Ce bonheur que promettent les deux hommes d’armes de la Flûte Enchantée

Camille Bellaigue

 Enfin, et pour que les plus hautes figures ferment cette longue marche guerrière, nous évoquerons encore deux soldats, les derniers. Fils de l’Allemagne, ils le sont d’une Allemagne qui n’est plus, d’une Allemagne civilisée, italienne à demi, de l’Allemagne de Mozart, de cette Autriche, en un mot, à laquelle parlait, — au passé déjà, — le plus musicien de ses poètes, Grillparzer, pour lui dire : « Quelque chose, hélas ! s’est perdu : le bonheur de l’innocence, et ce bonheur, Autriche, fut le tien. » C’est le bonheur aussi qu’ils promettent, les deux hommes d’armes de la Flûte Enchantée, à « celui qui chemine sur la route pleine de misères. Celui-là sera purifié par le feu, l’eau, l’air et la terre. S’il peut surmonter la crainte de la mort, il s’élèvera de la terre au ciel, il parviendra à l’état de lumière. » Jamais d’aussi graves paroles n’inspirèrent à Mozart une musique plus haute et plus profonde. Qui ne la connaît, l’austère et suave cantilène à deux voix, deux voix de basse ; choral à la manière de Bach, et qu’une marche symphonique, de même style, accompagne. « Les mystères d’Isis. » Jadis, on nomma de ce nom, dans notre pays, le chef-d’œuvre, — alors défiguré, — de Mozart. Ce chant annonce, découvre de bien autres mystères : mystères non plus de l’erreur ancienne, mais de l’éternelle vérité. C’est au seuil de son temple que veillent les deux chevaliers. C’est d’elle qu’ils sont les gardiens et les messagers, les soldats et presque les prêtres. A Rome, plus d’une fois, gravissant le parvis de la basilique vaticane, où les deux apôtres, sentinelles de marbre, sont debout, je me suis rappelé ces deux autres sentinelles, chantantes et presque saintes aussi. Le temps est venu, ou revenu, de les évoquer, de les écouter et de les comprendre. » Celui qui chemine sur la route pleine de misères… Celui-là, s’il peut surmonter la crainte de la mort, s’élèvera de la terre au ciel, il parviendra à l’état de lumière. » Celui-là, — depuis plus de deux ans, — c’est chacun de nos soldats, de nos héros. A chacun d’eux, à tous, il est juste de révéler, ou de rappeler cette leçon et cette promesse, ce mot d’ordre deux fois sacré, militaire et religieux.

Dans un prochain article, nous essaierons de faire voir comment, « sur la route pleine de misères, » mais pleine de gloire aussi, que suivent nos soldats, la musique s’unit à chacun d’eux et à tous, comment elle les accompagne, les soutient et les fortifie.




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