Le surhomme et la volonté selon Cioran
En quelques lignes, Cioran résume ici la conception de la volonté de Ludwig Klages dont il a suivi les cours à Berlin en 1933.
« Vouloir signifie se maintenir à tout prix dans un état d'exaspération et de fièvre. L'effort est épuisant et il n'est pas dit que l'homme puisse le soutenir toujours. Croire qu'il lui appartient de dépasser sa condition et de s'orienter vers celle du surhomme, c'est oublier qu'il a du mal à tenir le coup en tant qu'homme, et qu'il n'y parvient qu'à force de tendre sa volonté, son ressort, au maximum. Or, la volonté, qui contient un principe suspect et même funeste, se retourne contre ceux qui en abusent. Il n'est pas naturel de vouloir ou, plus exactement, il faudrait vouloir juste assez pour vivre; dès qu'on veut en deçà ou au-delà, on se détraque et on dégringole tôt ou tard. Si le manque de volonté est une maladie, la volonté elle-même en est une autre, pire encore : c'est d'elle, de ses excès, bien plus que de ses défaillances, que dérivent toutes les infortunes de l'homme. Mais s'il veut déjà trop dans l'état où il est, qu'adviendrait-il de lui s'il accédait au rang de surhomme? Il éclaterait sans doute et s'écroulerait sur lui-même. Et c'est par un détour grandiose qu'il serait amené alors à tomber du temps pour entrer dans l'éternité d'en bas, terme inéluctable où peu importe, en fin de compte, qu'il arrive par dépérissement ou par désastre ». Entretiens