La Flûte enchantée

Wilhelm Furtwängler

Plus que jamais, nous éprouvons le besoin de classer, de cataloguer, et cela même dans le domaine de l’art. Nous voulons définir les genres des œuvres, les placer dans un contexte. Nous nous creusons la tête pour savoir si La Flûte enchantée est un conte féerique ou une œuvre initiatique, un « Singspiel » ou un grand opéra, un opéra bouffe ou un opera seria, une œuvre imaginaire ou franc-maçonnique. Selon le point de vue adopté, nous déterminons la conception du metteur en scène, du musicien, du chanteur ou du comédien.

Or La Flûte enchantée échappe à toute définition, à toute tentative de ce genre. La Flûte enchantée n’est ni gaie ni grave, ni bouffonne ni sévère, ni tragique ni comique, elle est en quelque sorte tout cela à la fois, car elle est la vie même. C’est une œuvre unique dans l’histoire de l’opéra. Voir en elle – par exemple dans la scène de Sarastro – une œuvre initiatique à la Parsifal, c’est se tromper, comme c’est une erreur de prendre les scènes comiques – le personnage de Papageno – pour un genre viennois. La gravité de Sarastro est humaine et noble, pas moins profonde que celle de Parsifal; les airs de Papageno sont aussi peu « viennois » que Mozart lui-même, ni viennois, ni autrichien, mais d’une dimension universelle.

Le véritable fond de La Flûte enchantée se trouve ailleurs, car si cette œuvre utilise en apparence les moyens de tous les genres, ce ne sont que des moyens. Tout est à la fois symbolique, mais symbolique comme la vie elle-même, réelle et irréelle, fantastique et concrète. C’est pourquoi des éléments d’essence divergente et aussi hétérogènes se trouvent réunis, soudés en une œuvre vivante par le génie unique de Mozart, comme jamais dans la littérature universelle. Car – et c’est là le plus étrange – cette œuvre n’est pas composite, mais d’une profonde unité de style, jusque dans le moindre détail, en vérité l’œuvre la plus mûre, la plus organique, la plus équilibrée de Mozart.

Alors où sont ses fondements, où trouver les bases pour sa compréhension et se représentation? La réponse est difficile, car, derrière son côté extérieur, La Flûte enchantée cache d’insondables mystères. La sagesse, l’humanité ou la naïveté des personnages, l’expression ésotérique ou populaire de la musique, tout est lié, tout a son unité et son style dans la personnalité du créateur. C’est le sang de Mozart qui circule dans cette œuvre, son esprit profondément simple et réaliste, mais pourtant infiniment pur, sublimé, vierge de toute exagération, de toute décadence, de toute tentation d’isolement et de fuite – c’est pourquoi l’œuvre est ce qu’elle est.

Opéra jusqu’en sa dernière fibre, messe à la vie, sacralisation de la vie, incarnation de ce qui est élevé et noble, La Flûte enchantée reflète la simple, la douce humanité de Mozart, ce « Christ de la musique », comme on l’a parfois appelé. Dans aucune autre œuvre, il ne s’est exprimé de façon plus naturelle, plus parfaite, plus complète, que dans cette œuvre miraculeuse.




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