Georges Seurat

1863-1891
Seurat vu par Paul Signac
«Georges Seurat suivit les cours de l'école des Beaux-Arts; mais son intelligence, sa volonté, son esprit méthodique et clair, son goût si pur et son œil de peintre le gardèrent de l'influence déprimante de l'École. Fréquentant assidûment les musées, feuilletant dans les bibliothèques les livres d'art et les gravures, il puisait dans l'étude des maîtres classiques la force de résister à l'enseignement des professeurs. Au cours de ces études, il constata que ce sont, des lois analogues qui régissent la ligne, le clair-obscur, la couleur, la composition, tant chez Rubens que chez Raphaël, chez Michel-Ange que chez Delacroix: le rythme, la mesure et le contraste.

La tradition orientale, les écrits de Chevreul, de Charles Blanc, de Humbert de Superville, d'O. N. Rood, de H. Helmholtz le renseignèrent. Il analysa longue ment l'œuvre de Delacroix, y retrouva facilement l'application des lois traditionnelles, tant dans la couleur que dans la ligne, et vit nettement ce qui restait encore à faire pour réaliser les progrès que le maître romantique avait entrevus.

Le résultat des études de Seurat fut sa judicieuse et fertile théorie du contraste, à laquelle il soumit dès lors toutes ses œuvres. Il l'appliqua d'abord au clairobscur: avec ces simples ressources, le blanc d'une feuille de papier Ingres et le noir d'un crayon Conté, savamment dégradé ou contrasté, il exécuta quelque quatre cents dessins, les plus beaux dessins de peintre qui soient. Grâce à la science parfaite des valeurs, on peut dire que ces blanc et noir sont plus lumineux et plus colorés que maintes peintures. Puis, s'étant ainsi rendu maître du contraste de ton, il traita la teinte dans le même esprit et, dès 1882, il appliquait à la couleur les lois du contraste et peignait avec des éléments séparés — en employant des teintes rabattues, il est vrai — sans avoir été influencé par les impressionnistes dont, à cette époque, il ignorait même l'existence.
[...]

En 1884, à la première exposition du groupe des Artistes Indépendants, au baraquement des Tuileries, Seurat et Signac, qui ne se connaissaient pas, se rencontrèrent, Seurat exposait sa Baignade, refusée au Salon de cette même année. Ce tableau était, peint à grandes touches plates, balayées les unes sur les autres et, issues d'une palette composée, comme celle de Delacroix, de couleurs pures et de couleurs terreuses. De par ces ocres et. ces terres, le tableau était terni et paraissait, moins brillant que ceux que peignaient les impressionnistes avec leur palette réduite aux couleurs du prisme. Mais l'observation des lois du contrasle, la séparation méthodique des éléments — lumière, ombre, couleur locale, réactions —, leur juste proportion et leur équilibre conféraientt à cette toile une parfaite harmonie.»

PAUL SIGNAC, "D'Eugène Delacroix au néo-impressionnisme", in La Revue Blanche, 1899



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Seurat, ce chromatiste wagnérien...
«Un mort. Né et décédé à Paris : 2 Décembre 185929 Mars 2891. Quatre ans élève à l'école des BeauxArts sous Henri Lehmann Début, en 1883, au salon officiel du Palais de l'Industrie : un portrait au crayon, grandeur naturelle, de son très ami Aman jean, par le livret cocassement intitulé Broderie, titre exact d'un autre crayon, refusé. Au baraquement de la rue des Tuileries, le 25 Mai 1884, grande toile, Une Baignade (Asnières). À la huitième exposition des Impressionnistes, rue Laffitte no 1, I5 Mai 1886, neuf peintures ou dessins et, enfin, soixante, exhibés aux sept manifestations de la Société des Artistes Indépendants, du 10 Décembre 1884 au 20 Mars 1891. Parmi quoi : Un Dimanche à la Grande-Jatte, Poseuses, Chahut, Cirque, où cinquante hommes ou femmes se promènent, s'étendent, posent, dansent, contemplent assis, applaudissent, rient, courent, s'élancent à cheval, sillonnent l'espace, extraient des sons — avec sérénité, dans la lumière jaune. (Peints dans leur réelle dimension).

Ce chromatiste wagnérien avait un idéal : l'Harmonie. L'Art, pour lui, c'était l'Harmonie, et l'Harmonie, l'analogie des contraires, l'analogie des semblables — de ton, de teinte, de ligne. Comme moyen d'expres. sion de cette technique : le mélange optique des tons, des teintes et de leurs réactions (ombres) suivant des lois très fixes. Et Georges Seurat fut le véritable initiateur de la division du ton, il le faut redire. A sa dernière exposition, nouvelle innovation, il avait substitué au cadre blanc ou neutre le cadre peint, opposé aux tons, teintes et lignes du motif.

Comme Maximilien Robespierre, Georges Seurat croyait à ce qu'il disait (rarement), donc à ce qu'il exécutait. Il était silencieux, obstiné et pur. De même qu'il conférait aux êtres une austérité hiératique, il attribuait à la Nature le calme endormeur de l'extase et c'est ainsi qu'il peignit des paysages de la BasseNormandie, de la Picardie, de la Seine.
Une stupide et subite maladie l'emportait en quelques heures, au milieu du triomphe : j'insulte la Providence et la Mort.»

JULES CHRISTOPHE, "Chromo-luminaristes: Georges Seurat", in La Plume, 1er sept. 1891

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