La thérapie et le «salut» de l'homme psychologique

Christopher Lasch
Extrait de l'essai Le complexe de Narcisse. La nouvelle sensibilité américaine, traduction de Michel L. Landa, Paris, Robert Laffont, «Libertés 2000», 1981, p. 28-29
« Assailli par l'anxiété, la dépression, un mécontentement vague et un sentiment de vide intérieur, «l'homme psychologique» du XXe siècle ne cherche vraiment ni son propre développement ni une transcendance spirituelle, mais la paix de l'esprit, dans des conditions de plus en plus défavorables. Ses principaux alliés, dans sa lutte pour atteindre un équilibre personnel, ne sont ni les prêtres, ni les apôtres de l'autonomie, ni des modèles de réussite de type capitaines d'industrie; ce sont les thérapeutes. Il se tourne vers ces derniers dans l'espoir de parvenir à cet équivalent moderne du salut: «la santé mentale». La thérapie s'est établie comme le successeur de l'individualisme farouche et de la religion; ce qui ne signifie pas que le «triomphe de la thérapeutique» soit devenue une nouvelle religion en soi. De fait, la thérapie constitue une antireligion, non pas parce qu'elle s'attache aux explications rationnelles ou aux méthodes scientifiques de guérison, comme ses praticiens voudraient nous le faire croire, mais bien parce que la société moderne «n'a pas d'avenir», et ne prête donc aucune attention à ce qui ne relève pas de ses besoins immédiats. Même lorsque les thérapeutes parlent de la nécessité de «l'amour» et de «la signification» ou du «sens», ils ne définissent ces notions qu'en termes de satisfaction des besoins affectifs du malade. Il leur vient à peine à l'esprit - étant donné la nature de l'acte thérapeutique, pourquoi y penseraient-ils? - d'encourager le client à subordonner ses besoins et ses intérêts à ceux d'autrui, à quelqu'un, à quelque cause ou tradition extérieure à son cher moi. «L'amour», en tant que sacrifice de soi ou humilité, et «la signification», ou le «sens» en tant que soumission à une loyauté plus haute, voilà des sublimations qui apparaissent à la sensibilité thérapeutique comme une oppression intolérable, une offense au bon sens et un danger à la santé et au bien-être de l'individu. Libérer l'humanité de notions aussi attardées que l'amour et le devoir, telle est la mission des thérapies postfreudiennes, et particulièrement de leurs disciples et vulgarisateurs, pour qui santé mentale signifie suppression des inhibitions et gratification immédiate des pulsions. »

Autres articles associés à ce dossier

La thérapie du rien

Henri F. Ellenberger

Le psychiatre Eugen Bleuler a pris très au sérieux le principe hippocratique suivant: d'abord ne pas nuire.

À lire également du même auteur




Lettre de L'Agora - Printemps 2025

  • Billets de Jacques Dufresne

    J'ai peur – Jour de la Terre, le pape François, Pâques, les abeilles – «This is ours»: un Texan à propos de l'eau du Canada – Journée des femmes : Hypatie – Tarifs etc: économistes, éclairez-moi ! – Musk : danger d'être plus riche que le roi – Zelensky ou l'humiliation-spectacle – Le christianisme a-t-il un avenir?

  • Majorité silencieuse

    Daniel Laguitton
    2024 est une année record pour le nombre de personnes appelées à voter, mais c'est malheureusement aussi l’année où l'abstentionnisme aura mis la démocratie sur la liste des espèces menacées.

  • De Pierre Teilhard de Chardin à Thomas Berry : un post-teilhardisme nécessaire

    Daniel Laguitton
    Un post-teilhardisme s'impose devant l'évidence des ravages physiques et spirituels de l'ère industrielle. L'écologie intégrale exposée dans les ouvrages de l'écothéologien Thomas Berry donne un cadre à ce post-teilhardisme.

  • Réflexions critiques sur J.D. Vance du point de vue du néothomisme québécois

    Georges-Rémy Fortin
    Les propos de J.D. Vance sur l'ordo amoris chrétien ne sont somme toute qu'une trop brève référence à une théorie complexe. Ce mince verni intellectuel ne peut cacher un mépris égal pour l'humanité et pour la philosophie classique.

  • François, pape de l’Occident lointain

    Marc Chevrier
    Selon plusieurs, François a été un pape non occidental parce qu'il venait d'Amérique latine. Ah bon ? Cette Amérique se tiendrait hors de l'Occident ?

  • L'athéisme, religion des puissants

    Yan Barcelo
    L’athéisme peut-il être moral? Certainement. Peut-il fonder une morale? Moins certain, car l’athéisme porte en lui-même les semences de la négation de toute moralité.

  • Entre le bien et le mal

    Nicolas Bourdon
    Une journée d’octobre splendide, alors que je revenais de la pêche, Jermyn me fit signe d’arrêter. « Attends ! J&

  • Le racisme imaginaire

    Marc Chevrier
    À propos des ouvrages de Yannick Lacroix, Erreur de diagnostic et de François Charbonneau, L'affaire Cannon

  • Le capitalisme de la finitude selon Arnaud Orain

    Georges-Rémy Fortin
    Nous sommes entrés dans l'ère du capitalisme de la finitude. C'est du moins la thèse que Arnaud Orain dans son récent ouvrage, Le monde confisqué

  • Brèves

    La source augustinienne de la spiritualité de Léon XIV – La source augustinienne de la spiritualité de Léon XIV – Chine: une économie plus fragile qu'on ne le croit – Serge Mongeau (1937-2025) – Trump: 100 jours de ressentiment – La classe moyenne américaine est-elle si mal en point?