Effets pervers et système scolaire

Jean Stafford
« Déterminisme, élitisme, conditionnement, sélection sont des mots qui reviennent constamment sous la plume des analystes qui scrutent dans tous les sens l'institution scolaire; sous cet éclairage le système scolaire est présenté comme l'épicentre des conflits et des contradictions sociales.

    Dans l'ensemble de la littérature traitant des problèmes scolaires, l'école dominante, à l'heure actuelle, est celle du «conditionnement». Selon cette école,1 la structure sociale détermine la structure scolaire; dans cette perspective, la classe sociale déterminerait le type et le niveau de l'orientation scolaire individuelle.

    Gaston Bachelard écrit, dans l'un de ses livres: «si tout fermente, le concept de fermentation ne veut plus rien dire»; il en est de même pour la notion de conditionnement. Certains auteurs essaient de se dégager de cette problématique; ils prennent, en général, ce conditionnement relatif comme point de départ (et non d'arrivée) de leurs analyses; pour eux il s'agit de passer du niveau de la description à celui de l'explication.

    Cette démarche différente est surtout illustrée, en France par le sociologue Raymond Boudon. Nous allons essayer dé résumer ici sa pensée sur l'influence des effets pervers dans le système scolaire. Cette analyse «nouvelle» des problèmes de l'école essaie de renouer avec la pensée des fondateurs d'une sociologie scientifique.


    L'homme intentionnel

    Raymond Boudon dépasse l'image de «l'homme conditionné» par celle de «l'homme intentionnel». Entre l'homo-sociologicus rationnel et l'homme entièrement conditionné, il existe une troisième voie. Cet acteur social intentionnel est:

    ... doté d'un ensemble de préférences, cherchant des moyens acceptables de réaliser ses objectifs, plus ou moins conscient du degré de contrôle dont il dispose sur les éléments de la situation dans laquelle il se trouve (conscient en d'autres termes des contraintes structurelles qui limitent ses possibilités d'action), agissant en fonction d'une information limitée et dans une situation d'incertitude.2

    Cette axiomatique de l'acteur intentionnel est celle d'une «rationalité limitée» qui permet d'échapper à la vision mécanique du conditionnement.

    L'axiomatique de la «rationalité limitée» de l'acteur suppose que celui-ci vise, plus ou moins consciemment, des objectifs, des buts sociaux, et connaît, plus ou moins bien, les enjeux véritables de son action; une fois les données de l'environnement définies, ces objectifs et ces enjeux deviennent essentiels à la compréhension de l'action sociale. L'analyse empirique de l'action,3 en élucidant les choix entre différentes alternatives, permet de prédire d'une façon plus précise les comportements sociaux.


    L'effet pervers

    L'effet pervers se définit comme une action non voulue par un individu, une institution quelconque ou bien l'ensemble d'une société. Selon Raymond Boudon, «on peut dire qu'il y a effet pervers lorsque deux individus (ou plus) en recherchant un objectif donné engendrent un état de choses non recherché et qui peut être indésirable du point de vue de chacun des deux, soit de l'un deux».

    Au niveau individuel, on peut classer les embouteillages et les files d'attente comme des effets pervers; l'agrégation des désirs personnels aboutit dans ces deux cas à des effets indésirables pour l'ensemble des usagers. Au niveau institutionnel, l'augmentation de la demande d'éducation provoque une hausse des coûts personnels et collectifs et une dévalorisation générale des diplômes. Au niveau de l'ensemble d'une société, l'inflation est un bel exemple d'effet pervers; tous les membres de la société d'une façon directe ou indirecte alimentent, sans se consulter, l'ennemi socio-économique le plus important des sociétés industrielles.5


    Le cadre analytique pour l'étude des effets pervers est celui de «l'homme intentionnel».

    La notion même d'effets pervers implique celle d'action. Un effet pervers ne peut apparaître que dans un cadre analytique dans lequel le sujet sociologique, l'homo-sociologicus, est conçu comme mû par les objectifs qu'il désire atteindre et par les représentations qu'il a des moyens susceptibles de lui permettre de rejoindre ces objectifs.6

    Ce paradigme s'oppose aux différentes théories du conditionnement de l'individu par les structures sociales. Il suppose que les contradictions que l'on rencontre à tous les niveaux de la vie sociale ne sont pas dues uniquement à l'influence des structures sociales mais dépendent, en grande partie, d'effets de composition; effets de composition qui seront plus ou moins importants selon le degré d'ouverture du système d'options offert aux individus. Ce système d'options peut être très différent selon les groupes et les classes sociales qui forment une société; il peut aussi varier fortement si l'on compare les sociétés entre elles.


    Les effets pervers dans l'histoire des sciences sociales

    La découverte de l'effet pervers remonte probablement à Bernard Mandeville (1720) pour qui «l'immoralité des particuliers pouvait aboutir au bien public tandis que l'honnêteté des particuliers pouvait être un fardeau pour la société».7 D'autres précurseurs moins subversifs, tels Adam Smith et Jean-Jacques Rousseau, ont étoffé cette notion d'exemples devenus des classiques du genre.

    Tocqueville, analysant les causes de la révolution française, soulignait que l'élimination de certains privilèges de l'aristocratie avait tendance à rendre encore plus intolérables les privilèges qui se maintenaient. Durkheim, dans sa célèbre théorie de l'anomie, démontrait qu'une brusque prospérité pouvait provoquer autant de suicides qu'une brusque récession. Stouffer, dans The American Soldier, étudie le système de promotion militaire et conclut «qu'à une mobilité ascendante objectivement plus grande, correspondait une satisfaction globale plus faible».8

    Tous ces exemples ont le même commun dénominateur: le but atteint par les actions sociales n'est pas le même que le but recherché. L'addition de choix individuels provoque des effets macrosociologiques indésirables. Les structures sociales définissent les formes d'interaction dans lesquelles s'effectuent ces choix individuels. De cette façon, la machinerie de l'effet pervers semble se développer toute seule.


    Effets pervers et inégalité des chances

    On a cru pendant longtemps que l'augmentation de la scolarisation favoriserait la mobilité sociale et diminuerait ainsi les inégalités sociales; il semble que cette théorie soit partiellement fausse. Raymond Boudon a construit un modèle théorique simulant les rapports entre le système scolaire et la mobilité sociale; il a montré que «de façon générale, l'augmentation considérable des taux de scolarisation et la démocratisation de l'enseignement n'impliquent ni que la mobilité doive augmenter, ni que sa structure soit modifiée dans le temps. Le modèle conduit à des variations faibles et oscillatoires plutôt qu'unidirectionnel les de la mobilité».9 Une politique d'égalité sociale aurait plus d'effets sur la mobilité que l'égalité des chances dans l'enseignement.

    Depuis la dernière guerre mondiale (1945), la forte demande d'éducation dans tous les pays occidentaux a provoqué une dévaluation assez forte des différents niveaux d'instruction.

    ... les adolescents d'origine sociale inférieure ne tirent pratiquement aucun bénéfice en termes d'espérances sociales de l'augmentation relativement ra-
    pide dans le temps du niveau d'instruction moyen de cette catégorie, car dans le même temps où elle a accédé avec une plus grande fréquence à des niveaux
    d'instruction plus élevés, ceux-ci se sont trouvés associés à des espérances sociales décroissantes.10

    Pour arriver à un statut social «x», l'étudiant d'aujourd'hui doit faire des études plus longues et plus coûteuses que l'étudiant d'hier. Cette course à une scolarisation de plus en plus élevée, pour une rémunération stable ou plus basse, est l'un des effets pervers les plus importants que l'on retrouve dans les sociétés occidentales.

    En s'inspirant des principales conclusions de Thurow et Boudon, on peut établir un schéma simplifié des avantages/ désavantages de l'inflation scolaire pour l'individu et pour l'ensemble de la société. En combinant ces deux niveaux, on obtient quatre situations possibles:

    1) La première situation correspond à l'optimisation des avantages à la fois pour l'individu et pour la société. Dans toutes les sociétés industrialisées, on constate une corrélation entre rémunération et niveau scolaire: en moyenne, plus la scolarité est élevée, plus le salaire sera élevé; cette situation est donc un avantage pour un certain nombre d'individus (surtout ceux qui accèdent au niveau universitaire). Au plan social, on peut aussi dire qu'il y a une relation positive entre l'augmentation générale de la scolarité dans une société donnée et la productivité de cette société11; on peut croire que toute augmentation de la scolarité peut être bénéfique pour l'ensemble de la société.

    2) Dans la deuxième situation, il y a des désavantages pour l'individu et des avantages pour la société. Si la société, prise comme un ensemble, a tout intérêt à ce que la scolarisation augmente, il n'en est pas de même au niveau individuel. Un certain nombre d'individus (non inclus dans la première situation) «ont dû payer un coût croissant dans le temps, en termes de temps de scolarité, pour conserver les mêmes espérances sociales».12 Il y a désavantages ou pertes pour l'individu, car il doit investir de plus en plus au plan scolaire pour obtenir un statut social équivalent ou plus faible.

    3) Dans la troisième situation, l'individu est avantagé et la société est désavantagée. L'inflation des effectifs scolaires amène parallèlement une inflation des coûts. Ces coûts prennent une place de plus en plus grande dans le budget global des nations industrialisées.13 On assiste, si on fait une étude à long terme, à une réduction sensible des inégalités scolaires; cette réduction des inégalités scolaires est bénéfique à certains individus: ils voient leur niveau culturel et leur compréhension de l'environnement physique et social s'élever en même temps (du moins on peut le penser). Il est certain que ces coûts collectifs élevés de la scolarisation sont financés par tous les citoyens; une majorité de citoyens paient pour l'éducation de plus en plus poussée d'une minorité de citoyens.

    4) Dans la quatrième situation, il y a des désavantages pour l'individu et pour la société. Dans l'hypothèse où la société se veut égalitaire, elle investira dans l'institution scolaire en espérant que l'égalité des chances favorisera une diminution des inégalités économiques; comme on l'a vu plus haut, ce n'est pas le cas bien au contraire:

    ... le développement de l'éducation n'entraîne pas la réduction de cette forme à la fois particulière et essentielle d'inégalité qu'est l'inégalité des chances (dépendance du statut social du fils par rapport au statut social du père), même lorsqu'il s'accompagne d 'une réduction de l'inégalité des chances scolaires.14

    On assiste semble-t-il à un blocage de la structure de la mobilité. Il se produit un effet de compensation qui fait que les chances pour un individu d'obtenir un statut social plus élevé vont varier en fonction de son investissement scolaire. La course vers une scolarisation de plus en plus longue accentuera ce mouvement en spirale.

    L'individu a vraiment intérêt à tenter sa chance dans le système scolaire (surtout au niveau universitaire) même si ses possibilités d'atteindre ses objectifs (niveau économique plus élevé) se réduisent de plus en plus; en période d'inflation scolaire, plus il y a d'individus qui jouent à la loterie scolaire, plus ils diminuent la chance des autres et leurs propres chances. Il est paradoxal de penser «que la liberté offerte à tous, à un niveau formel, de choisir son niveau d'instruction peut être considérée comme un des facteurs qui a contribué à la persistance des inégalités».15


    Le mal français: après mai 1968

    La principale caractéristique de la situation scolaire en France est l'accroissement de la demande scolaire.

    La deuxième caractéristique a trait à l'orientation majoritairement «littéraire» des études. Ce caractère traditionnel de l'enseignement français souligne le décalage entre les milieux de travail et l'université; on peut croire que la grande peur des militants de mai 1968 d'être digérés par les milieux d'affaires et de devenir des technocrates tenait plus du mythe que d'une analyse sérieuse du marché du travail (n'est pas technocrate qui veut).

    La troisième caractéristique provient de l'allongement de la durée de la scolarité pour la majorité des disciplines. Ces disfonctions et les faibles possibilités de s'adapter des institutions scolaires françaises expliquent pourquoi, «au total, un enchevêtrement complexe d'effets pervers prenant l'allure d'une machine infernale neutralisant dans une large mesure les efforts entrepris par le réformateur pour rénover l'université française».17

    L'accroissement de la demande scolaire et l'absence de sélection à l'entrée des universités, la vocation surtout «culturelle» des universités et l'impossibilité pour les autorités scolaires de canaliser les flux d'étudiants ont amené une non-différenciation des institutions universitaires. Ce système peu différencié, anomique, provoquerait le retrait (au sens mertonien) des étudiants et des professeurs. Selon Boudon, un système différencié, en offrant à ses utilisateurs une séquence d'options, les place dans un champ stratégique et les incite à donner une dimension temporelle à leurs activités universitaires».18

    L'étudiant, perçu comme un «acteur intentionnel», constatera, dans l'inflation scolaire, la dévalorisation des diplômes et sera conscient du surinvestissement qu'il devra consentir pour obtenir un statut socio-économique équivalent ou plus bas; dans cette optique, il adoptera une attitude rationnelle: il diminuera au minimum son rendement scolaire (accélérant ainsi la baisse de prestige de son diplôme). Le manque de différenciation explique aussi en grande partie l'apathie et le manque de participation des étudiants à la vie universitaire. Cette participation des étudiants et des professeurs à la vie universitaire dépendra de leurs taux d'intégration à ce même milieu. Cette intégration va varier, elle-même, en fonction de trois critères: la professionnalisation de la discipline, la «technicité» de la discipline, et enfin la perméabilité de celle-ci à la politisation.19

    Cette situation générale va entraîner une classification des professeurs établie selon l'opposition cognitif/non-cognitif:

    ... il paraît clair qu'une des conséquences de la désorganisation du système universitaire français et de son incapacité dans de larges secteurs à stimuler des activités de type cognitif invite par sa défaillance de nombreux universitaires à s'orienter vers des productions qui ont parfois une valeur sur le plan esthétique, éthique ou politique mais sont dépourvues d'intérêt du point de vue cognitif.20

    Les professeurs, à l'image de leurs étudiants, chercheraient des gratifications sociales à l'extérieur de leur milieu de travail. Dans cette situation l'universitaire «rêve alors de devenir le penseur, le gourou, dont le tout Paris parlera pendant quelques mois ou moins».21 Cette interprétation expliquerait partiellement l'importance des modes et leur relative obsolescence dans les milieux intellectuels parisiens.


    Les pièges de l'action collective

    En période de gonflement des effectifs scolaires, l'étudiant va, au niveau universitaire, tenter sa chance. Il sait d'une part qu'il y a une relation (aussi vague soit-elle) entre le niveau d'éducation et le statut socio-économique et, d'autre part, il sait aussi que son investissement scolaire (en termes relatifs) perd constamment de la valeur; il cherchera alors une situation d'équilibre entre son investissement (temps et argent) et le rendement qu'il peut tirer de son diplôme universitaire. On assiste alors à une détérioration de la qualité de la formation et à une baisse du niveau de chacun des étudiants.

    Dans ce cas, et c'est là un des pièges de l'action collective, tous les étudiants ont intérêt à miser dans le grand jeu de l'éducation afin d'améliorer leur statut social, mais, ce faisant, ils accentuent la spirale inflationniste, ils contribuent à la dévaluation de leurs propres diplômes et à la dégradation générale du milieu scolaire.

    D'après toutes ces considérations, il semble bien que les réformes scolaires ont amené des effets non voulus et indésirables. Ces effets sont, selon Raymond Boudon, la principale cause des crises et des conflits que connaissent les institutions scolaires dans les sociétés industrielles. «Parce qu'inattendus, ils ont provoqué un immense désenchantement sur les vertus sociales et politiques de l'éducation. Parce que pervers, ils ont provoqué un sentiment de doute sur les finalités des systèmes d'éducation et d'impuissance sur la manière de les gérer». 22


    École, compétition et frustration relative

    On s'intéresse beaucoup en ce moment au rôle de la compétition dans l'institution scolaire. Pour certains, elle est étroitement reliée à la qualité de la formation de l'étudiant; pour d'autres, elle agit comme la cape rouge devant le
    taureau: elle serait l'outil d'un capitalisme rampant à l'intérieur de l'école. Raymond Boudon s'est inspiré du fameux paradoxe de T ocqueville pour élaborer un modèle de la frustration relative perçue comme un effet pervers produit par les structures de compétition; selon lui, il n'est pas vrai qu'en général une augmentation des chances ou biens offerts aux individus entraîne dans tous les cas l'élévation de l'insatisfaction que Tocqueville a observée. En revanche, il est vrai que le phénomène peut se produire dans certains cas. Dans certains cas, c'est-à-dire en fonction des modifications de la structure de la compétition provoquées par l'augmentation des chances ou des biens offerts par la structure sociale aux individus.23

    Nous allons voir plus loin comment cette théorie peut s'appliquer à l'institution scolaire.

    Il y a des effets pervers qu'il y ait égalité ou non des individus; les effets pervers ne sont pas identiques selon que l'on adopte l'une ou l'autre de ces hypothèses.

    En se rapprochant des conditions sociales réelles, le modèle aurait sûrement gagné en validité mais il aurait perdu sa dimension pédagogique; en caricaturant, il permet de saisir plus vivement les contradictions. La contradiction la plus bizarre est bien celle où, dans l'hypothèse de l'inégalité, les frustrations sont moins nombreuses que dans le cas de l'égalité; l'intérêt à miser sur la promotion sera plus faible dans le cas où la mobilité est faible elle aussi. Cela semble confirmer la Ioi de Durkheim selon laquelle Ia satisfaction éprouvée par l'individu dépend moins de l'abondance des biens mis à la disposition de la collectivité que de l'aptitude de cette dernière à inspirer à l'individu des désirs bornés à ce qu'il peut espérer obtenir .24

    Appliqué à l'institution scolaire, ce mini-modèle permet d'expliquer, en partie, les révoltes étudiantes de la période 1960-1970 et aussi l'apathie, le misérabilisme et la résignation que l'on retrouve actuellement dans ces milieux. On retrouve dans l'école le même effet pervers que connaissent bien les automobilistes qui reviennent de leurs résidences secondaires par l'autoroute du nord un dimanche soir: l'engorgement.

    Dans le casino déroutant qu'est devenue l'institution scolaire, si tous peuvent jouer, car les structures de compétition permettent de croire qu'ils peuvent tous être des gagnants, l'absence d'orientation et de hiérarchie minimale va entraîner, comme on l'a vu plus haut, une baisse de la qualité de la formation, une hausse du coût de ce même diplôme et un taux de frustration relative assez élevé.

    Contrairement à ce que l'on pouvait penser, l'absence de hiérarchie au lieu de diminuer la compétition va l'amplifier. Si la compétition institutionnelle - que ce soit par les examens, les titres ou les décorations (les fameux hochets dont parlait Napoléon) - fait défaut, elle s'installera ailleurs et autrement aux dépens du joueur, de l'institution et de l'ensemble de la société.


    Le débat sur la qualité de l'enseignement

    La principale leçon que l'on puisse tirer de l'existence d'effets pervers dans l'institution scolaire est que le débat sur «l'excellence» peut être entrepris différemment si l'on se place du point de vue de l'acteur social intentionnel et non a partir de jugements moraux de quelque côté qu'ils viennent.

    L'étude des effets pervers montre bien comment les gens désirent des choses (à travers des institutions) et obtiennent souvent autre chose à la place. L'inversion et la dégradation des objectifs25 font partie de ces effets non voulus de la vie collective et le débat sur «l'excellence» doit en tenir compte.

    Il n'y a, heureusement ou malheureusement, ni un grand timonier, ni de grands principes qui définiraient la vie sociale à l'avance; il n'y a que des acteurs empêtrés dans leurs propres actions et contradictions. La seule réserve que l'on puisse faire à ces analyses des effets pervers, c'est peut-être de cultiver «l'illusion de tenir pour démontré ce qui est logique».26 Lorsque la logique collective est aphasique, la logique scientifique peut bafouiller elle aussi. »


    Notes

    1) Voir, par exemple, Baudelot, C., Establet, R., L'école capitaliste en France, Maspéro. Paris, 1971; Bourdieu, P., Passeron, J.-C., La reproduction, Ed. de Minuit, Paris, 1970, etc.

    2) Boudon, R., Effets pervers et ordre social, P.U.F., Paris, 1977, p. 14.

    3)Voir à ce sujet Lazarsfeld, P., «Quelques remarques historiques sur l'analyse empirique de l'action», in Philosophie des sciences sociales, Gallimard, Paris, 1970, pp. 163-185.

    4) Boudon, R., op. cit., p. 20.

    5) Voir une bonne démonstration de cet effet pervers, dans Albertini, J.-M., Viau, A., L'inflation, Ed. du Seuil, Paris, 1975.

    6) Boudon, R., op. cit., p. 12.

    7) Heilbroner, R. L., Les grands économistes, Seuil, Paris, 1971, p. 164.

    8) Boudon, R., op. cit., p. 135.

    9) Bourdon, R., L'inégalité des chances, A. Collin, Paris, 1973, p. 215.

    10) Boudon, R., Effets pervers et ordre social, op. cit., p. 181.

    11) Voir Debeauvais, M., «Facteurs de modernisation et de rendement. Le capital humain», in Lengyel, P., et all, Approche de la science du développement socio-économique, Unesco, Paris, 1971; pour le Québec, Bertram, G.W., «L'éducation et la croissance économique» in Bélanger, P.W., Rocher, G., et all, École et société au Québec, Ed. H.M.H., Montréal, 1970.

    12) Boudon, R., op. cit., p. 183.

    13) Voir Bell, D., Vers la société post-industrielle, Robert Laffont, Paris, 1973; pour le Québec, voir Martin, P., «Les dépenses de l'éducation au Québec», In Le Devoir. 24 mars 1976.

    14) Boudon, R., op. cit., p. 37.

    15) Boudon, R., op. cit., p. 184.

    16) Ibid., p. 103.

    17) Boudon, R., op. cit., p. 60.

    18) Ibid., p. 69.

    19) Boudon, R., op. cit., p. 83.

    20) lbid., p. 89.

    21) lbid., p. 92.

    22) Boudon, R., op. cit., p. 38.

    23) lbid., p. 136.

    24) Boudon, R., op. cit., p.135

    25)Voir à ce sujet Schelling, T., «The Ecology of Micrornotives», in Public lnterest, 1973.

    26) D'après l'expression de Merton, R. K., Eléments de théorie et de méthode sociologique, Pion, Paris, p. 41.

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