Chants de Noël et technisation de la musique

Jacques Dufresne


Hatsune Miku, cette vedette japonaise de la chanson, avait seize ans lors de ses premiers succès en 2007. Elle a toujours seize ans. Elle n’est tout de même, dira-t-on, qu’un fait divers : un hologramme autour d’un logiciel, une prouesse technique parmi des milliers d’autres. Ce sont là des faits qui semblent jouer en sa faveur : elle a 2,5 millions de fans sur Facebook. Elle est en outre une vedette participative : ses fans lui envoient des chansons qu’elle s’empresse d’interpréter, ce qu’elle a fait 100 000 fois en versant les droits aux compositeurs en herbe. Elle sert de catalyseur dans un phénomène qui séduit nos contemporains : l’auto organisation. La musique pop s’auto organise à travers elle.

Elle est avant tout un placement sûr. Être vedette est un dur métier. La plupart des candidats à cette gloire tombent aussi vite de la scène qu’ils y sont montés, ce qui entraîne de lourdes pertes pour leurs promoteurs. Aucun risque de ce genre quand on a enlevé de la vedette les ultimes traces de chair et d’âme, et donc de fragilité. Certains en concluent que l’avenir de la musique pop est de ce côté !

On a comparé Justin Bieber à Hatsune Miku. Ce jeune canadien imberbe a déjà 55 millions de beliebers sur Facebook. Ce chiffre n’a pas impressionné Hatsune : «J’en ai déjà 2,5 millions et je n’existe même pas». Lequel de ces deux phénomènes indique l’avenir de la musique ? Vaine question : ils se rapprochent l’un de l’autre. Les traitements de voix et d’images ont évolué aussi vite que les traitements de texte. Que reste-il du naturel de Justin Bieber, dans sa voix comme dans les mouvements de son corps, une fois que les traitements de voix et d’images l’ont refait selon les attentes du public? Guère plus que dans les spectacles d’Hatsune Miku. Autre exemple de la rencontre du mécanique et du vivant dans le monde actuel.

Après avoir entendu un Noël de Hatsune Miku et un autre de Justin Bieber, j’ai éprouvé un impérieux besoin d’écouter des voix plus humaines, ce qui m’a conduit à un Noël de Barbara, à un O helga natt de Sissel et à un alleluia de Noël en grégorien. Occasion de réfléchir sur l’évolution de la musique du naturel à l’analogique et de l’analogique au numérique.


Noël de Justin Bieber

Noël de Hatsune Miku

O Helga Natt, par Sissel

Noël de Barbara


Alleluia de Noël, Abbaye du Thoronet

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