Enjeux
"Aujourd'hui, la ville fermée n'a plus de sens. La mondialisation de l'économie, l'internationalisation des échanges et l'universalisation du modèle de société de l'information (les autoroutes et les paraboles en sont la preuve !), ont mis fin à l'autarcie, mettant en question les modes de production traditionnels des biens et des services et, en conséquence, le tissu traditionnel des médinas.
L'approche de la ville comme entité de production dans une économie moderne pour s'efforcer d'assurer, en premier lieu, la survie alimentaire des citoyens, a replacé les médinas dans le jeu de l'offre et de la demande, et pas seulement à cause du prix des sols.
Ce processus économique, d'inspiration locale ou héritier des anciennes relations coloniales, est accompagné d'un fort processus d'urbanisation. L'exode rural vers la ville, surtout côtière, a traduit un modèle de développement exogène, créant des inadaptations et des fissures importantes dans des sociétés qui avaient des rythmes de développement très ancrés dans le pré-étatique et, surtout, dans le pré-national (tel qu'on l'entend en europe après la création de l'etat moderne et la séparation des pouvoirs).
Les médinas du désert sont pratiquement abandonnées. Elles n'ont plus de vie et, de plus, sont menacées en profondeur par la désertification et le manque d'eau. Les autres médinas ne sont plus, mais se définissent par rapport et dans une relation socio-économique avec les villes modernes qui ont grandi à leur côté: la médina de Tunis, la médina de Marrakech, la Casbah d'Alger... ou la médina de Tripoli (Jamahiriya arabe libyenne).
La prise de conscience de la nécessité de sauvegarder des morceaux des mémoires des sociétés est contemporaine des efforts pour mieux saisir et mieux lire le passé. Mais la sauvegarde (études et recherches, restauration et conservation) est soumise aux impératifs budgétaires, alors que le premier critère à appliquer devrait être la priorité à la population dans la mise en valeur d'un habitat traditionnel, y compris le patrimoine culturel immobilier.
Le sélectif pur et simple, oubliant la participation démocratique des citadins des médinas, aboutirait à une confrontation entre habitant et habitat, entre citoyen et architecture, ce qui amènerait nombre de familles à les milieux de vie traditionnels pour s'installer dans la périphérie de la ville moderne, alimentant ainsi une population péri-urbaine, composante de l'exclusion qui existe aussi dans les régions en développement.
La sauvegarde des médinas doit s'insérer dans un plan d'ensemble de l'expansion de la ville moderne qui l'englobe. Les constructions faisant l'objet d'actions de conservation ponctuelles et isolées risquent de retourner très vite à la détérioration, soit par les menaces d'un environnement en pleine marginalisation, soit par un manque d'utilité productive qui permettrait le financement de la conservation.
Les médinas doivent, pour survivre et pour féconder un nouvel élan, devenir productives. Avec la revalorisation de leur fonction commerciale, grâce à la consommation interne et celle du tourisme, elles doivent aussi se doter de structures collectives intégrées, et d'institutions éducatives et de formation professionnelle. Elles peuvent jouer un rôle très important dans la revitalisation des arts et des traditions qui ont modelé un artisanat de grande qualité, en cours de disparition.
Ce pourrait être une solution pour la réoccupation des anciens palais et immeubles par une bourgeoisie aisée à la recherche d'un environnement plus proche, à visage humain. Un mouvement de retour de cette nature à été constaté dans le centre historique de grandes cités européennes comme par exemple à Barcelone, mais y a été par une intervention très active des municipalités et des administrations publiques, pour assainir et avec d'importantes mesures incitatives (Marrakech se place également dans ce cas).
Des raisons sociales et économiques paraissent appeler à une prudence raisonnable en ce qui concerne les biens culturels à sauvegarder: la rareté des ressources et les hautes priorités sociales (éducation, emploi, santé notamment) doivent faire réfléchir à l'heure de faire les choix en matière de sauvegarde du patrimoine physique. Il faut que la population et les responsables de la culture (ainsi que les de la sauvegarde des biens culturels) soient conscients du fait qu'ils seront souvent appelés à sacrifier une pierre pour sauver la vie de quelques enfants. Devant des décisions de cette nature, l'esthétisme irresponsable et les états d'âmes sont à exclure."
Médinas: sauvegarde sélective de l'habitat traditionnel?,
La Lettre du patrimoine mondial (Centre du patrimoine mondial de l'Unesco), no 9, décembre 1995