Recrutement des professeurs: pour une agrégation québécoise

Jacques Dufresne

Lettre ouverte au ministre de l'éducation

Monsieur François Blais
Ministre de l’éducation du Québec
Re : recrutement des professeurs

Monsieur le ministre,

Merci de mettre l’accent sur les conditions d’accès à un poste dans l’enseignement. J’aimerais pouvoir vous être utile dans cette démarche. Voici à cette fin, en quelques paragraphes, le fruit de mon expérience et de ma réflexion.

C’est une question à laquelle j’ai réfléchi au moment où, jeune cadre dans l’un des premiers cégeps (celui d’Ahuntsic, à Montréal), j’ai été obligé de recruter des professeurs dans un contexte où tout était encore possible. J’ai pu aussi observer et je ne m’en console pas, que dès la première année des cégeps, les programmes de sciences de l’éducation étaient le refuge de ceux qui avaient été refusés dans les autres programmes. On pouvait déjà prévoir de quoi devraient se contenter les facultés de Sciences de l’éducation. Il s’agissait là d’une tendance, forte certes, mais qui souffrait de nombreuses exceptions à l’égard desquelles je m’en voudrais d’être injuste.

Nous n’avons pas su profiter sur ce plan de l’exemple et de l’expérience des collèges classiques. J’ai terminé ce cours à Joliette en 1960. En entrant dans cette institution, je savais que j’aurais comme professeur, surtout dans les classes supérieures, les plus brillants représentants de leur génération dans ma région. Parmi les finissants des collèges, plusieurs, souvent des premiers de classe, devenaient prêtres ou religieux. On choisissait les meilleurs d’entre eux, on leur offrait la possibilité des faire des études de doctorat, généralement à l’étranger. Ils revenaient ensuite dans leur milieu d’origine. Je parle ici de ce que j’ai observé et je n’en fais pas une thèse applicable à l’ensemble du réseau, à toutes les époques. Il me semble toutefois que cette percolation était la règle.

Dès le début de la réforme, il était évident que ce savoir-faire était perdu. Entrer au service de l’État n’était pas un mobile aussi élevé ni aussi puissant qu’entrer au service de l’Église et par la suite, au service de la jeunesse. Cela en dépit de toute la publicité faite aux nouvelles sciences de l’éducation.

Comment faire pour entourer de prestige le titre de professeur? En 1970, j’ai proposé pour les professeurs de cégep une agrégation, calquée sur l’agrégation française. En France, l’agrégation remonte à 1766. Elle a donc survécu à la Révolution.

Personne, ni dans mon entourage immédiat ni au ministère de l’Éducation n’a pris ma proposition au sérieux. On pouvait pourtant déjà observer, dans tel ou tel cégep, qu’un candidat n’ayant pas encore obtenu son baccalauréat, pouvait être préféré à un titulaire de doctorat, à la condition d’appartenir à la bonne tendance politique.

Nous avions l’expérience des concours difficiles. Le baccalauréat ès arts en était un et il survenait après une première sélection très dure. Pourquoi ces concours n’ont-ils pas survécu à notre révolution tranquille?Cette sélection avait-elle été traumatisante pour l’ensemble de la société? Comment expliquer autrement la phobie qu’inspirèrent, dès le début de la réforme, l’évaluation aussi bien que la sélection?

Quand on consulte le dossier agrégation dans Wikipedia, on apprend qu’Alain, Simone de Beauvoir, Simone Weil, Raymond Aron, Jean-Paul Sartre, Alain Finkielkraut étaient des agrégés de même que Pierre-Gilles de Genne, prix Nobel de physique, Cédric Villani, médaille Fiels. Tout jeune ayant de l’idéal ne peut que désirer entrer dans une telle confrérie.

Pour me consoler de l’échec de mon projet d’agrégation, j’ai fait des représentations auprès de trois ministres de l’éducation pour obtenir que l’on crée, pour les enseignants de chaque niveau, un grand prix du Québec. Sans succès. Je récidive auprès de vous, persuadé qu’à défaut de pouvoir faire le grand saut vers l’agrégation, vous pourrez au moins permettre aux meilleurs enseignants d’accéder aux plus hautes dignités du Québec.

Je vous prie monsieur le ministre d’agréer l’expression de mes sentiments amicaux et respectueux.

Jacques Dufresne
Éditeur de l’Encyclopédie de l’Agora

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