Médicalisation
La médicalisation est la prise en charge systèmatique de la santé des gens par des experts appartenant à la profession médicale.
Ce phénomène aujourd'hui incontestable a été évoqué de façon saisissante dans une pièce de théatre intitulé Knock ou le triomphe de la médecine.
Nous sommes, vers 1930, dans un village de France. Knock, médecin d'une redoutable efficacité, a entrepris de faire accéder ledit village à l'âge de la médecine. Knock savoure ici sa réussite en compagnie de son confrère le pharmacien. C'est la nuit. On domine la vallée.
« Ce vaste terroir se passait insolemment de moi et de mes pareils. Mais maintenant, j'ai autant d'aise à me trouver ici qu'à son clavier l'organiste des grandes orgues. Dans deux cent cinquante de ces maisons – il s'en faut que nous les voyions toutes à cause de l'éloignement et des feuillages – il y a deux cent cinquante chambres où quelqu'un confesse la médecine, deux cent cinquante lits où un corps entendu témoigne que la vie a un sens, et grâce à moi un sens médical. La nuit, c'est encore plus beau, car il y a les lumières. Et presque toutes les lumières sont à moi. Les non-malades dorment dans les ténèbres. Ils sont supprimés. Mais les malades ont gardé leur veilleuse ou leur lampe. Tout ce qui reste en marge de la médecine, la nuit m'en débarrasse, m'en dérobe l'agacement et le défi. Le canton fait place à une sorte de firmament dont je suis le créateur continuel. Et je ne vous parle pas des cloches. Songez que, pour tout ce monde, leur premier office est de rappeler mes prescriptions; qu'elles sont la voix de mes ordonnances. Songez que, dans quelques instants, il va sonner dix heures, que pour tous mes malades, dix heures, c'est la deuxième prise de température rectale, et que, dans quelques instants, deux cent cinquante thermomètres vont pénétrer à la fois...»1
En le pharmacien du village, auparavant inoccupé et Knock s'établit une complicité qui préfigure le lien actuel entre l'industrie pharmaceutique et la pratique médicale.
1-Knock ou le triomphe de la médecine, par Jules Romains, Le livre de poche, Paris, 1965, p.160
C'est Ivan Illich qui dans La Némésis médicale, ouvrage paru au début de la décennie 1970, a inscrit la médicalisation dans le débat public mondial.
«La médicalisation de la vie est malsaine pour trois raisons; au-delà d’un certain niveau, l`intervention technique sur l’organisme ôte au patient les caractéristiques du vivant qu’on désigne communément par le mot de « santé »; l’organisation nécessaire pour soutenir cette intervention devient le masque sanitaire d'une société destructrice; et finalement, la prise en ‘ charge de l’individu par l’appareil biomédical du système industriel ôte au citoyen tout pouvoir de maîtriser politiquement ce système. La médecine devient un atelier de réparation et d’entretien destiné a maintenir en état de fonctionnement l’homme usé par une production inhumaine. C’est lui qui doit réclamer la consommation médicale pour pouvoir continuer à se faire exploiter ».1
1- D'abord paru aux Éditions du Seuil, La Némésis médicale a été intégrée au premier volume des Oeuvres complètes d'Illich paru chez Fayard en 2003.