Le moulin

Émile Verhaeren
Le moulin tourne au fond du soir, très lentement,
Sur un ciel de tristesse et de mélancolie;
Il tourne et tourne, et sa voile couleur de lie
Est triste et faible et lourde et lasse, infiniment.

Depuis l’aube, ses bras, comme des bras de plainte,
Se sont tendus et sont tombés; et les voici
Qui retombent encor, là-bas, dans l’air noirci
Et le silence entier de la nature éteinte.

Un jour souffrant d’hiver sur les hameaux s’endort,
Les nuages sont las de leurs voyages sombres,
Et le long des taillis qui ramassent leurs ombres,
Les ornières s’en vont vers un horizon mort.

Autour d’un vieil étang, quelques huttes de hêtre
Très misérablement sont assises en rond;
Une lampe de cuivre éclaire leur plafond
Et glisse une lueur aux coins de leur fenêtre.

Et dans la plaine immense, au bord du flot dormeur,
Ces torpides maisons, sous le ciel bas, regardent,
Avec les yeux fendus de leurs vitres hagardes,
Le vieux moulin qui tourne et, las, qui tourne et meurt.

Autres articles associés à ce dossier

À lire également du même auteur

L’idée de vitesse
L'auteur se livre à une véritable apologie du mouvement et du changement, né

Les villes
Poème tiré du recueil Les Forces tumultueuses (1902)

Le banquier
Poème appartenant au recueil Les Forces tumultueuses (1902)




Articles récents