Makine Andreï
"Nous savons qu'Andreï Makine est né le 10 septembre 1957 à Krasnoïarsk en Sibérie et est devenu très tôt orphelin. Une grand-mère française (qui n'est peut-être qu'une amie de sa famille) a beaucoup compté pour lui car elle l'a initié à la langue et à la culture françaises dès sa prime enfance, lui permettant de devenir bilingue et le prédestinant peut-être un jour à venir dans notre pays. (Elle serait la fille d'un médecin français venu s'installer au-delà de l'Oural à la fin du XIX° siècle).
Cette Sibérie centrale où il est né a profondément imprégné son esprit par sa géographie et par son histoire : des espaces immenses, rudes et sauvages, soumis au rythme fort des saisons; des peuplades anciennes dont le régime communiste n'a pas entièrement tué l'identité ; et surtout, ces rescapés des camps du Goulag dont les récits rappellent les horreurs du stalinisme. Adolescent, Makine se passionne pour la poésie et se lance dans l'écriture, expression de sa liberté (cette noble liberté intérieure des Russes dont parlait Pouchkine). Il voue un culte à Diderot et Voltaire ainsi qu'à nos romanciers du XIX° siècle. Chez les siens, il admire Fedor Dostoïevski, Mikhail Boulgakov et Ivan Bounine. A l'Université, il se spécialise en littérature française et étudie à Kalinine puis à Moscou où il obient le doctorat ès lettres après avoir consacré sa thèse au roman français contemporain. Sous l'ère brejnevienne, et même après, il aurait parfois eu maille à partir avec les autorités : "on m'a fait des ennuis petits et grands", confia-t-il, en une phrase lapidaire. Il voyage beaucoup au début des années quatre-vingt dans le cadre de la coopération et découvre ainsi l'Afghanistan, le Yémen, la Somalie, l'Angola ; il est même envoyé en mission en Europe occidentale et en Australie. Professeur de philologie à l'Institut Pédagogique de Novgorod, il collabore à la revue russe Littérature moderne à l'étranger.
En 1987, il dit définitivement adieu à l'URSS et s'installe à Paris. En fait, il était censé travailler juste pendant quelques mois comme assitant de russe dans un lycée de la capitale, puis repartir dans son pays natal ; mais il choisit de rester clandestinement, abhorrant plus que tout la nouvelle société matérialiste de l'ère Gorbatchev. Il obtiendra un statut privilégié de réfugié politique. Les débuts sont difficiles et il vit comme un miséreux ; "c'était mes années folles : le désespoir permanent". Il donne des cours particuliers de russe, puis à l'opportunité d'enseigner la civilisation russe à l'Institut d'études politiques pendant quelques temps. Il parvient, non sans difficultés, à publier trois romans mais qui n'ont guère de succès. Il persévérera pourtant, préférant écrire en français pour ne pas être poursuivi, dit-il, par les ombres trop intimes de Tchekhov ou de Tolstoï. Dans le même temps, il rédige une thèse (qu'il soutiendra en Sorbonne) sur la poétique de la nostalgie dans la prose d'Ivan Bounine. C'est en 1995 que la gloire arrive enfin avec la parution au Mercure de France, grâce à la regrettée Simone Gallimard, de ce beau récit intitulé Le Testament français ; fait rarissime, le livre obtient deux récompenses littéraires prestigieuses : le Goncourt et la Médicis (ex aequo avec Vassili Alexakis) ; à quoi s'ajoutent le Goncourt des lycéens et les éloges dithyrambiques de la critique.
Extrait de Thierry Laurent, Andreï Makine, Russe en exil, Connaissances et savoirs, 2006, pp.16-18
Œuvre d'Andreï Makine
La fille d'un héros de l'Union soviétique, Robert Laffont, 1990, et "Folio", 1996
Confession d'un porte-drapeau déchu, Belfond, 1992, et "Folio", 1996
Au temps du fleuve Amour, Félin, 1994 et "Folio", 1996
Le Testament français, Mercure de France, 1995 et "Folio", 1997
Le crime d'Olga Arbélina, Mercure de France, 1998 et "Folio", 2000
La Musique d'une vie, Seuil, 2001, et "Points", 2002
Saint-Pétersbourg, Chêne, 2002
La terre et le ciel de Jacques Dorme, Mercure de France, 2003 et "Folio", 2004
La femme qui attendait, Le Seuil, 2004
Cette France qu'on oublie d'aimer, Flammarion, 2006