Essentiel
Le philosophe Raimon Panikkar, l'un de ceux qui ont le mieux réussi la difficile synthèse de la tradition orientale et de la tradition occidentale, s'est intéressé à la questions des médecines douces à la fois dans la perspective de la tradition hindoue et dans celle de la tradition chrétienne. «Pour la grande majorité des institutions médicales modernes, écrit-il, la guérison consiste à rendre l'individu apte au travail. "Le déclarer apte au travail" est synonyme de le déclarer guéri. Être capable de travailler est le symptôme de l'homme sain, ce qui veut dire, en fait, qu'un homme signifie un travailleur, et un travailleur l'esclave économique d'une entreprise étrangère à l'idéal du salarié. [...]
Ne serait-ce pas qu'ils rêvent d'une vie centrée sur autre chose que le travail, sur la joie par exemple, que nous contemporains cherchent la guérison par des voies détournées. La joie ne fait plus partie de la santé telle que nous la concevons, pas plus que les diverses autres choses, telles la vitalité, la créativité, la bonne forme, l'aptitude biologique au bonheur, dont l'ensemble constitue la dimension qualitative du bien-être. Ces choses n'étant pas mesurables, chiffrables, elles n'existent pas pour notre science et quand il nous arrive d'en parler c'est avec le remords et le regret de régresser vers la subjectivité. Les médecines traditionnelles sont plus sages. «Ici, explique Panikkar, le critère de santé n'est pas la capacité de travail mais bien la capacité de jouissance. C'est quand l'homme est dans un état permanent de tristesse (qui était considéré un péché capital dans la tradition chrétienne:
l'acedia) qu'il est déclaré malade: il n'est plus capable de jouir de la vie, il est saisi par le
tedium vitae, le mal du siècle, la dépression.»
RAIMON PANIKKAR,
Interculture, Institut interculturel de Montréal, volume XXVII, no 4, automne 1994/Cahier numéro 125, p. 24
Enjeux
Voici les principales conclusions d'un colloque international sur les médecines douces organisé par L'Agora au Québec en 1985. La pertinence des thèses qui y furent défendues est encore plus manifeste aujourd'hui.
La part des médecines douces se situerait donc entre 1/18 et 1/30 (4 et 5%) du chiffre d'affaires total du secteur de la santé. (Données de 1985.) (Selon des
données récentes, alors qu'en 1990, un américain sur trois avait recours aux thérapies alternatives, on prévoit qu'en 2010 la proportion passera deux sur trois.)
La montée des médecines douces est une réaction à la prévalence croissante des
maladies chroniques.
A chaque époque, la qualité du savoir médical se mesure d'abord au degré d'adéquation
entre la maladie dominante et les diverses stratégies thérapeutiques
De la fin du moyen âge à la fin du dix-huitième siècle, la réalité dominante est l'épidémie. La maladie frappe d'abord brutalement et collectivement une société; elle conduit ensuite très rapidement à la mort; on n'a pas le temps d'être malade.
Aux épidémies succèdent progressivement les infections, dont la tuberculose demeure le meilleur exemple. Comme les infections mettent plus de temps à tuer, un mode de vie de malade commence à apparaître. Les maladies chroniques actuelles accentueront ce mode de vie.
On a tort en tout cas de ranger les médecines douces dans
l'irrationnel sous le seul prétexte que leurs succès sont inexpliqués.
La recherche médicale devrait désormais porter en priorité sur
l'effet placebo, c'est-à-dire sur l'inexpliqué dans la guérison, dans la médecine mécaniste comme dans les médecines douces.
Ampleur du phénomène
Faisant allusion à une étude qu'il a lui-même qualifiée de rudimentaire, et sur laquelle il n'a donné aucune autre précision, monsieur André-Pierre Contandriopoulos (1) a situé le chiffre d'affaires du secteur des médecines douces au Québec entre 200 et 400 millions de dollars, et le nombre de thérapeutes autour de 5800. Le système de soins officiel coûte de 1200 à 1300$ par année et par habitant au Québec; il mobilise environ 8% du PNB, c'est-à-dire près de 7.5 milliards de dollars. La part des médecines douces se situerait donc entre 1/18 et 1/30 (4 et 5%) du chiffre d'affaires total du secteur de la santé.
Ces chiffres tiennent-ils compte des thérapies alternatives pratiquées par des médecins à l'intérieur du système? Ou de la pratique qui s'introduit en douceur, c'est le cas de le dire, dans les CLSC et les hôpitaux?
Une autre enquête citée par A.P. Contandriopoulos, celle de MM. Pinot et Lescott, montre d'autre part que les médecins dirigent très peu de leurs patients vers des ressources autres que médicales, telles que para-médicaux, cliniques multi-disciplinaires ou même CLSC, qui pourtant font partie du système de soins officiel. Les médecins posséderaient peu d'information sur les avantages qu'offrent ces différents groupes. 23 % d'entre eux trouvent même que certains groupes offrent des services inutiles et 90% estiment que les CLSC devraient disparaître. Or à l'intérieur du système officiel, les CLSC sont à peu près les seuls groupes qui manifestent de l'intérêt pour les médecines parallèles.
Si ces données ne nous renseignent guère sur l'ampleur du phénomène des médecines douces, elles nous apprennent du moins que ce n'est pas, pour l'instant, de l'intérieur de la profession médicale qu'il faut attendre un développement.
5% des dépenses de santé, c'est à la fois peu ou beaucoup selon le point de vue où l'on se place. Précisons d'abord que ce 5% représente peut-être 20% des dépenses faites en consultation, c'est-à-dire 20% de ce qu'il reste du 7.5 milliards une fois qu'on en a enlevé le coût des institutions: hôpitaux et CLSC, centres d'accueil, etc.
Des enquêtes faites plus récemment en France (2), à la demande du gouvernement, indiquent que 50% des Français ont à un moment ou l'autre eu recours aux thérapies alternatives.
Mais qu'il s'agisse de la France ou du Québec, il importerait davantage de connaître le taux de croissance que les données actuelles, car, de toute évidence, les médecines douces ont connu un développement considérable ces dernières années. Puisque, comme l'a démontré Madeleine Moulin (3) au colloque, il s'agit d'un fait de civilisation et non d'une mode, il faut s'attendre à ce que le taux de croissance demeure élevé pendant quelques années encore. Les données actuelles prennent une toute autre signification dans ce contexte.
Au colloque, au moins trois conférenciers, Pierre Cornillot (4) , Claudine Herzlich, Lowell S. Levin (5) ont associé le phénomène des médecines douces à la montée des maladies chroniques. Levin a rappelé que 80% des maladies sont aujourd'hui chroniques, contre 30% seulement il y a cinquante ans. (Tout indique que la prévalence de ces maladies n' a fait que croître depuis.)
N'ayons pas peur du sens des mots: chroniques veut dire incurables. C'est d'abord notre incapacité de guérir un nombre croissant de maladies qui est chronique. De ce nombre: des bronchites, l'arthrite, les maux de dos, la sclérose en plaques, le diabète, le rhumatisme et plusieurs maladies mentales .
Les médecines douces seraient une réponse à ce nouveau défi. Pour bien saisir la portée de cette hypothèse il faut se situer dans le contexte très large et très mouvant de l'adaptation des êtres humains à leur environnement. La maladie doit alors être interprétée comme une rétroaction
(feedback), comme un message envoyé par l'environnement à l'homme qui tente de s'y faire une niche, message qui doit à son tour être interprété correctement.
La perspective historique et géographique va de soi dans ce contexte. Les maladies ne sont pas des essences inaltérables auxquelles correspondent des remèdes eux-mêmes éternels. Elles évoluent avec le temps et avec les lieux. Pour réagir adéquatement aux messages qu'elles véhiculent, ou plutôt qu'elles constituent, il faut d'abord avoir renoncé à toute conception abstraite, atemporelle.
Les maladies vont et viennent rappelait récemment le docteur Robert S. Mendelsohn (6)
. Nous avons aujourd'hui de nouvelles maladies: le sida, l'herpès, la maladie du légionnaire, etc. De vieilles maladies, comme la fièvre scarlatine ont complètement disparues ou sont devenues bénignes.
Le docteur Mendelsohn rappelle également que ces données historiques invalident les arguments utilisés par de nombreux médecins pour justifier le recours à certaines thérapies chimiques, dans le cas du cancer notamment. «Ces médecins dit-il, font croire à leurs patients que la leucémie, par exemple, qui était selon eux mortelle dans 95% des cas ne l'est plus aujourd'hui que dans 50% des cas à cause de leurs traitements. Ils oublient de dire à leurs patients que le concept même d'évaluation
historique est anathème pour la vraie science(...) Les seuls évaluations qui sont pris au sérieux en médecine sont les contrôles contemporains.»
C'est aussi la perspective historique qui nous permet de bien comprendre le triomphe de la médecine expérimentale à la fin du dix-neuvième siècle. Le grand mérite de cette médecine fut précisément d'avoir été une réaction adaptative heureuse face à une maladie dont la forme dominante était alors l'infection. Symbole d'une médecine en régression, la saignée, qui, certains historiens l'ont soutenu, pouvait être efficace dans le cas des maladies de salon des siècles précédents, s'était avérée dérisoire comme moyen de lutte contre le pneumocoque.
A chaque époque, la qualité du savoir médical se mesure d'abord au degré d'adéquation entre la maladie dominante et les diverses stratégies thérapeutiques. Faisons l'hypothèse que, dans x années, il soit devenu évident que la principale cause de morbidité soit l'atrophie de l'imaginaire, du dynamisme créateur de l'âme. Cette hypothèse, nous le verrons, n'a rien d'invraisemblable. Dans ce contexte, une stratégie médicale centrée sur la haute technologie paraîtrait tout à fait anachronique. Il faudrait plutôt chercher des moyens d'atténuer les effets sur le psychisme des images du corps machine véhiculées par la médecine officielle.
Claudine Herzlich a rappelé les principales étapes de l'évolution de la maladie au cours des derniers siècles. De la fin du moyen âge à la fin du dix-huitième siècle, la réalité dominante est l'épidémie. La maladie frappe d'abord brutalement et collectivement une société; elle conduit ensuite très rapidement à la mort; on n'a pas le temps d'être malade. Les malades en eux-mêmes n'ont pas beaucoup d'importance, ils sont perçus comme des mourants. Ils n'ont pas de statut social. Les mesures appliquées pour venir à bout d'une épidémie sont collectives et caractérisées par leur extrême dureté.
Aux épidémies succèdent progressivement les infections, dont la tuberculose demeure le meilleur exemple. Comme les infections mettent plus de temps à tuer, un mode de vie de malade commence à apparaître. Les maladies chroniques actuelles accentueront ce mode de vie.
Il faut s'arrêter ici pour réfléchir sur la médecine expérimentale, dont le triomphe est historiquement relié à la victoire sur l'infection. Voici qu'à un moment précis de l'histoire, les infections: tuberculose, fièvres puerpérales, pneumonies, etc., sont les principales causes de la frayeur des populations; et voici qu'au même moment, une nouvelle approche, expérimentale, fait apparaître l'efficacité de l'hygiène et bientôt de certains remèdes, les sulfamides et les antibiotiques. Au même moment également, la profession qui fournit la plupart de leurs chercheurs aux laboratoires, la médecine, s'organise sur des bases conformes aux exigences de la méthode expérimentale. Il n'en fallait pas plus pour que les populations, par l'intermédiaire de leur gouvernement, accordent à cette profession le monopole sur les actes thérapeutiques.
L'avènement des maladies chroniques comme fait dominant a bouleversé cet ordre de plusieurs manières. Nous sommes à un nouveau moment de l'évolution, du dialogue de l'homme avec l'environnement. Les maladies chroniques sont le message que nous envoie ce dernier, après avoir été considérablement modifié par l'industrialisation. Les infections étaient le message envoyé par un environnement qui était encore vierge au moment où commençait l'urbanisation.
Comment réagir aux maladies chroniques en tant que message dominant? Voilà la grande question! Certains croient que l'exploit de la médecine scientifique contre les infections peut se reproduire. D'autres pensent au contraire que, toutes informes qu'elles soient encore, les médecines douces constituent déjà l'amorce de la réponse la plus adéquate. Nous disons, à dessein, «réponse la plus adéquate» pour bien indiquer qu'une éradication des maladies chroniques, comparable à l'éradication des maladies infectieuses, est peut-être une utopie dont il faut se méfier.
Avant d'engager la discussion sur cette question, il faut préciser le sens de mots comme scientifique, rationnel, irrationnel. Certains disent indifféremment médecines scientifiques et médecines rationnelles et rejettent les autres médecines dans l'irrationnel, parfois avec une nuance de mépris. Il en résulte une confusion qui rend tout débat serein impossible.
Il faut surtout se garder de confondre le rationnel avec l'expliqué et l'irrationnel avec l'inexpliqué. Dans la perspective très large où nous nous situons, où il faut se situer quand on parle de la santé, le critère de la rationalité, c'est l'adaptation quand il s'agit de l'espèce et la guérison quand il s'agit de l'individu. Supposons que je sois témoin d'un accident de la route qui provoque l'explosion de produits toxiques dégageant de mauvaises odeurs. Il se peut que je m'éloigne uniquement à cause des mauvaises odeurs. Il se peut aussi que je m'éloigne parce que j'ai lu le nom de la substance toxique sur le réservoir qui a explosé. Il y a peut-être deux sortes de rationalité dans le second comportement, mais il y en a au moins une dans le premier et c'est la principale: je fais ce qu'il faut pour sauver ma vie, même si je le fais par instinct plus que par science.
Le plus souvent les deux sortes de mobiles, les mobiles "instinctifs" et les mobiles "scientifiques", sont associés dans nos comportements d'une façon telle qu'il est bien difficile d'en faire le départage. Quand je passe vite sous une ligne à haute tension c'est à la fois parce que ce bruit insolite au-dessus de ma tête m'inspire une crainte élémentaire et parce que j'ai le souvenir d'avoir lu des choses inquiétantes sur le sujet dans une revue scientifique.
On a tort en tout cas de ranger les médecines douces dans l'irrationnel sous le seul prétexte que leurs succès sont inexpliqués. Dans ces conditions, une partie, la plus grande sans doute, de la médecine scientifique, anatomo-clinique et mécaniste pour être plus précis, doit également être considérée comme irrationnelle. Pourquoi l'aspirine est-elle efficace contre certaines maladies cardiaques? Voici à ce propos un autre exemple éloquent choisi dans un secteur de pointe, la fécondation in vitro. Depuis quelques années on tentait des expériences au centre hospitalier de l'Université Laval de Québec. Le succès tardait désespérément à venir. Si bien qu'on fit venir un grand expert anglais en consultation, le docteur Edward (7). Il suggéra de tenter l'expérience avec plusieurs femmes en même temps. A sa clinique, il avait obtenu ses premiers bons résultats dans ces conditions. La méthode s'avéra tout aussi fructueuse à Québec qu'à Londres. Ainsi donc une technique de pointe doit ses premiers bons résultats à une approche empirique. Les hyper-techniciens de Londres ou de Québec auraient-ils fait preuve de plus de rationalité s'ils avaient préféré persévérer dans l'échec plutôt que de s'exposer aux sarcasmes de leurs confrères puristes, sarcasmes qu'ils se seraient sûrement attirés en mêlant une sommaire psychologie de groupe à leur haut savoir biologique.
Il y a une part d'inexpliqué même dans les succès les mieux démontrés de la médecine mécaniste. On a une connaissance assez précise du mécanisme de l'infection et des raisons pour lesquelles les antibiotiques sont efficaces. Mais connaît-on les facteurs qui font varier leur efficacité? Sait-on comment la résistance des bactéries peut devenir telle que l'efficacité des antibiotiques connus devient presque nulle? La part d'inexpliqué est sans doute plus grande dans le cas de la plupart des succès des médecines douces, mais cela tient peut-être surtout au fait qu'il n'y a pratiquement jamais eu de recherches poussées sur le sujet.
La question initiale devient claire dans ces conditions.
Répétons-la: pour relever le nouveau défi que l'environnement nous lance sous la forme des maladies chroniques, vaut-il mieux miser sur le phénomène nouveau des médecines douces ou sur une réédition des exploits de la médecine mécaniste contre les infections?
La grande conclusion que nous tirons du colloque d'Orford c'est que la première hypothèse mérite à tout le moins d'être prise au sérieux. Tel était notamment l'essentiel du message du doyen Cornillot (8). Il a étonné plus d'un participant en soutenant que la recherche médicale devrait désormais porter en priorité sur l'effet placebo, c'est-à-dire sur l'inexpliqué dans la guérison, dans la médecine mécaniste comme dans les médecines douces.
Il faisait par là le saut dans la grande et élémentaire rationalité, celle qui se mesure à l'adaptation et à la guérison, plutôt que de rester cantonné à une rationalité étroite parce que réduite à la zone de l'expliqué.
Lui-même s'était dit étonné du mépris avec lequel certains tenants de la médecine mécaniste ridiculisent les succès des médecines douces en les expliquant par l'effet placebo, c'est-à-dire par leur part d'inexpliqué: «L'effet placebo! On est exactement au coeur du problème. Par ma position intellectuelle, qui se trouve à la jonction entre la médecine officielle et les médecines naturelles, je dirais que l'effet placebo est le plus beau don, de la nature et du ciel réunis, à l'homme et à la médecine. C'est quelque chose d'absolument merveilleux. Seulement, on est en 1985, et ce quelque chose est toujours considéré comme un parasite de la médecine expérimentaliste.
Non seulement, ce don merveilleux ne fait pas l'objet d'études attentives et poussées, pour essayer de le renforcer, de le codifier, de le comprendre, et par l'intermédiaire de la compréhension de tomber sur une physiopathologie nouvelle, c'est-à-dire ouvrir des champs absolument extraordinaires à la recherche. Mais au contraire, la question de fond est: Comment éliminer l'effet placebo?»
Le raisonnement de Pierre Cornillot est le suivant: nous sommes devant le fait des maladies chroniques et la médecine triomphante d'hier ne peut rien contre elles. Surgissent des thérapeutes dont les méthodes ne satisfont pas à toutes les exigences de la méthode expérimentale. Ils obtiennent néanmoins des succès tels que le public les recherche même s'il doit payer leurs services. Placebo! disent avec mépris les tenants de la médecine expérimentale. La réponse de Cornillot est d'une rationalité supérieure: vive le placebo, dit-il, s'il permet de triompher du grand défi actuel. Il faut multiplier les programmes de recherche sur le placebo a-t-il ensuite soutenu.
La proposition du doyen Cornillot sur la recherche a pu être considérée comme une boutade. Elle était pourtant très sérieuse. Une recherche sur le placebo c'est une recherche sur tout ce qui agit sur l'imaginaire et l'inconscient: la personne du thérapeute, le cadre dans lequel il reçoit ses patients, le langage qu'il utilise, les gestes qu'il pose ou ne pose pas; c'est aussi une recherche sur les dispositions de la clientèle face à telle ou telle approche. Au-delà de la personnalité du thérapeute, on peut faire entrer dans l'effet placebo les réalités, les images et les symboles présents dans l'ensemble de l'environnement. Une telle recherche comblerait notamment les voeux de tous ceux qui sont à l'avant-garde de la médecine psychosomatique.
Les nuances
Des nuances de tous genres s'imposent évidemment tant à propos de la médecine officielle qu'à propos des nouvelles thérapies. Le fait que les maladies chroniques soient devenues majoritaires n'enlève évidemment rien au nombre et à la gravité des accidents qui surviennent régulièrement. Personne ne conteste l'efficacité de la médecine officielle pour réparer des membres cassés ou recoudre des tissus déchirés. Le monopole de cette médecine n'est pas menacé là où son efficacité et son efficience sont incontestables.
Certains de nos propos ont pu d'autre part donner l'impression que, selon nous, toutes les médecines dites douces n'ont de sens que dans la perpective de la rationalité élargie.
De nombreux conférenciers, dont le médecin homéopathe Jacques Jouanny (8), ont au contraire tenu à démontrer que leur pratique avait une place, et une place de choix, dans l'enceinte scientifique. De l'exposé du professeur Jouanny on retient cependant ce fait capital: le bon homéopathe tient compte d'une multitude de facteurs dans l'histoire de son patient. Non seulement il ne soigne pas une maladie conçue comme une essence inaltérable à travers les âges, mais encore il fait l'hypothèse que chaque maladie à une époque donnée prend les couleurs du malade qui en est affligé et varie même suivant l'histoire personnelle de ce malade. Le remède est ajusté à l'ensemble de ces facteurs. Il faut reconnaître qu'une science qui fait une si large place à l'examen et à l'interprétation prête flanc aux accusations de placebo, qui ne manquent d'ailleurs pas.
Répétons-le, tout dans ce débat dépend du sens qu'on veut bien donner à des mots comme science et rationalité. Si on considère ces deux mots comme synonymes et si on entend par là une réaction adéquate aux grands défis de l'environnement, il devient difficile d'exclure de cette sphère des pratiques sous le seul prétexte que leur efficacité n'est ni constante ni expliquée de façon satisfaisante.
Notes
1. Professeur agrégé au Département d'administration de la santé de l'Université de Montréal
2. Journal Le Figaro le 17 août 1984
3. Docteur en sciences sociales, Centre de Sociologie de la Santé, Université Libre de Bruxelles.
4. M.D. doyen de la Faculté de Santé, de Médecine et de Biologie Humaine de l'Université de Bobigny (Paris).
5. Professeur au Département d'épidémiologie et de santé publique de la Faculté de Médecine de l'Université Yale.
6. Médecin généraliste, Robert Mendelsohn est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Confessions of a medical Heretic (Warner Books). Le passage cité ici est tiré d'un ouvrage collectif: Dissent in Medicine, Contemporary Books, Chicago, 1985.
7. Conseil du Statut de la femme, Gouvernement du Québec, Nouvelles technologies de la reproduction, janvier 1986.
8. M.D., attaché de cours à la Faculté de pharmacie de l'Université de Lyon, directeur du Centre d'enseignement homéopathique de Lyon, membre de l'institut Boiron.
Source: Le rapport L'Agora sur les médecines douces, Les Éditions de L'Agora, Ayer's Cliff, Québec, 1985.