Le comte de Mirabeau

Antoine de Rivarol
Portrait caustique de l'illustre orateur.
Mirabeau (le comte de). Ce grand homme a senti de bonne heure que la moindre vertu pouvoit l’arrêter sur le chemin de la gloire, & jusqu’à ce jour, il ne s’en est permis aucune. Il n’a regardé l’honneur & la probité, que comme deux tyrans qui pouvoient mettre un frein à son génie, & il s’est rendu sourd à leur voix; il a renoncé à toute espèce de courage, pour ne pas rendre sa destinée trop incertaine; enfin, il a profité de son manque d’âme pour se faire des principes à l’épreuve des remords. Des milliers de Français se sont dévoués pour la patrie; lui, s’est vendu pour la patrie, & cela est bien plus sûr : le génie est si flottant dans sa marche, qu’une grande république ne peut compter sur lui, qu’en le payant fort cher. D’ailleurs, quand il s’agit de la liberté, il ne faut rien épargner; & la fidélité du comte de Mirabeau prouve la magnificence du parti qu’il défend. Il n’a parlé quelquefois en faveur de l’autorité royale, que pour prouver que son jargon auroit trouvé par-tout à se placer, & que son éloquence gagnoit cent pour cent à être dirigée contre sa conscience. La nation lui a donc laissé le plaisir de combattre quelquefois contre elle, & la misère du roi l’a toujours rassurée; le comte de Mirabeau n’en passe pas moins pour un des meilleurs ouvriers de la révolution, & il ne s’est pas commis un grand crime dont il ne se soit avisé le premier.

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En filigrane de ce compte rendu de l'ouvrage de Louis Barthou, homme politique de droite (Figures du passé : Mirabeau, Paris, Hachette, 1913, in-8 d

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