La reproduction humaine industrialisée
La reproduction humaine industrialisée. Ce livre de Jacques Dufresne, paru en 1986 aux Presses de L'Institut québécois de recherche sur la culture, a été l'un des premiers ouvrages critiques sur la fécondation in vitro en langue française. L'auteur y soutient notamment que les techniques de reproduction mises au point pour les vaches Holstein permettaient de prévoir ce qui allait se passer dans l'humanité.
Voici le point de vue de l'auteur sur ce qu'il appellera lui-même quelques années plus tard l'eugénisme libéral.
Un nouvel eugénisme
«Divers autres facteurs favorisent actuellement le développement d'un nouvel eugénisme, notamment les progrès récents en génétique et un certain retour aux sources du libéralisme. Même si la science-fiction s'est bien vite emparée de ses promesses, nul ne peut nier que la génétique constitue désormais une science sérieuse, par comparaison du moins avec la science de l'hérédité que prétendait avoir fondée Galton. La découverte de la structure de l'ADN à la fin des années cinquante aura été pour cette discipline l'équivalent de la théorie de la gravitation pour la physique. On sait de plus en plus de choses précises sur les mécanismes de transmission de la vie et des caractères héréditaires. On dispose d'autre part de techniques perfectionnées pour mettre ces connaissances en application. Par rapport aux techniciens qui peuvent aujourd'hui produire des embryons in vitro, les médecins et les biologistes du temps d'Hitler font figure de sorciers maladroits.
Les progrès de la génétique ont permis de relativiser, en en montrant la complexité, la plupart des phénomènes de transmission héréditaire; ils ont aussi permis de démythifier le concept de race ;mais ils ont du même coup, paradoxalement, créé de nouvelles conditions favorables à l'eugénisme. Les fous voulant créer une race pure ou saine par la stérilisation des indésirables ne sont plus à craindre. On ne les prendrait plus au sérieux. On peut donc considérer d'un bon œil les manipulations ponctuelles de gènes et d'embryons: elles apparaissent comme de simples mesures préventives.
Le libéralisme renaissant apporte sa propre légitimation à cette approche. Puisque les personnes qui choisissent les mères porteuses et les pères donneurs, ou qui décident d'éliminer un fœtus infirme, agissent sur une base strictement privée et individuelle, sans isée totalitaire apparente, de quel droit entraver leur liberté? Ne sont-ils pas des adultes consentants? C'est a nsi que l'idéologie néo-libérale pourrait jouer insidieusement le même rôle que l'idéologie nazie il y a cinquante ans. En s'acheminant vers la population par faite via une accumulation de choix individuels.» p.53