Les nationalismes au Québec, sous la direction de Michel Sarra-Bournet et Jocelyn Saint-Pierre, Québec, Presses de l'Université Laval, 2001, p. 318



Cette définition de Renan, souvent citée, date de 1882.

«Une nation est une âme; un principe spirituel. Deux choses, qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs, l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis ( ... ). Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé, elle se résume pourtant dans un fait tangible: le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. »
Suite

Essentiel

«Si la vie s'est organisée dans le désordre d'une terre en ébullition, elle ne pouvait continuer à exister sans protéger l'ordre qui la constitue. D'où ce que j'appelle le principe de la clôture, qui protège la vie contre les forces de l'univers cherchant à la dissiper...» (W. N. Raby)

La cellule est protégée par sa membrane contre les assauts du monde extérieur. ll en est de même de chaque organe. Il doit en être ainsi à tous les niveaux de la vie et dans toutes les formes de vie. Dans les collectivités humaines les invididus sont l'équivalent des cellules; bien qu'ils possèdent leur propre membrane, ils ont besoin d'être soutenus et protégés par la famille, la communauté, qui sont l'équivalent des organes. Outre la famille et les communautés diverses, les individus ont besoin d'une grande collectivité nourricière et protectrice qui soit intermédiaire entre eux et l'ensemble de l'humanité. Peu importe qu'on appelle cette collectivité pays, patrie ou nation.

À défaut de collectivités intermédiaires suffisamment nombreuses et vivantes l'individu devient un atome dans un ensemble indifférencié: la masse. C’est à leur disparition, provoquée au moins partiellement par les médias, que l’historien et philosophe américain Daniel Boorstin attribue la mort des peuples. Autour des peuples, dit-il en substance, il y avait une membrane qui protégeait l’énergie et l’identité interne tout en favorisant les échanges bienfaisants avec le milieu extérieur. Cette membrane n’a pas résisté aux médias.

«Nous assistons aux États-Unis au déclin du "peuple" et à l’avènement de la "masse". Le peuple, généralement illettré, était à sa manière un libre créateur. Sa création propre était faite de mots prononcés, de gestes, de chants: folklore, chanson et danse folkloriques. Le peuple s’exprimait, et sa voix est encore recueillie par les érudits, les ethnographes et les patriotes. Mais la masse, dans notre univers de diffusion et de circulation massives, est la cible au lieu d’être la flèche. Elle est l’oreille, non la voix. La masse, c’est ce que les autres veulent atteindre par l’écriture, la photo, l’image et le son. Si le peuple créait des héros, la masse ne peut que se mettre en quête de leur présence et de leur voix. Elle attend qu’on lui montre, qu’on lui dise quelque chose.» (Daniel Boorstin, L’Image, Paris, Union des éditeurs, Coll. 10/18, 1971, p. 95)

Enjeux

Toutes les querelles touchant la nation se ramènent à un déséquilibre entre ses deux pôles: le fait et la volonté. Si le fait (même langue, même origine...) prend trop d'importance la nation devient oppressive. Elle le devient d'une autre manière si la volonté s'y manifeste de façon excessive, si l'on veut imposer un destin commun à des êtres qui, au point de départ, n'ont rien en commun. La France est une nation encore équilibrée, les effets oppressifs de la volonté unificatrice s'étant adoucis avec le temps. Le Canada est une nation où domine le pôle volonté, le Québec une nation où domine le pôle fait.

«D'un côté, sans nul doute, la prééminence de l'identité et de la volonté nationales peut déboucher sur une société close, égocentrique, qui risque de connaître les pires dérives policières, militaires pour préserver une mythique unité. Le culte intempérant, puis intolérant, de sa singularité, risque d'amener un peuple à une vision paranoïaque de l'histoire. En ce sens le recours aux valeurs rationnelles d'un État, visant l'universel de la Loi, la constitution d'une société civile commune à tout le genre humain peut apparaître comme la seule parade contre les germes totalitaires de la nation.

Mais d'un autre côté, l'aliénation de l'identité nationale dans le supra-nationalisme des nouveaux empires comme dans l'internationalisme de la Révolution, ne risque-t-il pas, loin d'engendrer une société ouverte, de priver les peuples de leurs différences, de les condamner à une homogénéité uniformisante, à une perte de leur âme? Dans ce cas, le totalitarisme ne naîtrait-il pas, non plus d'un enfermement dans une société tribale, mais plutôt de la stérilisation progressive des peuples par éradication de leur volonté différenciatrice?

Autrement dit, la question est de savoir dans quelle mesure l'unité cosmopolitique des sociétés, obtenue par dépassement du cadre national, est porteuse de liberté ou au contraire dans quelle mesure un projet philosophique doit-il requérir un maintien des différences historiques, politiques et juridiques, dans le plein respect de la pluralité de la cause des peuples ? La Nation n'est-elle qu'une ultime congère qui empêche de penser le vouloir politique en terme universel, ou au contraire le 'rempart contre une indifférenciation généralisée, contre un degré zéro d'accomplissement de l'Humanité.» (Jean-Jacques Wunenburger, L'idée de nation, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 1986)

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La nation et l'État

Jean-Jacques Wunenburger
À la symbiose de la Nation et de l'État peut être opposée la figure d'une nation posée comme régulatrice de l'omnipotence étatique.



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