Corot Jean-Baptiste Camille

16 juillet 1796-22 février 1875
Jugement de Baudelaire (Curiosités esthétiques):
«A la tête de l'école moderne du paysage, se place M. Corot. – Si M. Théodore Rousseau voulait exposer, la suprématie serait douteuse, M. Théodore Rousseau unissant à une naïveté, à une originalité au moins égales, un plus grand charme et une plus grande sûreté d'exécution. – En effet, ce sont la naïveté et l'originalité qui constituent le mérite de M. Corot. – Evidemment cet artiste aime sincèrement la nature, et sait la regarder avec autant d'intelligence que d'amour. – Les qualités par lesquelles il brille sont tellement fortes, – parce qu'elles sont des qualités d'âme et de fond – que l'influence de M. Corot est actuellement visible dans presque toutes les oeuvres des jeunes paysagistes – surtout de quelques-uns qui avaient déjà le bon esprit de l'imiter et de tirer parti de sa manière avant qu'il fût célèbre et sa réputation ne dépassant pas encore le monde des artistes. M. Corot, du fond de sa modestie, a agi sur une foule d'esprits. – Les uns se sont appliqués à choisir dans la nature les motifs, les sites, les couleurs qu'il affectionne, à choyer les mêmes sujets; d'autres ont essayé même de pasticher sa gaucherie. – Or, à propos de cette prétendue gaucherie de M. Corot, il nous semble qu'il y a ici un petit préjugé à relever. – Tous les demi-savants, après avoir consciencieusement admiré un tableau de Corot, et lui avoir loyalement payé leur tribut d'éloges, trouvent que cela pèche par l'exécution, et s'accordent en ceci, que définitivement M. Corot ne sait pas peindre. – Braves gens! qui ignorent d'abord qu'une oeuvre de génie – ou si l'on veut – une oeuvre d'âme – où tout est bien vu, bien observé, bien compris, bien imaginé – est toujours très bien exécutée, quand elle l'est suffisamment – Ensuite qu'il y a une grande différence entre un morceau fait et un morceau fini – qu'en général ce qui est fait n'est pas fini, et qu'une chose très finie peut n'être pas faite du tout – que la valeur d'une touche spirituelle, importante et bien placée est énorme..., etc..., d'où il suit que M. Corot peint comme les grands maîtres. – Nous n'en voulons d'autre exemple que son tableau de l'année dernière – dont l'impression était encore plus tendre et mélancolique que d'habitude. – Cette verte campagne où était assise une femme jouant du violon – cette nappe de soleil au second plan, éclairant le gazon et le colorant d'une manière différente que le premier, était certainement une audace et une audace très réussie. – M. Corot est tout aussi fort cette année que les précédentes; – mais l'oeil du public a été tellement accoutumé aux morceaux luisants, propres et industrieusement astiqués, qu'on lui fait toujours le même reproche.

Ce qui prouve encore la puissance de M. Corot, ne fût-ce que dans le métier, c'est qu'il sait être coloriste avec une gamme de tons peu variée – et qu'il est toujours harmoniste même avec des tons assez crus et assez vifs. – Il compose toujours parfaitement bien. – Ainsi dans Homère et les Bergers, rien n'est inutile, rien n'est à retrancher; pas même les deux petites figures qui s'en vont causant dans le sentier. – Les trois petits bergers avec leur chien sont ravissants, comme ces bouts d'excellents bas-reliefs qu'on retrouve dans certains piédestaux des statues antiques. – Homère ressemble peut-être trop à Bélisaire. – Un autre tableau plein de charme est Daphnis et Chloé – et dont la composition a comme toutes les bonnes compositions – c'est une remarque que nous avons souvent faite – le mérite de l'inattendu.»

* * *


Paul Jamot: Corot, le peintre des «valeurs»
«C'est à Corot que l'on doit l'importance prise dans la peinture par ce que l'on appelle les « valeurs », c'est-à-dire une gradation des tons exprimant l'éloignement plus ou moins grand des objets. Cette gradation, Corot la réalisa en noir et blanc; on peut l'établir, ainsi qu'on l'a vu depuis, sur une hiérarchie d'intensité des couleurs. Cependant Corot, avec une divine facilité, une touche pleine d'esprit et de naturel, qui, parfois, ne craint pas de hasarder l'équilibre du tableau, soit sur une note isolée qui semble un peu forte, soit, au contraire, sur des valeurs qui paraissent trop voisines [...], Corot, muni d'une palette très restreinte, a exprimé mieux que personne l'air qui est la respiration de notre planète, la lumière qui en est la joie et l'espace qui est la conquête indéfinie de nos yeux.»

PAUL JAMOT, "Corot, Rousseau et le paysage en France vers 1830", Revue de Paris, année 30, tome 1, 1er février 1923, p. 588-595.

Articles


Article «Corot» de la Grande Encyclopédie (1885-1902)

Victor Champier
Article de Victor Champier paru dans la Grande Encyclopédie. L'auteur y évoque la carrière sereine et tranquille de Corot, l'inéluctable victoire de son art, empreint de douceur, d'une suave luminosité et de musicalité, sur le genre académiqu

Corot

Charles-Pierre Baudelaire



Lettre de L'Agora - Printemps 2025

  • Billets de Jacques Dufresne

    J'ai peur – Jour de la Terre, le pape François, Pâques, les abeilles – «This is ours»: un Texan à propos de l'eau du Canada – Journée des femmes : Hypatie – Tarifs etc: économistes, éclairez-moi ! – Musk : danger d'être plus riche que le roi – Zelensky ou l'humiliation-spectacle – Le christianisme a-t-il un avenir?

  • Majorité silencieuse

    Daniel Laguitton
    2024 est une année record pour le nombre de personnes appelées à voter, mais c'est malheureusement aussi l’année où l'abstentionnisme aura mis la démocratie sur la liste des espèces menacées.

  • De Pierre Teilhard de Chardin à Thomas Berry : un post-teilhardisme nécessaire

    Daniel Laguitton
    Un post-teilhardisme s'impose devant l'évidence des ravages physiques et spirituels de l'ère industrielle. L'écologie intégrale exposée dans les ouvrages de l'écothéologien Thomas Berry donne un cadre à ce post-teilhardisme.

  • Réflexions critiques sur J.D. Vance du point de vue du néothomisme québécois

    Georges-Rémy Fortin
    Les propos de J.D. Vance sur l'ordo amoris chrétien ne sont somme toute qu'une trop brève référence à une théorie complexe. Ce mince verni intellectuel ne peut cacher un mépris égal pour l'humanité et pour la philosophie classique.

  • François, pape de l’Occident lointain

    Marc Chevrier
    Selon plusieurs, François a été un pape non occidental parce qu'il venait d'Amérique latine. Ah bon ? Cette Amérique se tiendrait hors de l'Occident ?

  • L'athéisme, religion des puissants

    Yan Barcelo
    L’athéisme peut-il être moral? Certainement. Peut-il fonder une morale? Moins certain, car l’athéisme porte en lui-même les semences de la négation de toute moralité.

  • Entre le bien et le mal

    Nicolas Bourdon
    Une journée d’octobre splendide, alors que je revenais de la pêche, Jermyn me fit signe d’arrêter. « Attends ! J&

  • Le racisme imaginaire

    Marc Chevrier
    À propos des ouvrages de Yannick Lacroix, Erreur de diagnostic et de François Charbonneau, L'affaire Cannon

  • Le capitalisme de la finitude selon Arnaud Orain

    Georges-Rémy Fortin
    Nous sommes entrés dans l'ère du capitalisme de la finitude. C'est du moins la thèse que Arnaud Orain dans son récent ouvrage, Le monde confisqué

  • Brèves

    La source augustinienne de la spiritualité de Léon XIV – La source augustinienne de la spiritualité de Léon XIV – Chine: une économie plus fragile qu'on ne le croit – Serge Mongeau (1937-2025) – Trump: 100 jours de ressentiment – La classe moyenne américaine est-elle si mal en point?