Notre-Dame de l'avenir

Jacques Dufresne

Je n’ai pas le culte de l’avenir: à mes yeux, 2050 n’est pas un promontoire. Et pourtant, c’est à demain que je pense, au moment où la cathédrale Notre-Dame s’effondre en moi. Effondrement qui fait surgir la nostalgie d’une coopération entre les trois règnes, minéral, végétal, animal, pour construire des vaisseaux destinés à naviguer dans le temps, tout en élevant les regards vers l’éternel.

Au plus beau temps des cathédrales, le XIIIe siècle, l’animal raisonnable était certes le maître d’œuvre, mais il demeurait en symbiose avec les autres règnes, en lui-même et dans son action. En lui-même : ce que rendra manifeste la thèse de Thomas d’Aquin sur l’union intime de l’âme et du corps, figure de l’Incarnation. Dans son action : elle reposait sur une grande familiarité entre les hommes, les bêtes et les plantes :

« Le Miroir de la Nature, conçu par Vincent de Beauvais, avec une majestueuse simplicité n’est que le commentaire des sept journées de la Création ; n’est-il pas sculpté dans nos cathédrales, où nous trouvons si largement représenté le monde des animaux et des plantes ? Il suffit de lever les yeux pour voir la vigne courir tout autour de la cathédrale d’Amiens ; le rosier sauvage s’accroche aux archivoltes, les oiseaux chantent sur les branches de chêne, les lapins, les poules se jouent aux bandeaux des portails ; des monstres, attachés par leurs ailes de pierre, aboient dans les hauteurs. Les cathédrales ne sont que vie et mouvement, et suivant une heureuse expression, l’Église fut, pour les sculpteurs du moyen âge, l’Arche qui accueille toute créature. Même les œuvres de Dieu ne suffisent pas à nos artistes : ils inventent tout un monde d’êtres terribles. Que signifient tant de plantes, d’animaux, de monstres ? Sont-ils seulement l’œuvre du caprice, ou bien ont-ils un sens ? Nous enseignent-ils quelque vérité mystérieuse ? »[i]

Cette adorable histoire que raconte Plutarque à propos de la construction d’un temple grec s’applique aussi au temps des cathédrales. : « Le peuple d'Athènes, après avoir bâti l'Hécatompédon, renvoya toutes les bêtes de charge qui avaient travaillé à la construction de cet édifice, et les laissa paître en liberté tout le reste de leur vie. Un de ces animaux vint un jour, de lui-même, se présenter au travail ; il se mit à la tête des bêtes de somme qui traînaient des chariots à la citadelle, et, marchant devant elles, semblait les exhorter et les animer à l’ouvrage. Les Athéniens ordonnèrent, par un décret, que cet animal serait nourri jusqu'à sa mort aux dépens du public. » [ii]La présence des animaux auprès des humains dans les vitraux et les sculptures des cathédrales témoigne d’une telle proximité, comme la crèche de Noël imaginée à la même époque par saint François.

Force est de constater que dans l’être humain la raison se détacha progressivement de l’animal, comme le confirme l’idée cartésienne du corps machine. L’architecture est devenue plus rationnelle et plus fonctionnelle. Une étroite alliance entre le rationnel et le minéral assurera ensuite le progrès technique, lequel profitera aux humains, mais au détriment de la vie sous toutes ses formes, végétales et animales; au risque de voir l’homme se réduire à une raison et une volonté aux commandes de quelques leviers musculaires et cérébraux.

Ce que Gustave Thibon avait pressenti : « Ce qui est menacé, c'est la vie sous toutes ses formes. La technique moderne est le fruit d'un étrange accouplement entre le génie de l’homme et la puissance inépuisable de la matière inanimée. La vie est éliminée peu à peu : le monde tend à devenir minéral, car seul le minéral ne craint rien ; sous une forme ou sous une autre, il se retrouve toujours. »[iii] La preuve s’étale sous nos yeux : plastique, béton, asphalte, acier, aluminium, plâtre… Sous la forme des métaux rares, le minéral est même au cœur de nos moyens de communication interpersonnels.

C’est ainsi que la cathédrale appelée Terre s’effondre sous nos yeux depuis plus d’un siècle. Puisse la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame servir de modèle, non pas à la reconstruction de la vie sur terre, car la vie ne se construit ni ne se reconstruit, mais à sa résilience, à sa déminéralisation, par la mise en œuvre des accords de Paris et sous l’inspiration de l’Encyclique Laudato si. Le pape François revient constamment à l’analogie entre le paysage intérieur et le paysage extérieur :  « S’il est vrai, comme l’écrivait Benoît XVI, que “ les déserts extérieurs se multiplient dans notre monde, parce que les déserts intérieurs sont devenus très grands,” la crise écologique est un appel à une profonde conversion intérieure. »



[i] La faune et la flore dans la cathédrale d’Amiens. http://sciences.gloubik.info/spip.php?article1793

[ii] La vie de Caton

[iii]Gustave Thibon, Les hommes de l’éternel, Paris, Mame, 2012, p.217

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