Essentiel
Vie et mort des oeuvres architecturales
«Car s'il faut en croire la plupart de ceux qui en font l'histoire, les bâtiments auraient une vie propre et seraient caractérisés par nombre de traits qui, à proprement parler, appartiennent aux êtres vivants. Ils ne naissent qu'un certain temps après avoir été conçus et, pour peu que leur période de gestation ne soit pas trop compliquée et qu'ils ne viennent pas grossir le nombre des projets avortés, leur naissance sera normalement soulignée par une cérémonie appropriée. Dès lors, ils acquièrent peu à peu une certaine maturité, mais on convient généralement qu'ils vieillissent inégalement bien. S'ils parviennent à résister aux injures du temps, ils commanderont, en vieillissant, un respect que, plus jeunes, on n'aurait pas songé à leur accorder, car alors c'était plutôt leur audace qu'on admirait plus ou moins secrètement. L'âge, en effet, les rend souvent plus sympathiques et, même s'ils paraissent alors un peu dépassés, ils sont auréolés du mérite de ceux qui ont été les témoins d'une autre époque. Toutefois, sauf s'ils font partie de ces rares monuments qui semblent voués à l'immortalité, ils deviennent souvent encombrants. Alors, à moins de pouvoir être recyclés (non point, en certains cas, sans être passablement violentés) et de redevenir utiles dans de nouvelles fonctions, ils risquent, s'ils ne meurent pas de mort (quasi) naturelle, de se voir abandonnés, négligés et même sacrifiés, c'est-à-dire condamnés à l'élimination par démolition. Et l'on sait que parmi tous ces bâtiments qui connaissent ce triste sort à des âges variés, il y a des Mozarts assassinés en pleine jeunesse alors qu'ils faisaient déjà l'admiration de connaisseurs trop peu nombreux et qu'ils n'avaient pas encore donné toute leur mesure. Heureusement, certains bâtiments échapperont à ce peu enviable destin si la Loi parvient à les protéger de leurs ennemis jurés, les démolisseurs au service de promoteurs immobiliers, et si grâce à une cure de rajeunissement assurée par les bons soins d'une équipe attachée à un quelconque Service du Patrimoine, ils sont mis, pour un temps, à l'abri de la gangrène incurable, qui, à plus ou moins long terme, n'épargne aucun d'entre eux. Morts pour de bon, leur mémoire toutefois ne sera pas forcément oubliée. Certains auront des rejetons qui exhiberont avec fierté divers traits qui évoqueront leur souvenir. D'autres, enfouis dans ces vastes cimetières de monuments que sont les champs de fouille — au sein desquels on a parfois la chance de retrouver de rares et fragiles survivants comme le Théséion qui domine encore l'Agora d'Athènes — verront leurs restes pieusement exhumés avant d'être mis à l'abri de façon adéquate. Faute de pouvoir littéralement ressusciter ces bâtiments qu'on aurait tant aimé voir revivre, on élèvera à leur mémoire des monuments plus ou moins imposants qui, autant que faire se peut, enchâsseront en leur sein quelques unes de leurs pièces constituantes, précieuses reliques sauvées du vandalisme et de la corrosion qui menaçaient d'effacer jusqu'aux dernières traces de leur mémoire. D'autres, qu'on ne peut plus espérer voir revivre de nos jours — qu'on pense, par exemple, à la ville de Troie du roi Priam ou au temple de Salomon —, hanteront éternellement les mémoires qui les magnifieront comme des héros ou des prophètes d'une lointaine antiquité. D'autres enfin, dont on aura reconnu l'appartenance à un monde mythique ou à l'inconscient collectif — qu'on pense à la tour de Babel —, ne mourront pas plus que toutes ces figures légendaires, arrachées à la nuit des temps, qui revivent, d'âge en âge, à travers ces représentations hautement fantaisistes et souvent inédites qui témoignent de l'imaginaire des sociétés qui assurent leur survie en perpétuant ainsi leur mémoire.»
MAURICE LAGUEUX,
Vie et mort des oeuvres architecturales. Voir
texte complet.
Enjeux
L'avenir de l'architecture durable
«Je dois dire premièrement que l'avenir de l'architecture durable passe par l'université. C'est une question nouvelle qui commence peu à peu à entrer dans l'enseignement des écoles d'architecture et à intéresser les jeunes architectes. Ensuite, il me semble que l'architecture durable pourra prendre son essor grâce à certaines initiatives qui dépendent de la profession et des pouvoirs publics, notamment municipaux. Par exemple, s'il existait un registre général des bâtiments en démolition fournissant le détail des matériaux disponibles, il serait beaucoup plus facile pour les architectes et les constructeurs d'employer des matériaux recyclés. La disponibilité de ces matériaux pourrait être aussi annoncée par une procédure d'avis. Plusieurs expériences de ce genre sont en cours à Montréal. J'espère que ces expériences et d'autres encore permettront de faire comprendre que le développement durable en architecture, c'est d'abord s'assurer qu'un bâtiment puisse être transformé au cours de sa vie en fonction des nouveaux usages que lui réclame une société en constante évolution. C'est aussi savoir tirer partie des ressources locales, qu'elles soient matérielles, sociales ou écologiques.»
PHILIPPE LUPIEN, lauréat du Prix de Rome et co-concepteur du Chapiteau des arts du cirque (Montréal). Extrait d'un
entretien avec Marc Chevrier, L'Agora, vol 9 no 3 2002