Un dimanche au Sénégal

Esther Labelle

Nous discutions avec  Esther Labelle, à la recherche d'exemples d'incarnation dans les personnes, les oeuvres d'art, la musique, l'architecture, les cérémonies, quand cette amie, qui a vécu plusieurs années au Sénégal, nous a raconté un dimanche à Casamance pour un catholique. La journée entière est consacrée à la messe et gravite autour d'elle...et autour de la convivialité qui va de soi par un si beau jour. Le but n'est pas d'en finir au plus vite avec ce moment de joie, mais de le faire durer depuis le lever jusqu'au coucher du soleil. Nous avons demandé à Esther d'écrire un poème sur ce thème. 

 

 

Mme Labelle se souvenait de chants religieux en langue diola. Elle les a insérés dans son récit. 

 

 

 

 

 

 

 

C’est dimanche
en Casamance
sur les pistes ensablées
à pied
les gens de la brousse
se mettent en marche
le dernier-né
sur le dos de la maman

Les autres petits
qui savent marcher
mais pas assez
sont restés à la case
avec le grand-papa

Au village central
le plus important
l’église les attend
dehors, au grand soleil
il y a déjà foule

Autour de la place
sur la clôture
pendent les bougainvilliers
courent les lianes corail
rougissent les hibiscus

Des portes ouvertes de l’église
s’échappent des sons de musique
des chants
la chorale se réchauffe
pour la fête de Marie

Les villages lointains
arrivent petit à petit
on prend place
sur les bancs de bois
sans dossier

Les hommes ont tendance
à rester en arrière
en chemises blanches
pantalons noirs
chemises lavées, repassées
amidonnées
par les femmes de la maison

Les jeunes hommes
du coin de l’oeil
admirent le port de reine
des jeunes filles
leurs pagnes colorés
éclairés par le soleil
qui pénètre par les claustras
et par les portes grandes ouvertes

Quand tous sont là
la messe peut commencer
à une heure imprécise
pas à l’heure des blancs

On débute par un chant tranquille
“ni saf i Maria, nyay ata Emit”
je te salue Marie, mère de Dieu
“di nyai oli pop”
notre mère aussi
“ni saf i Maria”

La foule se balance
doucement
et reprend en choeur
après chaque couplet
plusieurs fois le refrain
“ni saf i Maria”
comme une longue complainte

L’officiant va parler
dans la langue de la région
on écoute les lectures
entre chacune d’elles
un chant qui dure
qui dure
le temps qu’il faut
pour le faire sien

A la consécration
silence
quelques bébés pleurent
pas longtemps
leur soif est vite assouvie
un sein nu n’est pas tabou

C’est le temps de la réflexion
la langue choisie
on ne la comprend pas
que ce soit latin ou français
on en profite
pour prier tranquille
ou sommeiller un peu
dans l’odeur de l’encens
qui se mêle à celle du tabac
venant de l’extérieur
où, sur le parvis
quelques hommes palabrent

Vient le moment
du partage du pain
la nef est envahie
par une foule dansante
on chante avec le choeur

“Maria na male bandor, bandor”
Marie est partie pour toujours, toujours
“be d’anyol ol Jesu, apakennan olal”
vers son fils Jésus, notre sauveur
“bandor,bandor
na ito d’aldyanana soum”
elle est montés vers le ciel doux
“be d’aldyanana sou-ou-oum”
“be d’aldyanana soum”

Et le refrain revient
comme une vague
sans cesse en mouvement
avec les pas de danse
qui semblent ne vouloir cesser

La messe est terminée
de toutes les portes
on sort en chantant
le soleil est haut dans le ciel
trop chaud
pour reprendre la route

On connaît bien
au grand village
un frère, une cousine
un parent
chez qui l’on peut s’asseoir
autour d’un grand bol de riz
sur lequel le “yassa” est déposé
le poulet au citron

Et pourquoi pas
quelques bonnes lampées
de vin de palme
le “bunuk abu”
après tout, c’est permis
nous sommes des chrétiens

Puis sous les manguiers
on étend les nattes
c’est la sieste
avant le retour
sur les pistes ensablées
vers les villages de brousse
ce fut un beau dimanche
en Casamance.




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