Génocide

"Inventé par le professeur américain d'origine polonaise Raphael Lemkin en 1943 le concept de génocide (1) étend à des groupes entiers d'humains l'homicide d'un individu isolé. Aussi ancien que l'humanité, ce crime n'a été défini qu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, postérieurement au génocide des Arméniens et des Juifs, mais en référence à ce dernier. Il définit une catégorie criminelle cernée juridiquement et concerne la mise en exécution d'un programme d'extermination d'un groupe humain par un Etat souverain.

1) La notion juridique avant 1945: la reconnaissance du crime contre l'humanité

Avant 1945, la qualification pénale de génocide n'existe pas (...).

Néanmoins les Conventions de la Haye du 29 juillet 1899 et surtout du 18 octobre 1907 qui ont pour objet de définir et de régler les usages de la guerre contiennent des dispositions sur le droit des gens applicable en temps de guerre et définissent le crime de guerre.

On trouve dans le préambule de la Convention de La Haye de 1907 la phrase suivante - clause Martens, trop vague pour constituer un socle juridique: "En attendant qu'un code plus complet des lois de la guerre puisse être édicté, les Hautes Parties contractantes jugent opportun de constater que, dans les cas non compris par les dispositions réglementaires adoptées par elles, les populations et les belligérants restent sous la sauvegarde et sous l'empire du droit des gens, tels qu'ils résultent des usages établis entre nations civilisées, des lois de l'humanité et des exigences de la conscience publique."

Au 19e siècle, les Puissances interviennent à plusieurs reprises lorsque certains Etats traitent leurs nationaux de façon inhumaine. La dérogation au droit des Etats d'agir en toute indépendance est inspirée par des raisons humanitaires. En 1827, la France, la Grande-Bretagne et la Russie aident la Grèce lors de la guerre d'indépendance grecque. Avec l'accord des Puissances européennes, une expédition militaire française est organisée en 1860 au Liban où des Chrétiens sont massacrés. En 1877, la Russie agit de même en Bulgarie. S'agissant des Arméniens, les Puissances réagissent de nouveau en 1895, 1896, 1902 et 1903, ainsi qu'en 1909 et en 1912 après la prise du pouvoir par les Jeunes Turcs et invoquent des raisons humanitaires en faveur de la population arménienne. En 1878, par le Traité de San Stefano, la Sublime Porte s'engage d'ailleurs à réaliser les améliorations et les réformes qu'exigent les besoins locaux des provinces habitées par les Arméniens, et à garantir leur sécurité contre les Circassiens et les Kurdes. Signé la même année, le Traité de Berlin maintient ces dispositions et confère un droit de contrôle aux Puissances occidentales. L'accord russo-turc du 8 février 1914 contient un plan de réformes plus vaste encore visant à assurer la paix dans l'Arménie turque, sous contrôle d'inspecteurs nommés par les Puissances.

La France, la Grande-Bretagne, la Russie se sont fondées dans leur déclaration du 24 mai 1915 sur les premiers massacres d'Arménie, les dénonçant déjà comme "crimes contre l'humanité et la civilisation" dont seraient tenus pour responsables "les membres du Gouvernement ottoman qui se trouveraient impliqués dans de pareils massacres".

Le Traité de Sèvres du 10 août 1920 signé par toutes les parties intéressées, y compris l'Arménie dont il reconnaît l'indépendance, octroie des droits étendus aux minorités et prévoit des sanctions à l'encontre des responsables des massacres perpétrés en territoire ottoman dans ses frontières d'avant la guerre. Ce traité n'est pas ratifié par l'Empire ottoman.

L'Empire ottoman lui-même punit ces crimes. En 1919 se tient à Constantinople le procès des unionistes qui condamne à mort par contumace sur le principal chef d'accusation du massacre des Arméniens, Talaat, Enver Djemal, Nazim et à quinze ans d'emprisonnement trois autres ministres également en fuite. D'autres procès de secrétaires responsables, de ministres ou d'exécutants sont tenus en 1919 et 1920. Des condamnations à mort sont prononcées.

Les principales charges retenues contre les accusés sont le complot, la préméditation, la responsabilité personnelle dans les meurtres. Le procureur général établit que la déportation fut le "prétexte des massacres" ce qui déjoue les arguments que la défense avancera plus tard : la nécessité de punir des rebelles.

2) La définition du génocide dans les textes internationaux

L'article 6 c) de la Charte du Tribunal militaire international dite Statut de Nuremberg, annexé à l'Accord de Londres du 8 août 1945, énumère les crimes contre l'humanité sans utiliser le terme de génocide: "l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux". La qualification de ces crimes marque un progrès dans le droit pénal international.

La notion de génocide est employée pour la première fois le 18 octobre 1945 dans un document de portée internationale, l'acte d'accusation contre les grands criminels de guerre allemands traduits devant le tribunal de Nuremberg. Il stipule que les inculpés "... se livrèrent au génocide délibéré et systématique, c'est-à-dire à l'extermination de groupes raciaux et nationaux parmi la population civile de certains territoires occupés, afin de détruire des races ou classes déterminées de populations, et de groupes nationaux, raciaux ou religieux...".

Le terme est ensuite juridiquement défini par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée générale des Nations Unies le 9 décembre 1948 et ratifiée par la Turquie le 31 juillet 1951.

Selon cette Convention, le génocide est un acte "commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux". Enumérés par l'article 2, ces actes peuvent être les suivants : "meurtre de membres du groupe, atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe, soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe, transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe". La Convention précise aussi qu'il est indifférent que ces actes soient commis en temps de paix ou en temps de guerre. Elle oblige l'Etat sur le territoire duquel le génocide a été commis, à punir ses auteurs, "gouvernants, fonctionnaires ou particuliers" et l'Etat responsable, à réparer les préjudices qui en résultent.

Les actes constitutifs du génocide aboutissent toujours à l'anéantissement physique et biologique du groupe, ce qui constitue d'ailleurs l'essence de ce crime, quels que soient les moyens mis en oeuvre pour atteindre ce but. Visant non seulement à punir mais aussi à prévenir, l'article 3 déclare criminels aussi bien le génocide proprement dit que l'entente en vue de commettre le génocide, l'incitation directe et publique, la tentative pour le mettre en oeuvre et la complicité dans sa réalisation.

L'importance de ces incriminations et la volonté affichée de la communauté internationale de réprimer les crimes contre l'humanité et le génocide aboutissent à l'adoption par les Nations Unies, le 26 novembre 1968, de la Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Cette Convention étend à tous les crimes de guerre et crimes contre l'humanité l'imprescriptibilité appliquée par l'acte d'accusation du Tribunal militaire de Nuremberg aux criminels de guerre nazis. Entrée en vigueur le 11 novembre 1970, elle renforce le caractère spécifique de ces crimes."

Note
(1) "Par génocide, nous voulons dire la destruction d'une nation ou d'un groupe ethnique (...) En général, le génocide ne veut pas dire nécessairement la destruction immédiate d'une nation. Il signifie plutôt un plan coordonné d'actions différentes qui tendent à détruire les fondations essentielles de la vie des groupes nationaux, dans le but de détruire ces groupes mêmes".

Assemblée nationale française. Commission des Affaires étrangères. Rapport (no 925) fait sur la proposition de loi de M. Didier Migaud et plusieurs de ses collègues (no 895), relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915. Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 26 mai 1998. Rapporteur: René Rouquet.

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