La philosophie du jugement de Jacques Poulain

Josette Lanteigne
Dernier chapitre, conclusion et références bibliographiques de La question du jugement
TABLE DES MATIÈRES
Chapitre IV: La philosophie du jugement de Jacques Poulain
Introduction
Section 1: Les conditions anthropobiologiques du jugement
Section 2: "Penser vrai" et "juger"
Section 3: La grammaire du vrai
Section 3.1: La pertinence de la critique habermassienne de Wittgenstein
Section 3.2: Connexions analytiques et synthétiques autour du concept de jugement
Section 3.3: Conclusion
Conclusion de l'ouvrage
Références bibliographiques
La question du jugement, Paris, L'Harmattan, 1993.
Dans les chapitres précédents, on a étudié le jugement principalement sous son aspect propositionnel. "Jugement" et "proposition" peuvent parfois passer pour des synonymes, mais au moins deux indices donnent à penser que cette réduction est fallacieuse: i) Chez Kant, l'examen des présupposés subjectifs du jugement nous invite à sortir du cercle étroit de la proposition, même s'il faut admettre que pour pouvoir parler de jugements analytiques, de jugements synthétiques et de jugements synthétiques a priori, il faut déjà avoir présupposé le jugement comme proposition. ii) Chez Wittgenstein, la conception pragmatique du jugement qui est esquissée en PU 242 (1) ne doit plus grand chose aux modèles du langage - celui du Tractatus par ex. - qui prennent la proposition pour centre. Mais si le jugement ne se réduit pas à la proposition, quelle sorte d'action est-il donc? Kant le décrit comme un acte de la spontanéité de l'entendement, alors que Wittgenstein s'oriente vers le juger en commun, mais l'un comme l'autre paraissent présupposer le jugement avant même de le décrire. Dans le même sens, Wittgenstein affirme que "nous utilisons des jugements comme principes de l'acte de juger." (2) Ni Kant ni Wittgenstein ne rendent vraiment compte du jugement. En vue de poursuivre l'investigation, on peut conserver les questions de ces deux auteurs ("comment le jugement est-il possible?", "qu'appelle-t-on juger?"), mais on ne saurait plus se limiter à leurs réponses.
SECTION 1: LES CONDITIONS ANTHROPOBIOLOGIQUES DU JUGEMENT
Dans une série d'articles, J. Poulain a exploité l'actualité philosophique de Gehlen pour en tirer une conception pragmatique du langage qui est à la fois transcendantale (puisqu'elle reconnaît l'existence du jugement synthétique a priori) et génétique (décrivant les conditions anthropobiologiques du langage et du jugement). Pour comprendre le langage, il ne suffit pas d'étudier les jeux de langage, mais il faut remonter jusqu'aux conditions qui l'ont rendu possible pour l'espèce humaine. Gehlen accorde beaucoup d'importance à la différence entre l'homme et l'animal (3), alors que Poulain développe une conception du jugement qui semble s'appuyer sur ce qu'il y a de plus primitif voire d'infantile. En ce sens, il reste proche de Wittgenstein, qui disait vouloir concevoir la certitude comme quelque chose d'animal. Poulain et Gehlen remontent jusqu'au babil, qui serait une des premières situations gratifiantes, sur laquelle sera fondé le caractère hédonique du langage et du vrai. Le schéma de base est celui d'une émission qui ne déclenche comme réponse que sa propre réception, qui trouve là toute sa satisfaction. Il existerait une identification au langage et à la communication qui précède même la conscience de parler. Pourtant, si on devait considérer cette identification primitive comme étrangère au langage (comme son "fondement"), on aurait simplement déplacé le problème une fois de plus. Il s'agit donc de la considérer comme ce qu'il y a de plus "théorique", et non pas comme "praxis" précédant une "théorie". Quant au jugement, ce qu'il y a de plus théorique au sens strict (nécessité et objectivité sont les deux traits du jugement dans la première Critique), il serait non pas fondé sur quelque chose de plus primitif, mais il serait ce qu'il y a de plus primitif en l'homme: "Seul l'accord existant entre deux interlocuteurs et produit par l'adhérence de chacun à la vérité de ce qu'il dit et à la vérité de ce que dit le partenaire règle la vérité des connaissances comme elle règle la pertinence des actions." (4)
Les concepts de "vérité", "langage", "jugement", présentent des ressemblances de famille. Kant (dans la troisième Critique (5)) et Wittgenstein ont bien vu que le consensus est une donnée essentielle du jugement, mais comment retrouver la nécessité et l'objectivité de la première Critique et du Tractatus sans renoncer aux acquis de la découverte que le jugement est d'abord et avant tout une activité communicationnelle? La solution serait de dire que ce à quoi on s'identifie, le vrai, est objectivement nécessaire, que le langage et la communication baignent dans la lumière de la vérité. Pourtant, on n'est pas sans ignorer que le passage de l'ère du jugement à celle de la communication a plutôt eu l'effet contraire, transformant les usagers du langage en expérimentateurs mutuels, et transformant la vérité objective en vérité relative. Il convient donc de revenir à l'expérience primordiale de vérité sur laquelle repose le langage, un retour qui ne saurait évidemment prendre d'autre forme que celle de la description d'un jeu de langage.
Chez Poulain, la communication est l'expérience d'une vérité commune: locuteur et allocutaire s'identifient à la vérité de ce qui est dit au moment où cela est dit, "le temps du jugement". Cette identification qui va apparemment de soi remonte aux débuts de l'histoire des individus, "avant le jaillissement du verbe". (6) Les émissions-réceptions phono-auditives sont perçues comme étant immédiatement gratifiantes: ces stimuli ne déclenchent que la réception d'eux-mêmes comme toute réaction, formant ainsi une chaîne auto-suffisante. En matière de langage, le principe de plaisir précède le principe de réalité, et la communication linguistique suit le modèle de la communication tactile, où l'intentionnalité de l'agent accompagne toujours la sensation d'un objet étranger. Les émissions-réceptions phono-auditives ont comme les sensations tactiles un aspect moteur corrélé à un aspect récepteur, ce qui leur permet de se prendre elles-mêmes comme objet. Gehlen semble voir dans cette réflexivité la définition même de l'intelligence, et les mouvements humains, par opposition à ceux des animaux, seraient "intelligents" en vertu de cette structure de réflexivité, qui permet au vivant humain de diriger un mouvement pour le répéter, l'automatiser et le faire sien.
Et pourtant, la particularité du vivant humain est un manque presque total de spécialisation et d'adaptation à l'environnement. Là où l'animal a un environnement (Umwelt), l'homme n'a que les corrélations qu'il établit au moyen du langage, en articulant le toucher à la vision et la vision à l'ouïe. L'avorton humain, cet "embryon de singe parvenu à maturité sexuelle" (7), selon l'expression de Bolk, a survécu parce qu'il a été capable de ramener les impressions multiples qui l'assaillaient du fait de sa non spécialisation à des centres de focalisation, les "choses". Le processus que Gehlen appelle Entlastung (un terme qu'on peut traduire par "décharge", "mise à distance" ou même "libération", "neutralisation") est responsable de l'évolution au terme de laquelle l'homme adulte se trouve à la tête de ces immenses champs symboliques du voir, du parler et du représenter, dans lesquels il se rapporte aux objets de manière variable.
On sait que la caractéristique principale de la parole est d'être doublement donnée: elle est donnée non seulement dans un accomplissement moteur, mais elle est aussi recueillie dans l'écoute, ce qui lui confère le même type de structure réfléchie que le mouvement. L'"accord dans le jugement" dont parle Wittgenstein ne serait pas autre chose qu'un phénomène de communication, comme il le reconnaît lui-même, par lequel le jugement doit non seulement pouvoir être exprimé comme une proposition, mais également pouvoir être reçu par tous ceux qui parlent le même langage. Si la dualité émission-réception est ce qui caractérise le langage, elle doit se retrouver à tous les niveaux, et particulièrement à celui du jugement. Mais Kant n'a-t-il pas entaché la notion de jugement de subjectivisme? Qu'à cela ne tienne: les conditions subjectives du jugement seront celles de sa genèse anthropobiologique, et Kant n'aura pas eu tort de considérer les conditions du jugement comme "subjectives", puisqu'elles ont été provoquées de manière endogène et non pas comme réponse à l'environnement (quand bien même il serait "factuellement" vrai que l'homme n'aurait pas pu survivre autrement dans cet "environnement" qui n'était pas le sien).
Dès lors, comment expliquer le fait que le langage est tourné vers l'extérieur? On ne saurait se contenter de répondre qu'il ne pouvait en être autrement, mais il faut refaire le mouvement par lequel l'homme est rejeté hors de toutes les conditions dites "naturelles" pour être mis sur le chemin d'un développement radicalement nouveau. Une des principales lois de ce développement est l'inversion de la direction des pulsions: au lieu de se diriger vers le but de l'action, l'organisme s'en détourne, ce que Gehlen décrit comme un "comportement théorique", même à un âge où il ne saurait être question de connaissance. Ainsi, il arrive que la douleur éveille l'intelligence; Guernsey donne l'exemple d'un enfant de 11 mois qui s'étant d'abord fait mal en tombant sur la tête, ce qui avait occasionné des pleurs, refait immédiatement après, plusieurs fois, de manière intentionnelle, le mouvement de se frapper la tête (8). Au lieu de fuir la douleur, comme on pourrait s'y attendre, il la recherche pour elle-même. Gehlen tient à souligner que l'action décrite ne vise aucunement la satisfaction d'un besoin immédiat, qu'elle n'est pas "innée" et qu'elle ne constitue pas un "réflexe". Il ne voit pas d'autre manière de décrire ce comportement qu'en le disant "intelligent".
L'inversion de la direction des pulsions ne saurait avoir lieu sans que l'objet de satisfaction "normal" soit mis à distance, neutralisé au profit du plaisir que l'agent prend à sa propre activité (s'il en allait autrement, les jeunes enfants ne pourraient consacrer autant d'énergie à s'exercer aux différents mouvements du corps et de la parole). Or les actes de langage étant des actes qui ne changent apparemment rien, ils peuvent donc devenir "les lieux "d'extases", ersatz de ces extases biologiques naturelles aux animaux "bien formés", suffisants, aux animaux non-humains." (9) L'identification au langage a ainsi deux versants: un versant "intelligent" et un versant primitif, simple "ersatz" d'une satisfaction biologique:
"Ainsi, la façon même dont le rapport d'objectivité se constitue ouvre la voie au comportement magique, et celui-ci doit être affirmé comme une possibilité constitutive, en tant qu'il appartient à l'expérience de langage et de communication, une fois constituée, de rendre possible un comportement-esatz, celui-ci consistant précisément à identifier la figuration de l'action à l'action elle-même." (10)
La "prosopopée verbale" est une énonciation qui "anime" le monde, le fait "vivre" et "parler", sans plus tenir compte de la différence entre l'énonciateur-soleil et le locuteur dans "le soleil brille", par exemple, qu'elle ne distingue le soleil de sa propriété de brillance. La proposition sujet-prédicat "le soleil est brillant" fait cette dernière distinction sans nous mener beaucoup plus loin, puisqu'au lieu de déclencher la perception de brillance, le sujet déclenche maintenant celle du prédicat "est brillant", l'identification à un prédicat d'activité remplaçant celle de l'énonciateur-soleil. Suivant Poulain, la prosopopée verbale n'est "ni connaissable ni reconnaissable comme telle lorsqu'elle s'énonce (...) La "vérité" organique de la corrélation verbale du monde à la proposition et de la proposition au monde se fuit elle-même" (11). Mais dans ce mouvement de fuite en avant, la direction pulsionnelle s'inverse, et la forme de vie qu'est le langage, si elle refuse toutes les "réflexions" et réitérations qu'on peut accomplir en son nom, appelle aussi un "comportement théorique" qui neutralise les effets négatifs de la prosopopée verbale en se fixant à la vérité et en l'adoptant comme unique programme d'action:
"L'expérience de liberté accessible dans le jugement n'est pas celle de pouvoir se détacher à volonté de toutes les représentations de connaissance, d'action et de désir auxquelles on a dû adhérer pour pouvoir les penser; elle est au contraire de reconnaître l'objectivité de celles qu'on a dû penser vraies pour pouvoir les penser et la fausseté de celles qu'on ne peut reconnaître aussi vraies qu'on a dû les penser vraies." (12)
SECTION 2: "PENSER VRAI" ET "JUGER"
Qu'est-ce que la vérité? C'est par cette question, dit Kant, que les anciens tentaient de pousser les logiciens jusque dans leurs derniers retranchements. Le diallèle auquel ils se trouvaient acculés est décrit par les traducteurs de la Critique de la manière suivante: "Il y a diallèle parce que l'esprit prétend se laisser mesurer par le réel, mais établit lui-même cette mesure." (13) Kant "accorde" et "présuppose" la définition nominale de la vérité comme conformité de la connaissance avec son objet (14), mais son affirmation peut surprendre dans le contexte de l'idéalisme transcendantal; celui-ci ne cherche-t-il pas à valider le diallèle en question? On retrouve le même genre d'inversion dans les articles de Poulain: l'objectivité et la vérité y sont présupposées, tout en recevant une nouvelle détermination qui doit précisément "déterminer" ce qui était présupposé. En quoi consiste l'expérience du jugement? Du point de vue anthropobiologique qui reste celui de Poulain, le jugement est un acte d'identification et une expérience de communication, comme tous les mouvements (tactiles, visuels, gustatifs, olfactifs, audio-phoniques) par lesquels le vivant humain se projette dans le réel pour pouvoir le constituer comme réel et s'y retrouver. Ce qui spécifie le jugement, c'est sa soumission à la loi de vérité et son rapport à la définition nominale de la vérité sur cette base: le jugement adhère à la vérité (il "pense vrai") pour pouvoir la constituer comme vérité (et pour pouvoir se dire). Il s'agit bel et bien de "constitution" au sens kantien du terme: Poulain nous fixe à la vérité et à l'expérience du jugement comme il "fixe aux seuls modes de vie et d'action qui rendent la vie humaine possible, en fixant aux seuls jugements qui se reconnaissent aussi vrais qu'ils ont dû être pensés vrais pour pouvoir être pensés." (15)
Nous avons un préjugé favorable à l'endroit du jugement. Comme le remarque Wittgenstein, "nous utilisons des jugements comme principes de l'acte de juger". (16) De prime abord, cette folie du jugement ne présente qu'une autre forme d'animisme. Ne s'y limite-t-on pas à la seule expérience de vérité que l'on s'est fait faire, celle d'une vérité nécessaire (le faux ne se laissant pas "penser" de cette manière), en faisant fi de la polarité essentielle à ce concept? Comme dit Wittgenstein dans le Tractatus, la proposition vraie présuppose la proposition négative et vice versa (17). Toutefois, ce qui s'oppose au "jugement de vérité" n'est pas la proposition négative mais ce qui est faux. Et il serait absurde de croire que le faux doive logiquement se laisser penser en même temps que ce qui est vrai (18). "Penser vrai" est le résultat d'une action, et la proposition contraire à celle qui est affirmée ne saurait se laisser penser en même temps qu'elle, pas plus que le mouvement de tirer ne peut se faire en même temps que celui de pousser. Mais Poulain va plus loin lorsqu'il affirme que le jugement "fixe à lui-même et à l'expérience qu'il objective si et seulement s'il est aussi vrai qu'il a dû se penser l'être pour pouvoir se produire (19). Il fait ainsi de tout jugement un jugement synthétique a priori, comme Kant définissait tout jugement comme un jugement synthétique a priori au § 19 de la deuxième édition de la déduction transcendantale des catégories. Dès lors, "penser vrai" serait-il "juger" au sens kantien du terme? Le cas échéant, on pourrait lui opposer l'argument présumé valable contre toute philosophie de la conscience, à savoir que l'unité objective de l'aperception doit céder à l'unité du consensus locuteur/allocutaire, si le jugement doit pouvoir être non seulement pensé mais communiqué.
Suivant la critique pragmatique (20), l'unité objective de l'aperception ne saurait être qu'une invention de philosophe contemplatif, pour qui l'objectivité consiste à passer d'"il me semble que la pierre est lourde" (simple jugement de perception) à "la pierre est lourde" (jugement de connaissance = "il en est ainsi"). Mais si le diktat "il en est ainsi" est nécessaire et suffisant dans la situation du philosophe des sciences de la nature, le philosophe des sciences humaines ne se tient pour assuré de rien qui n'ait été soumis à l'épreuve du discours argumentatif. Toutefois, en définissant le jugement en terme d'accord, le deuxième est uniquement conséquent, comme le premier l'était en le définissant en terme d'objectivité nécessaire. Ils sont conséquents, mais ils ne pensent pas de manière conséquente, en mettant leur jugement en accord avec ce qu'ils disent (ou pensent (21)). Le jugement scientifique doit se présumer aussi objectif qu'il peut démontrer qu'il l'est: sa démonstration ne souscrit donc pas aux critères d'une démonstration scientifique indépendante; le pragmaticien de la communication pense déjà vraies les conditions idéales qu'il cherche à réaliser: comment le consensus ne serait-il pas indisponible, si on cherche à l'imposer au moyen d'une discussion argumentative rationnelle tout en reconnaissant qu'on doit déjà l'avoir présupposé pour pouvoir discuter?
Dans son écrit "Peut-on guérir de la politique?", Jacques Poulain critique la notion de consensus sans nous laisser croire en l'existence d'une communauté idéale de communication. Derrière ces identifications de masse, on ne trouve que des identifications primitives: "En s'imposant comme consensus avec autrui et avec soi rendu possible par le double engagement argumentatif de tous, les résultats de l'action communicationnelle politique "s'esthétisent": ils s'imposent sans le détour d'un concept comme croyances, désirs ou intentions inconditionnellement valides, éprouvés qu'ils sont comme l'effet d'une auto-affection (collective ou privée) de la pensée par elle-même; ils se donnent ainsi force d'obligation contraignante du seul fait qu'ils soient énoncés au nom de tous." (22) C'est ainsi qu'on "tente de mettre le consensus au pouvoir pour échapper à l'arbitraire des conventions institutionnelles adoptées dans les sociétés archaïques par la conscience du sacré et figées dans des rites légaux qui n'ont jamais été remis en question." (23) Mais c'est peine perdue:
"Est-ce possible? Il est bien évident que non. Cette discussion est en effet présumée mimer le mouvement par lequel chacun lève déjà, dans la vie politique courante, toutes les inhibitions posées sur la satisfaction de besoins réprimés lorsqu'il estime qu'ils le sont à tort ... Cette levée généralisée des inhibitions liées aux règles de conduite est vécue comme la vérité des expérimentateurs tandis que les règles de sens, les règles de perception, les règles de comportement social et technique liées aux sciences et aux institutions du passé apparaissent a priori fausses et invalides." (24)
Au primat de la raison pratique, institué par Kant et jamais remis en question par Habermas, Poulain propose de "substituer celui de la raison théorique, et ce dans le domaine même de la raison pratique, au sein des rapports éthico-politiques" (25). Le jugement qui s'opère dans le consensus n'est pas autre chose qu'un jugement de vérité lorsque locuteur et allocutaire, indifféremment puisque l'avance du locuteur sur l'allocutaire s'efface devant la vérité qui les surplombe tous deux, adhèrent à la vérité de ce qui est dit sans autre garde-fou que cette loi de vérité, la même pour les deux. Certes, on pourrait se demander si dans tout cela, la vérité ne se voit pas accorder un privilège excessif. A quoi sert-il de retirer le pouvoir au consensus, si la vérité doit constituer le "nouveau" tiers? Or Poulain véhicule une notion de "réflexivité" sans laquelle on ne peut compter: la loi de vérité à laquelle il soumet le jugement lui est soumise en toute réciprocité. S'il est vrai, comme il dit, que tout jugement juge de sa propre objectivité, c'est le jugement qui précède la vérité et non l'inverse. La vérité n'est donc pas le tiers, puisque c'est le jugement qui vient en premier; et lui-même ne saurait occuper cette fausse position du tiers (grammaticalement parlant, le jugement ne saurait être une "chose" à laquelle on s'identifie; il est plutôt le mouvement réflexif qui rend possibles tous les autres, "le seul mouvement qui rende la vie humaine possible" (26)).
Poulain a percé le secret de la forme de vie (27) du jugement. Pour pouvoir penser une proposition, si simple soit-elle, je dois la penser vraie, et c'est là ce qu'on appelle juger; si on doit placer le consensus au coeur du jugement, c'est que cette identification au vrai doit avoir lieu, qu'on soit seul(e) ou qu'on soit à plusieurs; et si on peut placer cette loi de vérité à la racine du jugement, c'est qu'il est la seule manière dont elle puisse s'exprimer à travers le langage, car le jugement est tout à la fois un acte de langage et un acte réflexif. Il ne faut jamais perdre de vue le double caractère de projection et de réceptivité du langage. Cette dualité se retrouve au niveau du jugement, non pas dans le fait de pouvoir penser le contraire de ce qui est pensé vrai, mais dans le fait qu'il me faut reconnaître la vérité ou la fausseté de mes propres propositions, comme Wittgenstein l'a fait à la fin du Tractatus. Ce qu'il faut dire n'est pas que ce n'est pas parce que je pense vraie une proposition qu'elle l'est (car je peux me tromper), mais que le jugement est la capacité de reconnaître comme objectives les propositions auxquelles on a dû adhérer pour pouvoir les penser, et comme fausses celles qu'il n'est plus possible de penser vraies. L'expérience du jugement mime le double caractère réceptif et moteur de l'expérience phono-auditive, en agissant de manière uniquement réflexive sur des pensées apparemment déjà constituées. En un sens, le jugement ne fait donc pas autre chose que s'identifier à la vérité de propositions qu'on a dû penser vraies pour pouvoir les penser; cette adhésion qu'on renouvelle n'est pas plus "objective" que celle qu'elle vient renforcer, et la liberté n'est pas de pouvoir à n'importe quel moment mettre fin à l'adhésion qu'on a accordée jusque là à une proposition, mais de reconnaître l'objectivité de la proposition concernée en reconnaissant la nécessité d'y adhérer "aveuglément" pour pouvoir la penser vraie.
Le meilleur exemple de la conception du jugement esquissée ici est Wittgenstein, qui commence le Tractatus en disant que son livre ne contient que des vérités définitives (il remarque au passage combien peu il y a de vérité définitive à recueillir dans ce domaine), puis qui le termine en disant que celui qui comprend ses propositions y reconnaît à la fin des non-sens (28). On peut imaginer que Wittgenstein a commencé par adhérer à la vérité logiciste, puis qu'il s'en est progressivement désintéressé, allant jusqu'à la considérer comme fausse. On a là un jugement, non pas parce qu'il a toujours déjà considéré ses propositions comme pouvant être fausses (s'il en allait autrement, Wittgenstein ne parlerait pas de "vérités définitives" au début du Tractatus), mais parce qu'à deux reprises, il exprime ce qu'il pense être la vérité au sujet de ses propositions. Une objection possible serait que ce que Wittgenstein "pense vrai" est au fond ce qu'il croit, et que les croyances ne peuvent pas prétendre à la validité objective qu'on reconnaît à certains jugements (et non pas à tous). Mais les jugements qu'on cherche ainsi à mettre à l'abri de nos humeurs changeantes sont également ceux auxquels nous nous identifions le plus. Si Gehlen a pu comparer les institutions à un instinct cristallisé, on pourrait considérer les propositions qu'il n'est pas possible de remettre en question (29) comme les lieux de l'identification la plus totale, la plus "aveugle". Comme dit Wittgenstein, "si je ne sais pas cela, comment savoir si mes mots signifient ce que je crois qu'ils signifient?" "Si cela me trompe, qu'est-ce que "tromper" peut bien encore signifier?" (30)
On peut facilement imaginer qu'un aveugle eût été tenu dans l'ignorance totale de son infirmité; il s'y serait tout simplement adapté sans le savoir. Que se passe-t-il si quelqu'un l'informe de sa situation? Sera-t-il complètement désorienté? Pourra-t-il continuer à fonctionner comme il l'a fait jusqu'ici? On peut rapprocher ce "jeu de langage" de la situation décrite en PU 201: "On ne peut dire d'aucune manière de procéder qu'elle est en accord avec la règle, étant donné que toute manière de procéder peut être mise en accord avec la règle." Une fois que quelqu'un est mis au courant de la situation, n'a-t-il d'autre choix que de se mettre à douter de toutes les règles? Le conventionnalisme propose une solution qui ne saurait qu'être provisoire: "Un individu est dit suivre une règle déterminée aussi longtemps que son comportement <et on ne demande rien d'autre> est conforme à ce que les autres membres de la communauté feraient en pareilles circonstances." (31) En d'autres termes, le conventionaliste cesse de comprendre un comportement sitôt que celui-ci dévie de la norme. D'un côté, on a donc le sceptique qui dénonce l'aveuglement de la manière dont on se représente le fait de suivre une règle dans des cas particuliers et de l'autre côté, on a le conventionnaliste pour qui "suivre une règle" est ni plus ni moins qu'"agir en conformité avec les autres". Mais n'est-ce pas justement sa variabilité intrinsèque qui caractérise le concept de règle? C'est cette variabilité extrême qui produit le vertige sceptique, que le conventionnalisme ne parvient à "stabiliser" qu'au prix d'un certain immobilisme. On retrouve le même genre d'opposition stérile entre une "interprétation individuelle" et une "interprétation communautaire" de la règle (32). La première a bien de la peine à se justifier indépendamment de la seconde (étant donné l'impossibilité du langage privé (33)); quant à l'interprétation communautaire radicale, si elle n'est pas aussi absurde que l'interprétation individuelle radicale, elle n'en est pas moins tout aussi inapte à fournir une justification à l'activité de suivre une règle (34). Elle retombe ainsi sur le même plan que l'interprétation individuelle.
La seule chose qu'on ne devrait pas se permettre d'oublier, lorsqu'on débat de ces différentes questions, est qu'elles traitent du rapport entre les sons et les actions. On sait que Wittgenstein récuse toute forme de nominalisation de l'action: les règles ne sont pas plus les noms de conventions qu'elles ne "nominalisent" les états représentatifs des individus. On ne peut jamais sortir du rapport au jeu de langage dans lequel seul une expression a un usage et une signification: "On peut donc bien exhiber les règles des jeux particuliers, tels que les jeux d'échecs, de volley-ball, etc., mais l'explicitation des jeux de langage ne peut être que verbale et ... Vouloir écrire ou dire les règles du sens, les "règles" des "jeux de langage" particuliers, c'est prétendre pouvoir s'abstraire de tout contexte d'action" (35). Si on résume, Wittgenstein soutiendrait: i) qu'on ne peut expliquer les règles que de façon verbale (36) et ii) qu'on ne peut s'abstraire du contexte d'action. Il n'est pas facile de relier l'une à l'autre ces deux positions, pas plus qu'il ne l'est de réconcilier le projet mathésique du Tractatus avec la description des jeux de langage, ou que la philosophie analytique et celle du langage ordinaire, deux courants qui se sont réclamés de Wittgenstein à un moment de leur histoire, peuvent apparaître autrement que "deux modes du philosopher aussi divergents <qu'on peut l'être> quant à leurs procédures d'analyse et leur compréhension de la question du langage". (37)
Selon Poulain, "Wittgenstein n'oublie qu'une chose: que les jeux de langage ne fonctionnent comme formes de vie que s'ils sont reconnus comme tels; ils ne corrèlent les actes d'énonciation aux actions de transformation du monde, de soi ou des autres qu'à la condition que la conscience du sens de l'énonciation y soit corrélée à la conscience des règles d'actions non-verbales correspondantes." (38) Poulain nous propose-t-il une nouvelle interprétation individualiste? Pour lui comme pour Gehlen, la conscience n'est pas ce qui distingue l'homme de l'animal, puisqu'il existe une conscience animale, mais la conscience est au coeur de l'acte de langage. Tout comme la conscience est au coeur de l'application avec laquelle un gymnaste ou un danseur répètent inlassablement les mêmes mouvements complexes (qu'ils ont souvent d'abord décomposés), d'autant plus que le but ultime est une exécution quasi-automatique. Le problème tel que le pose Poulain est celui de corréler sons et actions. La technique qui consiste à faire des sons les noms des actions est à écarter comme impropre; existe-t-il d'autres méthodes? La mystique de l'usage que Wittgenstein développe dans les Recherches Philosophiques ne prétend plus fournir aucune explication. Mais les explications les plus farfelues n'en surgissent pas moins, et le moyen de leur échapper n'est pas de faire silence puisqu'elles parlent "au nom de" Wittgenstein. Le moyen d'échapper aux différentes formes de nominalisme est de reconnaître qu'il existe une identification aux sons comme il existe une identification à l'action.
Tout le monde s'accorde à le reconnaître, dans la pratique, on ne "pense" pas, on n'a pas de "théories", parce qu'on se contente d'agir. Mais le mot "agir" doit lui aussi être mis entre guillemets, en d'autres termes, il existe une identification aux sons comme il existe une identification à l'action. Wittgenstein a vu que le langage est la forme de vie (39) du vivant humain, mais il n'arrive pas à l'"expliquer", il ne peut que "décrire". Idéalement, toutes les énonciations seront donc des "actes de langage", et les seuls énoncés qui n'en sont pas relèveront de la grammaire, dont le but est le même que celui du langage, à savoir l'action, la transformation de soi, du monde et des autres. Wittgenstein se trouve ainsi pris dans un cercle autosuffisant, qui l'oblige à reconnaître le caractère arbitraire des règles grammaticales: celles-ci n'ont aucune autre nécessité que celle que nous leur accordons dans nos jeux de langage, elles sont aussi éloignées que possible d'être des propositions empiriques: s'il n'y a aucun comportement qui ne puisse être mis en accord avec la règle, il n'y en a pas non plus qui lui échappe et comme dit Wittgenstein, on ne peut plus parler d'"accord" ni de "désaccord" (40). Et pourtant, on admet que "suivre une règle" c'est agir en conformité avec elle, la seule chose qu'on nous refuse apparemment c'est la conscience de savoir ce que nous faisons. Or la conscience de suivre une règle est inséparable de la conscience de pouvoir le faire; la seule chose qui soit interdite est de dissocier l'énonciation de la règle de la pratique de cette règle.
Au lieu de faire des mots les noms des actions, Poulain coordonne la conscience du sens des mots dans lesquels on énonce une règle à la conscience d'agir suivant une règle non-verbale. On peut adapter un exemple connu de Wittgenstein. Au lieu d'expliquer de manière conventionnelle le fait que l'élève à qui on enseigne la règle + 2, une fois rendu au nombre 1000, doit continuer en écrivant 1002, 1004, 1006... et non pas 1004, 1008, 1016..., d'essayer de justifier la suite en disant à l'élève qu'il doit seulement se conformer à la manière dont les autres agissent en pareilles circonstances, on tentera plutôt de l'amener à reconnaître comme vraie une manière de procéder, au détriment de toutes les autres qui sont possibles en même temps qu'elle. Selon Poulain, l'identification à la vérité précède l'identification à l'action, laquelle ne peut avoir lieu que sous la "supervision" de la première. Et ce, contrairement aux apparences: en apparence, l'élève commence par "imiter" le maître avant de pouvoir "comprendre" ce qu'il fait. Mais cette imitation est une forme de communication sensori-motrice: en imitant le maître, l'élève fait l'expérience de ses propres possibilités: on pourrait continuer la série comme il le propose, Wittgenstein, Goodman et Kripke s'entendent pour le dire. En fait, l'élève ne fait que reconnaître (ou refuser de reconnaître) que ce que dit le maître est vrai; on ne peut pas forcer quelqu'un à apprendre, celui qu'on oblige à le faire est comme celui qui avoue de force: il consent finalement. Le double rapport de l'élève au maître et à lui-même se montre dans le fait que l'élève ne peut apprendre autrement qu'en imitant le maître, mais à travers cette communication sensible, il prend conscience de lui-même et de sa capacité de penser. Cela dit, pourquoi chacun ne penserait-il pas de son côté? Est-il plus "pratique" de penser comme les autres? Chacun doit reconnaître pour lui-même la vérité d'une certaine manière de poursuive la série. Or cette "vérité" ne peut pas être dite conventionnelle, puisqu'elle est présupposée. C'est ainsi que Apel et Habermas cherchent les "présuppositions pragmatico-transcendantales" de tout discours argumentatif, et s'ils soumettent l'accord à la discussion réelle, pour éviter qu'on ne tente de le justifier de manière monologique, ils n'en admettent pas moins "qu'avec les règles de la discussion nous ne sommes pas simplement en présence de conventions, mais de présuppositions incontournables." (41)
Pour le conventionaliste transcendantal qu'est Wittgenstein, les seules "présuppositions incontournables" qu'il y a appartiennent au langage: "Ce que, apparemment, il doit y avoir fait partie du langage. C'est dans notre jeu un paradigme; quelque chose avec quoi l'on compare. Et cette constatation peut être importante, elle n'en demeure pas moins une constatation concernant notre jeu de langage - notre mode de présentation." (42) Wittgenstein ne se contente pas de donner la première place au langage, il en tire les conséquences en se limitant à ne produire que des "notes grammaticales" (43). Mais ces notes grammaticales ne sont-elles pas le reflet de l'idée qu'on se fait du langage comme d'un facteur linguistique s'opposant à un facteur faits, une conception que Wittgenstein aurait contribué à perpétuer avec sa distinction entre propositions grammaticales et propositions empiriques, même s'il la "dépassait" avec sa conception des jeux de langage-formes de vie? Quoi que Wittgenstein puisse dire, par ex., sur le caractère incertain et flou de certaines distinctions jugées cruciales, la grammaire reste ce qui lui permet de distinguer le sens du non-sens. Alors de deux choses l'une: ou bien par la grammaire Wittgenstein se fait faire l'expérience du vrai, ou bien ses notes grammaticales ne font que le décharger d'avoir à penser une réalité empirique en laquelle il ne croit plus. En fait, c'est la grammaire qui permet à Wittgenstein de "démontrer" l'impossibilité du langage privé, simplement en remarquant que la proposition "j'ai mal" a une autre grammaire profonde que la proposition "il a mal", même si ces deux énoncés sont superficiellement très proches. Et c'est la grammaire qui le met sur la voie de la vérité pragmatique. Après Wittgenstein, "on ne peut plus imaginer des énonciateurs disposant de leurs connaissances et de leurs actions, par la seule conscience des paroles dans lesquelles ils exprimeraient leurs connaissances et règleraient leurs actions." (44)
Wittgenstein n'hésite pas à substituer "l'accord dans les jugements" (ou consensus) à "l'accord des définitions". S'il suffisait que les locuteurs s'entendent sur les définitions des mots qu'ils emploient en parlant, quelqu'un pourrait s'inventer un langage quasi-privé dans lequel il "définirait" des termes à sa convenance. Mais ce jeu de langage est déjà trop étroit pour deux personnes: pour qu'elles puissent s'entendre, il ne suffit pas qu'elles utilisent les mêmes définitions mais elles doivent aussi s'entendre dans leurs jugements. Cependant, si on détermine ce qu'est l'accord dans le jugement de manière tautologique, comme une conformité d'opinion, on aura simplement déplacé le problème: un jugement est-il vrai parce qu'il est commun à plusieurs? À l'inverse, un jugement est partagé parce qu'il constitue une identification commune à la vérité, puisque chacun y reconnaît sa vérité. En démontrant l'impossibilité du langage privé, Wittgenstein n'a pas démontré que l'accès au langage ne saurait être personnel, il a uniquement montré que le langage a un caractère "public". En fait, Wittgenstein ne peut pas plus faire abstraction de la conscience du sens des mots utilisés par les locuteurs (même lorsqu'il prétend se limiter à décrire leur comportement), que ceux-ci ne peuvent prétendre posséder le langage uniquement comme un "outil". Qu'est-ce qui nous permet de l'affirmer?
Gehlen et Poulain ont montré que le langage naît au croisement de plusieurs sens ou de plusieurs activités (mentales, verbales, loco-motrices). Bien que ses sens doivent s'éveiller avant qu'un enfant puisse apprendre à parler, il expérimente déjà à ce niveau, par la communication sensori-motrice, la possibilité de sentir son propre corps lorsqu'il se projette vers les objets. Si l'enfant semble "surpris" en regardant ses doigts, c'est qu'il attend la sensation qui a lieu habituellement (lorsqu'il touche un objet ou lorsqu'on le touche); c'est la preuve qu'il n'entre en commerce avec les choses en étant en commerce qu'avec lui-même. Mais en apprenant à "voir" ses doigts, l'enfant fait l'expérience d'une nouvelle dualité entre ce qu'il voit et ce qu'il se sait voir (d'où la surprise). On peut retrouver le même cheminement au niveau de l'acquisition du langage: dans le babil solipsiste, première racine du langage selon Gehlen, l'enfant ne fait pas la différence entre le son émis par lui ou par un autre, car il ne fait pas celle entre son émis et son entendu: tous les sons entendus sont donc éprouvés comme s'ils étaient émis par lui. Babiller est donc facile, car il suffit de répéter indistinctement tout ce qu'on entend, mais parler est fatiguant: il faut prendre un son comme motivation et le répéter, inverser le mouvement émission-réception (situation qui est celle du babil), en réception-émission (situation qui est celle de l'apprentissage du langage). Pour Gehlen, un tel mouvement est "intelligent", et il remarque que la spontanéité est liée à la réceptivité dans l'expérience de la parole comme dans l'expérience tactile:
"Il existe donc une communication purement sensible dans le fait d'entendre, de répéter, de réentendre et de transformer des sons émis par soi ou de provenance étrangère, qui dirige sans qu'on le remarque l'articulation des sons chez l'enfant. C'est ce que j'appelle "la vie de la parole", un processus où la capacité de parler s'élabore elle-même par la communication sensible; on ne trouve de parallèle à cette situation que dans l'univers tactile, où il existe aussi des processus qui doivent être élaborés progressivement par une spontanéité amalgamée au monde extérieur, et où la communication sensible est également possible. Ce fut d'ailleurs là le chemin de la parole pour Helen Keller, sourde-muette." (45)
Comment le jugement, puisque c'est principalement de lui dont il est question, peut-il se développer à partir de la communication sensible? On peut le définir comme l'acte de penser vrai ce qui est dit pour pouvoir se dire. Ce qui distingue le jugement de la proposition est que le locuteur peut dire qu'il doit s'identifier au vrai pour pouvoir exprimer son jugement. Même si tout jugement est en ce sens un jugement théorique, il n'est pas dissociable de la réalité des actes de langage, qui implique toujours une communauté de locuteurs. Ce sont justement les jugements de tout un chacun qui doivent être pensés vrais pour pouvoir se dire, que nous soyons d'accord avec eux ou pas. L'identification qui est à la base du jugement est "primitive" car elle a lieu, que nous le voulions ou pas, que cela nous arrange ou pas. Mais on peut aussi s'étonner de cette identification totale au vrai et y reconnaître la manière dont l'homme se fait vivre au moyen du langage uniquement en se donnant les moyens théoriques de le faire: "Toute pratique communicationnelle doit produire ce que Rorty suppose déjà justement opéré dans toute pratique verbale, ce qu'il se contente en bon behavioriste de constater précisément comme un fait de théorie: que l'homme soit langage, que le langage soit la caractéristique de l'homme. Il nous faut être ici plus puriste que le pragmaticien le plus puriste: l'homme ne se fait cette réalité de langage qu'en s'y reconnaissant comme tel dans toute énonciation, qu'en s'y produisant et en s'y reconnaissant identifié à la vérité de ce qu'il dit, qu'en s'y faisant l'être théorique qui ne peut parler qu'en produisant la vérité de ce qu'il dit et la reconnaissance commune de cette vérité." (46)
SECTION 3: LA GRAMMAIRE DU VRAI
Le langage a-t-il besoin de la grammaire pour nous faire vivre? Celle-ci se limite à l'examen des concepts et des jeux de langage, sans avoir besoin de prendre en considération quelque "expérience" que ce soit. Pourtant, Gehlen et Poulain placent à la racine du langage une expérience de communication sensible à partir de laquelle il est possible de considérer la grammaire sous un nouveau jour. L'expérience de base consiste non pas à recevoir passivement des impressions, mais à se projeter dans les centres d'excitations pour se déterminer à partir de là. Dans les faits, c'est là une expérience qui s'avère souvent pénible, et ceux qui doivent la subir font tout ce qu'il peuvent pour se ménager une certaine sécurité. C'est ainsi que l'oeil peut anticiper les résultats du toucher, et permettre à la main d'éviter une expérience malheureuse. Quant au langage, il présente comme le toucher une structure de communication (le son produit et/ou entendu n'est pas seulement reçu mais il se transforme en motivation pour une nouvelle énonciation), et il joue par rapport au corps propre qui est une surface sensible à la grandeur, le rôle que l'oeil jouait par rapport à la main, en médiatisant tout contact immédiat avec les choses. Comment la grammaire s'intègre-t-elle à ce tableau? Comme l'oeil du langage, qui supervise d'en haut la vie de la parole dans les différents jeux de langage en supervisant ses règles? Mais le langage a d'abord besoin d'une "main" qui fouille dans les jeux de langage pour repérer ceux qui ont le plus de pertinence pour les autres. D'ailleurs, est-ce vraiment la grammaire qui établit les règles d'un jeu de langage? La grammaire peut nous permettre d'établir si on a affaire à une règle, mais celle-ci doit d'abord être trouvée. Comme dit Wittgenstein, "le jeu de langage est imprévisible". La grammaire a beau être a priori, elle n'est donc pas première et c'est avec ce qui la précède qu'elle doit se confronter tout autant qu'avec ce qui la suit.
Dans son ouvrage intitulé De la certitude, Wittgenstein questionne la foi aveugle que nous mettons dans certaines propositions, qui ne sont pas seulement des propositions de la logique, mais qui peuvent avoir la forme de propositions empiriques. Il se pourrait que la grammaire soit précédée par quelque chose de beaucoup plus primitif, qu'elle ignore mais qui n'en continue pas moins de la déterminer jusque dans cette ignorance. Certes, la philosophie ne doit pas être basée sur une expérience; nulle découverte de faits nouveaux ne devrait pouvoir l'influencer (47). Mais Wittgenstein anticipait déjà que le langage (ce qui implique également la grammaire) n'est pas issu d'un raisonnement, et la section précédente a cherché à creuser cet espace d'avant le langage, alors qu'il s'articule dans les mouvements du corps propre avant de s'articuler comme parole. Au niveau du langage articulé qui est celui de la proposition, Poulain a montré qu'il faut la penser vraie pour pouvoir la dire, mettant ainsi le doigt sur l'expérience d'identification au tiers-vérité qui est à la base du langage (et non plus seulement de la vie de la parole). Le fait que les règles grammaticales soient parfaitement indifférentes à la réalité (par ex. la vérité de la proposition 7 + 5 = 12 ne dépend pas du fait que l'on compte des prunes; en réalité, il n'y a pas quatre couleurs primaires, etc.), tout en permettant de la déterminer d'une certaine façon pourrait s'expliquer par cette identification primitive au vrai, même si Wittgenstein affirmait pouvoir se passer de toute explication. Toutefois, si la grammaire doit s'identifier au vrai pour pouvoir se dire, elle se retrouve sur le même pied que la proposition, et on n'a plus à se surprendre que la première ne puisse fournir aucune justification à la seconde. Dans ces conditions, quel pourra être le contenu d'une grammaire philosophique? Cette grammaire ne saurait se contenter d'une approche logique, comme la logique superficielle, mais elle va se laisser déterminer par le jugement dont elle prétend fixer le concept, elle va se laisser régler par ce dont elle prétend énoncer les règles d'usage.
SECTION 3.1: LA PERTINENCE DE LA CRITIQUE HABERMASSIENNE DE WITTGENSTEIN
Selon Habermas, "Wittgenstein privilégie certes le modèle du jeu d'échecs pour expliquer les règles qui président aux opérations. Mais il ne voit pas que ce modèle n'a qu'une valeur limitée. Nous pouvons certes voir dans le fait de compter ou de parler une pratique constituée par les règles d'arithmétique ou de grammaire, de la même manière que la pratique du jeu d'échecs est constituée par les règles que nous en connaissons. Mais ces deux moments se distinguent l'un de l'autre comme le mouvement de bras accompagnant une action se distingue d'un exercice de gymnastique exécuté à l'aide de ce même mouvement." (48) Dans la foulée de cette remarque, Habermas oppose les règles grammaticales aux règles d'actions, affirmant que si on ne peut expliquer ou justifier le fait qu'un élève doive poursuivre la série numérique d'une certaine façon, c'est parce qu'on a affaire à une règle d'opération: "Les opérations n'affectent pas le monde." Mais comment se contenter de la réponse suivante à la question de savoir pourquoi l'élève a effectué telle ou telle opération: "un élève a utilisé ce papier pour résoudre un devoir de mathématiques"? L'élève ne peut continuer la série sans utiliser son jugement; on ne peut donc pas dire que ce qu'il fait n'est pas justifié, comme s'il obtenait ses résultats par hasard.
Ce que Habermas reproche à Wittgenstein est de ne pas voir "pourquoi les actes d'intercompréhension, constitutifs pour l'activité communicationnelle, ne peuvent être analysés de la même manière que les propositions grammaticales à l'aide desquelles il sont produits." (49) Or ce qui distingue les remarques grammaticales de Wittgenstein de véritables actes de communication est le fait que leur validité ne saurait faire l'objet d'une discussion (de la même manière, il était dit dans la préface au Tractatus que ce livre ne contient que des vérités définitives). En ce sens, le modèle de Wittgenstein serait "monologique" plutôt que "dialogique". Mais les propositions grammaticales (et toutes les règles de transformation) pourraient bien être le lieu de l'identification la plus étroite entre locuteurs. Au lieu d'être simplement les "règles" au moyen desquelles nous construisons des propositions qui ont un sens et qui nous servent à communiquer, les propositions grammaticales seraient la seule chose sur laquelle nous puissions vraiment nous entendre. La grammaire perd ainsi la neutralité qu'elle avait acquise à la faveur de la distinction entre propositions grammaticales et empiriques, mais elle réintègre le circuit des interactions entre locuteurs. Habermas a certes raison d'affirmer que "l'intercompréhension suppose que les parties prenantes de l'interaction s'accordent sur la validité de leurs expressions, i.e. reconnaissent intersubjectivement les prétentions à la validité qu'ils élèvent réciproquement." (50) Mais la grammaire est aussi le lieu de cette identification au langage et à la vérité.
Pourtant, la grammaire est "irréflexive" si on ne sait pas pourquoi on suit une règle, si on peut seulement donner des raisons extérieures pour expliquer le comportement conforme à la règle. Elle souffre d'une certaine cécité qui lui fait privilégier certaines possibilités au détriment des autres. Dans la mesure où Wittgenstein était conscient de la situation, il portait un jugement sur la grammaire au moment même où il s'en faisait l'avocat. Si la grammaire est l'oeil (myope) du langage, le jugement en est la main, qui fixe les énoncés grammaticaux de la manière la plus sûre. Les remarques grammaticales de Wittgenstein sont donc réfléchies dans le jugement de leur auteur, et la grammaire accède ainsi à un statut réflexif. Par contre, lorsque Habermas affirme que le consensus porte sur la validité des expressions utilisées par les locuteurs et sur la validité des prétentions à la vérité qu'ils émettent, son affirmation est "irréflexive": la vérité est présupposée sans être le moins du monde fondée suivant ce qu'on appelle communément être vrai et qui est ce sur quoi on arrive à s'entendre. La vérité se retrouve ainsi dans la position du Tiers, elle peut être mise entre parenthèses et la grammaire habermassienne se concentrer uniquement sur le sens des expressions. Toute philosophie se limite-t-elle donc à la grammaire? Celle-ci ne peut se "réfléchir" sans prendre conscience de ses limites, ce qui implique qu'elle se trouve "dépassée". Toutefois, si on se contente d'opérer ce dépassement en opposant aux règles grammaticales le caractère imprévisible du jeu de langage, on ne fait qu'échanger une forme d'ignorance pour une autre: de même que la grammaire ne saurait dire pourquoi le langage est primordial, on ne saurait dire pourquoi les règles d'action ont une primauté sur les règles d'opération.
Qu'est-ce qui est nécessaire à un moyen de communication primitif? Il faut être très peu conscient du caractère primitif du langage pour avoir l'idée de nommer la grammaire et ses règles en premier, même s'il est évident qu'elles sont nécessaires pour qu'on puisse parler de langage articulé. L'expérience de la communication est d'abord une expérience d'identification à l'autre, qu'on s'accorde ou qu'on s'interdit. Mais cette identification à l'autre dans la communication par le langage n'est pas non plus première s'il est vrai, comme tout le monde s'entend pour le dire, que les premiers hommes manifestaient plus d'agressivité les uns envers les autres que ne le feraient normalement des êtres dits civilisés. Le seul moyen de dépasser l'opposition de base entre les êtres humains aurait été d'unir chacun d'eux à un Tiers. Celui-ci peut être un animal-totem, mais il peut aussi être un dieu, et c'est finalement le langage qui s'octroie la mainmise en revendiquant une relation privilégiée avec la vérité. Est-ce que ce ne sont pas les propositions seules qui peuvent être dites vraies ou fausses? Certes, on a là un odieux pléonasme mais il n'est pas tautologique de reconnaître que le langage a un caractère public; le langage privé étant une impossibilité logique, nous communiquons dès lors que nous parlons (et le langage ne sert pas uniquement à communiquer) et le tiers-vérité est en fait un tiers-langage qui nous incline à inverser la direction pulsionnelle qui nous oppose à tout autre.
Comme le reconnaît Habermas, le consensus se fait sur le vrai. Mais encore faut-il que la vérité soit reconnue comme telle. C'est ici qu'intervient le jugement. Il a été défini plus haut comme l'acte de penser vraie une proposition pour pouvoir la dire. Tout jugement serait ainsi un jugement de vérité: le jugement objectif est aussi objectif qu'il a dû se penser l'être pour pouvoir se penser vrai, le jugement analytique est aussi vrai qu'il a dû se penser l'être sans faire intervenir autre chose que le rapport entre les concepts, le jugement synthétique est aussi a priori ou a posteriori qu'il a dû l'être pour être rapporté aux conditions de son usage dans l'expérience ou à celles de son existence par les facultés de la raison pure, le jugement intersubjectif de goût est aussi commun qu'il a dû se communiquer pour pouvoir se penser vrai, de même pour le jugement moral, le jugement politique, etc. On pourrait penser que la définition du jugement objectif donnée ci-dessus ne tient pas compte du caractère indépendant de l'objectivité par rapport à toute subjectivité pensante. Pourtant, comme l'expérience tactile (et toute autre forme de communication sensible) fait coïncider la conscience de soi avec l'étrangéisation dans l'objet, un jugement est dit "objectif" au moment même où il est pensé vrai: "La proposition ne permet la comparaison entre elle-même et la réalité objective que par le détour de la comparaison entre cette réalité objectivée et l'objectivité de l'affirmation: "il y a maintenant une affirmation". L'affirmation, dans cette mesure, est irréductible à un fait." (51) Et comme "penser vrai" ne saurait être compris dans la tradition moderne du Je pense cartésien, on doit préciser qu'on a affaire à un acte de la conscience qui se réfléchit dans la communication: "Attribuer le prédicat de vérité à une proposition, c'est, en même temps, une détermination de la relation de soi à autrui." (52)
Habermas place plus volontiers la réflexion dans la communication que dans la conscience, et s'il s'intéresse au langage, ce n'est "que du point de vue pragmatique sous lequel les locuteurs instaurent des rapports au monde en employant des phrases en vue de l'intercompréhension." (53) Habermas refuse qu'on assimile action et communication (sans doute pour éviter le reproche de logocentrisme), mais il assimile la communication à l'interaction sans parvenir à nous convaincre que d'une chose: il ne peut pas ne pas penser vrai que le langage ayant un caractère "public", il doit être décrit comme un agir social. Mais c'est là uniquement une conséquence tirée de la proposition de Wittgenstein, qui la considérait lui-même uniquement comme une remarque grammaticale. Les prises de position sociologiques de Habermas doivent donc être "réfléchies", non seulement au niveau des actes communicationnels, mais également au niveau de l'acte de langage lui-même: "en campant la relation de l'énonciateur face à son interlocuteur ou à son auditoire, l'énonciation produit l'auto-identification prédicative de l'énonciateur à l'action par exemple de promettre aussi bien que l'aptitude de l'interlocuteur à identifier cet énonciateur comme étant celui qui ici et maintenant promet." (54)
On peut situer dans l'agir social la vérité des actes de communication, sans cesser de considérer le jeu de langage comme le phénomène primordial, et la réflexivité comme la pierre d'angle de cette "construction". Les limites respectives du point de vue de la communication et de la grammaire ont été repérées dans le caractère imprévisible des jeux de langage et dans l'irréflexivité de la grammaire. Seule la faculté de juger peut mettre un terme à toute cette irréflexivité et à cette indécision. Mais cette faculté n'est pas infaillible et elle se fatigue facilement; elle a donc besoin des "béquilles de l'entendement", les exemples et du corset de la grammaire pour maîtriser la communication, cette "concentration d'énergie non liée, sans lien de principe à des objets, même si elle ne peut se développer qu'à travers les surfaces d'illocutions et les charges qu'elle a investies dans les différents éléments de la situation de parole." (55)
SECTION 3.2: CONNEXIONS ANALYTIQUES ET SYNTHÉTIQUES AUTOUR DU CONCEPT DE JUGEMENT
Une grammaire du jugement doit s'en tenir aux connexions que ce concept entretient avec d'autres (dont celui de "grammaire", mais au même titre que les autres concepts). Le jugement a été rapporté par Wittgenstein à l'accord de ceux qui le partagent plutôt qu'à l'unité de la pensée de celui qui le pense. Mais il a ainsi uniquement souligné la connexion du concept de jugement avec un autre concept, celui d'accord transsubjectif. Pour Wittgenstein, tous les jugements pourraient aussi bien commencer par "je", mais ce qui importe est que l'interlocuteur ne limite pas les propos qui sont tenus au "je" qui les énonce. Kant a saisi le problème dans l'expression d'"unité objective de l'aperception", sans le relier au langage, qui rend nécessaire la communication avec les autres en rendant possible la communication avec soi. De quelle façon? On apprend le langage en s'écoutant parler. Comme dit M. Dufrenne, "entendre à certains égards compte moins que s'entendre". (56)Pourtant, on peut parler sans "s'écouter parler", le langage est irréflexif dans l'action comme n'importe quel acte; mais si on n'a pas "réfléchi" ses paroles, on n'a pas vraiment "jugé". Il faut donc commencer par mettre le concept de jugement en connexion avec ceux de réflexion et de communication.
Ce qui s'appelle ordinairement "juger" est par ex. trancher un cas litigieux, décider entre plusieurs alternatives, s'engager ou refuser de le faire, etc. On a également les cas où un philosophe (Platon, Descartes, Heidegger) a manqué de "jugement politique"... Dans tous ces jeux de langage, juger résulte d'une confrontation avec les choses ou avec les autres, qui est rendue nécessaire par la structure même du jugement comme acte de langage: au moment où il s'énonce, le jugement est reçu (serait-ce uniquement par l'oreille interne), corrigé, évalué, rejeté ou accepté, etc. Cette dualité du jugement n'est pas celle du sujet et de l'objet, mais bien celle qui caractérise l'émission-réception phono-auditive. On ne dira donc pas qu'un sujet doit appliquer son "jugement" aux objets, mais que le jugement est indissociablement l'acte d'unir le sujet de l'énonciation au prédicat d'action, et la reconnaissance du bien-fondé de cette identification. Le jugement se communique en se jugeant, et cette expression de "communication" ne s'applique pas seulement aux autres mais également à soi, s'il est vrai qu'il faut pouvoir "entendre" son propre jugement pour pouvoir l'énoncer. On pourrait souligner le mot "pouvoir", pour éviter qu'on associe le jugement à une réflexion consciente, comme on a associé la proposition à la représentation actuelle d'images. Comme l'a montré Wittgenstein, on n'a pas besoin de postuler de tels processus pour rendre compte du langage. À la lumière d'une citation de Gehlen, on peut cependant se demander si le jugement est plus proche de l'action ou de la réflexion?
"Dans l'accomplissement de l'action qui ne présente aucun caractère problématique, on ne peut pas agir et réfléchir en même temps, mais seulement intuitionner (anschauen) son action." (57)
Comme "pensée", le jugement est apparenté à la réflexion mais comme "acte de langage", il est apparenté à l'action. On pourrait multiplier les rapprochements de surface, mais plus intéressant est de se demander quelles connexions le concept de jugement peut avoir avec celui d'intuition? Puisqu'on pose cette question dans le cadre d'une grammaire, on s'intéresse à ce qui s'appelle ici "intuition". Est-ce déjà l'"action"? Est-ce qu'on "intuitionne" son action dans le jugement? Le jeu de langage de l'anthropobiologie vient renforcer cette dernière interprétation: le jugement est l'acte de penser vrai ce que dit une proposition sans pouvoir s'en détacher, "le temps du jugement" (même si on doit également pouvoir prendre ses distances par rapport à toute identification qui n'est plus valable). Le caractère "intuitif" du jugement expliquerait qu'on puisse être surpris d'entendre ses propres paroles, sur des sujets qu'on croyait avoir parcouru en tout sens, comme un éducateur peut être amené à en faire l'expérience. Cette surprise est semblable à celle de l'enfant qui contemplait ses doigts: elle suppose une prise de conscience instantanée qui présuppose elle-même que les mouvements faits apparemment sans réflexion et sans conscience étaient "dirigés sans qu'on le remarque". Naturellement, Wittgenstein se serait opposé à ce qu'on transpose purement et simplement le jeu de langage anthropobiologique en grammaire. D'un autre côté, celui qui a dit que "la grammaire est la phénoménologie" ne saurait s'opposer à ce qu'une certaine "phénoménologie" soit "grammaticale". Tous les mots mis entre guillemets auraient besoin d'être élucidés; mais c'est surtout l'"expérience" du jugement qui est en attente de précisions et d'éclaircissements. Il ne s'agit tout de même pas d'une expérience narcissique comparable à celle du nourrisson! Et qu'est-ce qui peut faire la différence entre ces différentes "expériences" sinon l'intervention active des autres dans le jeu de langage? Pourtant, qu'est-ce que communiquer, sinon une "communication avec soi" passant par une "communication avec les autres", ou l'inverse? Le jugement se ressent inévitablement de cette situation bigarrée de la communication, et c'est pourquoi on ne peut le définir en termes "communautaires" sans réussir à effacer complètement l'impression qu'on a d'escamoter ainsi quelque chose.
Les connexions du jugement avec les concepts de réflexion, de communication ou d'action, dans la mesure où elles se limitent mutuellement, permettent d'éviter quelques erreurs: le jugement ne saurait être uniquement le fruit de la réflexion, puisque celle-ci se "réfléchit" aussi bien dans la communication que dans la pensée; pourtant, le jugement n'est pas fondé sur le consensus, si celui-ci est incapable de lui servir de fondement; et finalement, si le jugement n'était qu'un acte, il serait irréflexif. Le résultat de ces connexions "analytiques" reste négatif et ne nous permet pas de faire avancer la question du jugement. Il en va autrement de la connexion du jugement avec la vérité, qui dépasse le contenu des concepts. Il s'agit là de tout autre chose que de dire que seule la proposition est susceptible d'être vraie ou fausse. Cette dernière affirmation est analytique, mais dire que le jugement doit être pensé vrai est une proposition synthétique (a priori). Certes, on ne peut employer l'expression "synthétique a priori" sans que surgisse la question: "comment est-ce possible?", mais il ne faut pas chercher de tertium quid hors de ce qui est dit et qui est que le jugement présuppose la vérité et est présupposé par elle. Cette présupposition mutuelle soustrait le jugement au mouvement de balancier perpétuel qui affecte la proposition qui doit toujours présupposer la possibilité de sa propre fausseté (il s'agit de la proposition telle qu'elle est vue par les yeux du logicien ou ceux de la pensée sociologique et non de la proposition "ordinaire", qui doit être pensée vraie pour pouvoir se dire), mais on peut se demander ce que la vérité y gagne?
Les Aufklärer de toutes tendances répètent qu'il n'y a pas de vérité absolue mais seulement relative; les fanatiques pensent au contraire pouvoir "posséder" la vérité, et il y a ceux pour qui "la vérité n'est pas de ce monde". Toutes ces conceptions sont erronées parce qu'elles ne dérivent pas leur concept de vérité du jeu de langage primitif. Au contraire, il est "primitif" de dire qu'il faut penser vraie une proposition pour pouvoir la dire, même si cette identification à la vérité est censée nous libérer de toutes les identifications primitives. Avant le jugement, c'est le langage qui est primitif, et on peut dire qu'il repasse par cet état à chaque fois qu'un enfant apprend progressivement à parler. Mais si le langage est ainsi "primitif", tout ce qui fait partie du langage doit préserver ce caractère, non comme un "inconscient" derrière la conscience, au contraire comme ce par rapport à quoi le langage prend ses distances (58). Il suffit d'analyser l'expression de "penser vrai" pour voir qu'elle nous lance dans deux directions opposées: celle de l'identification primitive (penser-vrai) et celle de la pensée, de la rationalité, en un mot de la vérité. Analytiquement, ces deux voies s'opposent, mais elles forment une synthèse dans le jugement: celui-ci consiste en une identification primitive et en une reconnaissance de la justesse de cette identification, ce qui est une manière de placer la première identification sous une égide supérieure. Il n'y a donc pas deux identifications mais une seule, qui est "maîtrisée". On évite de retomber dans le dualisme kantien du concept et de l'intuition qui lui est soumise, de la sensibilité et de l'entendement, en mettant l'accent sur le résultat du jugement plutôt que sur son analyse.
Le meilleur exemple qu'on puisse donner est celui du jugement qui se définit comme l'acte de penser vraie une proposition pour pouvoir la penser et la dire. Cette nouvelle définition du jugement le place sous l'égide du concept de vérité (qu'on appelle aussi parfois la "loi de vérité"). Or au lieu de justifier cette soumission du jugement au concept de vérité qui n'est pas uniquement une connexion analytique mais synthétique, Poulain se contente de la rendre effective. Cette identification du jugement à la vérité serait la manière dont on peut se faire vivre par le langage. On n'a pas affaire ici à un nouveau rationalisme, même si Poulain a cherché à renverser le primat de la raison pratique au profit de la raison théorique (alors que Wittgenstein rejetait toute forme de théorie). Wittgenstein, Gehlen et Poulain nous permettent de reconnaître que toutes les identifications primitives communes ont lieu dans le langage, qui est tout à la fois ce qui les rend possibles et ce qui rend possible que nous y adhérions par la simple "magie" du langage. Le premier nous fixe sur le langage en nous invitant à renoncer aux représentations "primitives" que nous en avons (penser par ex. qu'il doive correspondre quelque chose à chaque mot), le second dévoile en toute netteté le caractère primitif ou "instinctif" du langage (déjà soupçonné par Wittgenstein) et le troisième replace le concept de langage dans l'axe du concept de vérité en soumettant le jugement à la loi de vérité. Cette loi est aussi répétitive qu'un mouvement primitif: avoir à penser vraie une proposition pour pouvoir la penser ou la dire. Ce serait là ce qui s'appelle langage, ce qui s'appelle juger, sans qu'on ait besoin de faire appel à une autre faculté que celle de répéter les sons entendus en y prenant conscience de soi. Ce serait même là le seul moyen de mettre réellement fin à l'asymétrie entre locuteur et allocutaire.
SECTION 3.3: CONCLUSION
Sans prétendre pouvoir présenter une généalogie du concept de vérité comme Gehlen l'a fait pour le langage, on a essayé de rapprocher la grammaire du concept de vérité de celle du jugement. On a vu que Habermas lui-même était prêt à reconnaître au jugement une "prétention à la vérité". La vérité est donc inscrite dans le jeu de langage du jugement, et il reste seulement à préciser le rôle qui lui est dévolu par son appartenance au langage.
Dans le jeu de langage primitif, le vivant humain ne se contente pas d'associer ses plaisirs et ses douleurs à des centres de réalité, mais il fait de ces centres d'intensité des "choses" étrangères à lui. Le langage, objet de plaisir dans le babil solipsiste, se transfère ainsi aux objets qui acquièrent une réalité indépendante de lui. Ce jeu de langage primitif n'est-il pas voué à l'illusion? Les choses parlent, le monde bruit, sans que le locuteur prenne conscience de l'illusion qu'il produit en parlant. Mais s'agit-il vraiment d'une illusion? L'envers de l'illusion est la spécificité de la condition humaine: le vivant humain n'a pas de programme qui le relie a priori à son monde; le seul substitut d'un tel programme est le langage, et celui-ci ne décrit pas la réalité mais seulement d'autres jeux de langage, comme Wittgenstein l'a montré. La question transcendantale ne serait pas celle de savoir comment le langage est relié à la réalité mais comment il se produit lui-même; on sait qu'il doit se prendre pour objet (dans l'écoute) pour pouvoir se communiquer, mais cette écoute rend-elle effectivement possible le langage?
L'expérience de l'aphasie fut pour un philosophe (59) l'occasion de se convaincre que les "concepts" peuvent exister sans le langage (il pouvait par ex. avoir le concept de sa femme - ou de lui-même - sans se rappeler leurs noms). Chez l'aphasique, le langage est "endormi": le patient ne doit pas "réapprendre" le langage mais seulement le "reconstruire". Mais l'appareil conceptuel, les "contenus sémantiques" que l'aphasique conserve malgré tout appartiennent aussi au langage. L'expérience ne tend pas à démontrer que les concepts précèdent le langage, mais seulement qu'il peuvent exister indépendamment de toute activité linguistique (60) (parler, écrire ou lire; mais on peut regarder la TV, ce qui ne prouve rien, évidemment). On a là un jeu de langage où le langage existe en un sens suffisamment clair (puisqu'il est question de "concepts" et non d'"idées"), sans exister dans la communication. Il est d'autant plus remarquable qu'Alexander indique clairement que pour l'aphasique, la bataille se joue presqu'exclusivement au niveau de la communication. Ainsi, le thérapeute, qui ignore souvent l'état réel du patient, peut compromettre ses chances de guérison.
Le jeu de langage de l'aphasique est un exemple d'entente (celle des concepts) qui ne va pas jusqu'au langage. Est-ce simplement le niveau linguistique qui se trouve déconstruit? A-t-on là une indication que l'application du concept de langage va bien au-delà du linguistique? Au lieu de s'attarder à ces questions controversées, on reviendra sur les conceptions du langage qui ont été exploitées dans ce chapitre, et d'abord celle de l'interprétation communautaire; de son point de vue, tout ce que l'aphasique doit retrouver c'est sa capacité de communiquer, car c'est là le seul niveau auquel il est possible de tester les progrès du patient. Mais les limites de ce point de vue sont faciles à mettre en évidence: même si on peut communiquer avec l'aphasique à un niveau très élémentaire (celui des "flash cards" et des exercices lacunaires), s'il se sent déprécié par le niveau des exercices, la thérapie n'avancera pas, à moins bien sûr que le malade ne décide de prendre sa guérison en mains. Ce volontarisme peut-il exister indépendamment du langage? Il faut rappeler que l'aphasique a déjà possédé le langage: il n'aurait pu acquérir le concept de volonté sans passer par le jeu de langage, mais il semble clair qu'on peut perdre tout rapport au langage sans perdre sa volonté. C'est depuis l'écoute des concepts qu'il a conservée que l'aphasique peut retrouver le chemin du langage: ni la grammaire, ni la communication ne peuvent restaurer à elles seules le langage qui a été "déconstruit" sans être détruit. En d'autres termes, l'aphasique doit penser vrais ses concepts pour redevenir un "locuteur": c'est sa propre parole qu'il veut entendre et non celle des autres et dans ce but, il doit se fixer sur les contenus sémantiques dont il a perdu l'usage (mais non le concept). Mais ce faisant, l'aphasique manque de répéter la parole superficielle du véritable locuteur, qui ne manque pas d'enregistrer l'absence de progrès!
Si aucune des trois théories examinées (l'interprétation communautaire, la grammaire et le "penser vrai") ne semble pouvoir venir à bout du problème de l'aphasique, c'est probablement parce qu'elles ont été conçues en fonction du cas normal plutôt que de l'exception que constitue la maladie. Si on présuppose le langage, chacune d'entre elles revendique une pertinence indépendamment des deux autres, mais lorsque le langage est déconstruit par une attaque cérébrale, leurs limites respectives sont mises en évidence et nous empêchent de voir comment l'aphasique pourrait se remettre à parler. Puisque le philosophe aphasique revendique la possession des concepts, il est naturel de lui reconnaître une grammaire; à lui la charge de montrer comment elle est possible sans présupposer le langage. Clairement, elle ne saurait l'être, et c'est l'occasion de rappeler que l'aphasique est déjà passé par le langage: les concepts qu'Alexander s'attribue n'ont pas d'autre origine que ceux qu'il pourrait attribuer à un être normal (en ce sens, son expérience ne prouve rien en ce qui a trait à l'existence des concepts complètement en dehors du langage). Et qu'est-ce que l'aphasique a perdu, si ce n'est la capacité de communiquer? On pense tenir la solution du problème, mais il manque encore le chemin qui mène à la solution: on peut parvenir à "communiquer" avec l'aphasique sans qu'il retrouve son libre accès aux jeux de langage. La dernière interprétation en liste affirme que l'aphasique doit penser vrais ses concepts pour pouvoir les communiquer. Mais le problème n'est-il pas justement que l'aphasique peut penser sans pouvoir communiquer?
Le jeu de langage de l'aphasique montre que le "penser vrai" ne doit pas être valable uniquement pour le sujet, mais qu'il doit également être possible objectivement. Du côté du sujet, "penser vrai" se rattache à l'écoute et à la conscience. Or si celles-ci sont nécessaires à l'individu normal pour pouvoir parler, elles subsistent chez l'aphasique sans qu'il puisse le faire. Ce que le jeu de langage nous démontre est que le "penser vrai" n'est pas une condition suffisante du langage. L'individu normal ne peut lui-même se contenter de "penser vrai", mais il doit continuer de penser vrai. Cette persévérance de la pensée s'appuie sur la condition subjective du temps, mais elle doit surtout se communiquer pour pouvoir durer. Comme dit Heidegger, l'homme est un être-au-monde. Et le langage est tourné vers l'extérieur. Toutefois, le jeu de langage de l'aphasique (où le langage ou ce qu'il en reste est plutôt tourné vers l'intérieur), nous montre également que la communication à elle seule ne suffit pas pour faire parler: il faut lui faire penser vrai ce qu'on veut lui faire dire pour arriver à le lui faire dire. Penser vrai est donc au moins une condition nécessaire du langage, qui précède même l'activité communicationnelle. Sauf chez l'aphasique, cet ordre de préséance n'est pas chronologique mais logique. Il n'y aurait pas de sens à dire que le petit enfant doit penser vrai avant de pouvoir apprendre à parler; il doit seulement pouvoir penser vrai pour pouvoir parler. Le jeu de langage est un jeu de vérité.
On trouve quelqu'appui pour cette conception chez un analysé de Lacan et chez le poète Gaston Miron. Dans Une saison chez Lacan, Pierre Rey écrit:
"En me disant lors de notre première rencontre qu'il avait une amie dans le journal où je travaillais - ce qui était faux - Lacan ne m'avait menti que pour mieux faire jaillir un effet de vérité - savoir si j'étais moi-même un menteur.
En revanche, par la nature même de son contenu et de son contenant, tout mensonge n'étant que le point focal du lieu où la vérité se manifeste, lui mentir de mon côté eût équivalu, quand je "résistais", à ce que fût dévoilé trop vite ce que je n'étais pas prêt à entendre. Autrement dit, je ne pouvais me mentir à moi-même qu'en disant vrai, le "vrai" n'étant qu'une défense supplémentaire pour refouler les révélations prématurées que j'aurais pu arracher à mon inconscient.
On voit comment, par le biais de ce renversement logique, lui eussé-je menti, j'aurais dit aussi vrai que si j'avais dit faux.
- Dans les deux cas, quoi que je dise, du moment que je parle, il y a immanquablement effet de vérité.
Approbation de Lacan.
- Même et surtout quand je mens?
Visage neutre...
- Sans mentir, je suis donc en droit d'affirmer que tout ce que je dis est vrai du seul fait que je le dise.
Concentration, puis:
- C'est un paradoxe que je ne puis accepter." (61)
Quant à Gaston Miron, il soutenait: "Je suis un naïf des mots. Je lis mot à mot. J'écris mot à mot. Je ne puis tout simplement pas croire que les mots ne puissent dire vrai, même <et surtout, dirait Pierre Rey> quand il s'agit du mentir vrai." (62) En d'autres termes, il faut penser vrai pour "mentir" aussi bien que pour "dire la vérité". Cette situation paradoxale s'exprime anthropologiquement par l'absence de corrélations nécessaires à un environnement spécifique, compensée par une identification à la vérité rendue possible par le langage. Nous serions liés à la vérité par le langage de manière tout aussi nécessaire qu'il serait nécessaire que nous soyons liés à la réalité (avec ou sans le langage), ce qui nous donnerait droit à un "monde" (Welt) sinon à un "environnement" (Umwelt). Or si le monde est "l'ensemble des faits et non la totalité des choses" (Tractatus), il est surtout ce qui est inexprimable en dehors du langage; le jeu de langage est aussi un jeu "public" et c'est pourquoi la manière dont on peut se représenter les choses "pour les autres" prévaut sur la manière dont on se les représente individuellement. Le jeu de langage de l'aphasique nous a permis d'ausculter le penser vrai au niveau individuel. Mais le jeu de langage du "penser vrai", pas plus qu'aucun autre jeu de langage, ne saurait être "privé". Or le seul moyen d'atteindre la sphère publique est de passer par la grammaire et les règles. Et grammaire = institution = instinct. Comment échapper à l'équation paralysante?
Une fois de plus, il faut inverser la direction des pulsions: la pulsion de vérité qui est au coeur du langage et qui fait de lui une forme de vie est inscrite dans la grammaire du jugement comme désir de vérité. Et ce désir est tel qu'il ne suffit pas qu'une proposition soit pensée vraie (déduction subjective), mais qu'elle doit être aussi vraie qu'on a dû la penser vraie pour pouvoir l'énoncer (déduction objective). Mais comment obtient-on la déduction objective? A cet égard, l'interprétation communautaire se situe dans le prolongement de l'idéalisme transcendantal: il plaçait les conditions subjectives à la racine des conditions objectives, elle soumet les conditions subjectives aux conditions transsubjectives qui restent aussi "pures" et "transcendantales" que les premières. On ne dit jamais pourquoi l'interprétation communautaire est préférable à toute autre: tout le monde s'entend pour entonner ce nouveau credo, mais le manque de justification se fait parfois cruellement sentir. Wittgenstein a cherché à inscrire l'interprétation communautaire dans la grammaire, en montrant que le langage a un caractère "public" ou "civil". Au lieu de poursuivre dans la direction de cette grammaire, Habermas a suivi l'intuition de la sociologie, alors que Apel est venu compléter cette "philosophie sociologique" par une "pragmatique transcendantale" héritée de Peirce. Mais Habermas, Apel et consorts sont des "post-wittgensteiniens" qui n'ont pas plus respecté les limites imposées par leur devancier que les postkantiens n'ont respecté les limites de l'expérience possible, s'empressant au contraire de faire du moi une chose en soi ou de s'identifier à l'absolu. Et de même que les postkantiens ne sont pas parvenus à aller plus loin que Hegel, "la mort de l'art" et de la philosophie, la pragmatique philosophique (même si on peut dire qu'elle mène plus loin que Wittgenstein certaines de ses intuitions), en abandonnant le fil conducteur de la grammaire pour s'identifier complètement à l'expérience commune, oublie que le langage est peut-être responsable de cette expérience comme des autres.
On peut placer l'essentiel du jugement dans l'objectivité ou le situer plutôt à un niveau transsubjectif, la grammaire du jugement reste parfaitement indifférente au partage des pouvoirs entre sémantique et pragmatique: on doit pouvoir penser vrai pour pouvoir juger (objectivement) et on doit juger (dans un contexte de discussion) pour pouvoir penser vrai. Dire que le concept de vérité et le recours à la discussion sont ainsi liés dans la grammaire du jugement, c'est dire que celui-ci est d'abord et avant tout un acte de langage. Quelle sorte d'"acte"? Notre petit excursus anthropologique nous a appris que le langage est comparable dans son fonctionnement aux actes de communication sensible, où l'autre est reconnu comme autre que soi à la faveur d'une identification, un toucher par ex. Dans la communication sensible, la communication avec les choses passe par une communication avec soi. De même, le jugement est un acte d'auto-affirmation de soi dans la discussion interactive. Mais quelle est l'instance maîtresse de ce jeu de langage? La discussion seule? On sait depuis Wittgenstein que le caractère public du langage l'emporte sur toute velléité de penser et de parler par soi/pour soi, mais si les "larges consensus" qu'on recherche dans la discussion ne doivent pas être des identifications de masse dépourvues de rationalité, des manifestations d'égoïsme collectif, il faut que le désir de vérité soit plus primitif encore que le désir d'être du côté du plus fort, au moins lorsque nous parlons, écrivons, lisons... sinon en tout temps. Et si on ne veut pas tomber dans une morale des bons sentiments, c'est à la grammaire et à elle seule qu'il convient de laisser la garde du concept de vérité. Puisqu'on lui "laisse" cette garde, on ne la lui octroie pas mais on la lui reconnaît. En d'autres termes, si le désir de vérité est intriqué dans la grammaire, il n'a pas besoin d'être fondé en dehors du langage: le tiers-vérité est un concept, ce qui veut dire qu'il n'est "rien" (de transcendant). Dire la vérité, c'est s'identifier collectivement à un concept et c'est cette identification qui rend possibles les expériences de vérité qui font partie de la forme de vie. Et si la "forme de vie" était une "forme de vérité"?
On a donc cherché à décrire en quoi l'identification au concept, à la vérité, n'est pas une identification primitive comme les autres. Si on suit le fil conducteur de l'anthropobiologie, l'identification théorique est "moins primitive" parce que plus vide, éloignée du modèle de satisfaction des besoins primitifs qui voudrait qu'aux concepts il "corresponde" quelque chose. C'est le langage qui (r)établit les correspondances avec les choses et non l'inverse. Kant n'est sûrement pas le premier à avoir utilisé la forme de "proposition transcendantale" dont on a ici un exemple, mais il est le premier à avoir demandé comment elle était possible. Selon lui, le jugement en question comporte une synthèse qui requiert un troisième terme. Pour poser le problème à sa manière, comment est-il possible que ce soit le langage qui établisse les corrélations manquantes avec l'environnement? Ce ne peut être directement à partir de la réalité qu'il opère, puisqu'on a commencé par dire que l'être humain n'a pas comme l'animal de corrélations nécessaires avec l'environnement. Ce doit donc être sur la base d'un troisième terme qu'il agit, qu'il s'agit d'identifier. Comment? Kant n'aurait pas eu à chercher longtemps la réponse, puisqu'il disposait des formes pures de l'intuition et du concept; mais les formes pures de Kant paraissent aujourd'hui aussi désuètes que les formes pures de Platon l'étaient pour lui.
En quoi la condition transcendantale de Poulain ("il faut penser vrai pour pouvoir juger") se distingue-t-elle de celles de Kant? Malgré son caractère "primitif", elle n'est pas une intuition pure, ne serait-ce que parce qu'on utilise le mot "penser". "Penser vrai" est-il un concept? Sans arguer de la présence de deux termes plutôt qu'un seul, le concept de vérité est utilisé plutôt que mentionné dans cette expression. S'il s'agissait du concept, celui-ci serait mentionné; ce qui est désigné est plutôt un acte qu'un concept. Mais de toute évidence, c'est aussi un acte qui se rapporte au concept, un "jugement". Le cercle que Kant attribue à la proposition transcendantale est présent ici en ce que le jugement se trouve engendrer sa propre objectivité, puisque penser vrai est non seulement la condition du jugement mais ce jugement même. En quoi la forme pure du jugement se recommande-t-elle plus que celles de l'intuition pure et de la catégorie? De même que l'intuition pure était la forme pure de la sensibilité, la catégorie celle de l'entendement, le jugement serait la forme pure du langage. Mais si on avait chez Platon des Idées, chez Kant des intuitions ou des concepts, on a maintenant affaire à un acte. Et le jugement est un "acte de langage", non en ce qu'il serait "performatif" ou "performant" mais il l'est théoriquement, grammaticalement parlant. Voilà pourquoi on ne nous invite pas à passer d'une philosophie théorique à une philosophie pratique, une philosophie de l'action par ex., mais qu'on préfère saisir de manière pragmatique, anthropologique, le primat du théorique sur le pratique. Ce primat est tout ce qui est nécessaire. On n'a pas à postuler autre chose à l'intérieur d'une pseudo "philosophie pratique" ou d'une esthétique, ou d'une téléologie.
CONCLUSION GÉNÉRALE

La question du jugement chez Kant était celle de la possibilité des jugements synthétiques a priori. Wittgenstein se rangea du côté des membres du Cercle de Vienne qui rejetaient cette notion, mais ses raisons étaient différentes des leurs. Wittgenstein ne rejette pas telle "proposition métaphysique" parce qu'elle est synthétique a priori mais parce qu'on a omis de donner une signification à certains de ses termes. Il se place ainsi au-dessus de la polémique en ne réduisant pas nécessairement les propositions pourvues de sens aux propositions empiriques. Mais Kant peut-il démontrer qu'il a donné un sens à tous les termes de ses "principes de la possibilité de l'expérience"? Même si on ne peut nier l'existence des efforts de Kant et des néo-kantiens pour clarifier ce qui s'appelle expérience, Wittgenstein n'aurait probablement pas été beaucoup plus sensible que Carnap, Schlick ou Waismann aux "explications" de Kant. Il n'en reste pas moins que certaines de ses affirmations ou positions sur le caractère indicible des relations sémantiques tombent dans le champ d'une philosophie transcendantale négative. Wittgenstein aurait dû admettre qu'une philosophie transcendantale négative en présuppose une autre qui soit positive (et inversement). Et si ce n'est pas encore de philosophie kantienne dont il est question, puisque la critique wittgensteinienne en a dénoncé après bien d'autres les présupposés métaphysiques, à quelle autre "philosophie transcendantale" peut-on songer?
Poulain n'est pas le premier à récupérer l'argument transcendantal, Apel, Adorno et bien d'autres l'on fait avant lui, mais sans réussir à donner un contenu à cette nouvelle philosophie transcendantale, non kantienne, qui restait de ce fait formelle. On ne pouvait lui donner un contenu qu'en revenant à Kant, en acceptant la notion de jugement synthétique a priori, mais sans s'identifier à l'intuition ou au concept, ou même à la relation entre les deux. Le jugement est plus fondamental que tout cela, il est ce qu'il y a de plus primitif, le mouvement qui rend possible l'identité du langage et de la forme de vie humaine. Naturellement, on pourrait questionner ici l'usage du mot "identité" et se demander s'il n'appartient pas à la même catégorie que la proposition "le beau est identique". De plus, les explications anthropologiques fournies dans le chapitre précédent utilisaient volontiers un concept d'"identification" que d'aucuns pourraient juger teinté de psychologisme (dans la vieille querelle entre les philosophes et les psychologues). Sans doute, comme dit Kant, "la synthèse d'un divers (donné empiriquement ou a priori) offre d'abord une connaissance qui peut être encore au début grossière et confuse". Mais il s'agit déjà de synthèse et non d'analyse.
Chez Poulain, "penser vrai" est clairement une proposition analytique: il faut pouvoir penser vrai pour pouvoir juger. Mais cette proposition analytique renvoie à une synthèse. Il ne s'agit pas uniquement d'un geste de renvoi vide, comme chez Wittgenstein, qui constate l'existence des limites tracées par la proposition grammaticale et anticipe même l'existence d'un au-delà, sans jamais les franchir. La synthèse qu'exige l'obligation de penser vrai un jugement pour pouvoir le produire inverse le mouvement consistant à axer le jugement sur la vérité et l'objectivité plutôt qu'à considérer que le jugement produit la vérité. Cette "inversion" relève de l'analyse et de la réflexion plutôt que de la synthèse, mais elle est "synthétique" dans ses conséquences, puisque c'est elle qui produit le jugement comme jugement de vérité. On reconnaît là le geste kantien de l'analyse réclamant une synthèse, et on comprend mieux pourquoi Kant a choisi d'appeler "analytique transcendantale" la première partie de la Critique, nonobstant sa préoccupation exclusive pour la synthèse a priori.
Avec cette expression "analytique transcendantale", on retrouve la caractérisation la plus fréquente dans ce travail des remarques de Wittgenstein comme "analytiques" (puisqu'elles ne disent rien) et "transcendantales" (car elles montrent les limites, même si elles n'invitent pas à les franchir). Pourtant, la question qu'on continue à se poser au sujet de Wittgenstein est celle de savoir si ses propositions grammaticales ne "disent" vraiment rien. La logique du Tractatus fut la première à être qualifiée de "transcendantale". Mais où est la différence entre tautologies et propositions grammaticales? La réponse qu'on peut tirer de Kant et de Poulain est que les secondes et non les premières sont des jugements. Wittgenstein a dû penser vraies ses remarques grammaticales pour pouvoir les produire. Il ne leur manque donc rien pour être des jugements synthétiques a priori, contrairement aux apparences. Ces apparences parfois fâcheuses (par ex. l'indifférence de la grammaire à l'endroit de toute réalité), tiennent à ce que Wittgenstein voudrait nous voir abandonner le modèle des définitions pour celui des jugements. En bon pragmatiste, il pense le jugement sur le modèle de l'interaction entre locuteurs, mais l'accord qui règle le jugement présuppose une conscience de vérité qui ne peut sembler se perdre dans le consensus que parce que c'est justement là qu'elle se joue. Inutile de pratiquer l'introspection puisque les autres sont là pour être étudiés, analysés, écoutés, etc. Wittgenstein a très bien saisi cela. Voilà entre autres pourquoi son mysticisme ne l'a aucunement paralysé sur le plan pratique: bien qu'il n'ait publié qu'un livre et un court article de son vivant, cela ne l'a pas empêché d'être un auteur très prolifique.
Poulain inverse le mouvement de Wittgenstein pour éviter de le neutraliser, et de neutraliser toute activité philosophique. Au lieu de se contenter de réduire toutes les propositions de Wittgenstein à des jugements analytiques, en mettant "fin" ainsi à la "mission" de la philosophie, qui était pour elle comme pour la science de produire du "nouveau", on peut tenter de retracer chez Wittgenstein le rapport analyse/synthèse. Cette fois, au lieu que l'analyse "présuppose" la synthèse ou la "réclame" ou même l'"exige", la synthèse est inscrite dans la grammaire du jugement comme jeu de langage. Pour Wittgenstein, le langage n'est pas issu du raisonnement mais de l'instinct. La grammaire est comme les institutions de l'instinct cristallisé, ce qui explique son "aveuglement", mais une fois qu'on a pris conscience de la situation, qu'est-ce qui nous empêche de juger que la grammaire ne coïncide jamais avec la forme de vie et que c'est dans ce hiatus que surgissent les prolongements difformes de la forme de vie avec leurs grammaires déviantes? La grammaire ne peut jouer son rôle de gardienne des limites sans se penser vraie; elle se relie ainsi directement au désir de vérité et n'a plus besoin de se conformer à une autre réalité que celle-là. Il s'agit bien d'une "réalité", puisque les conditions anthropologiques dans lesquelles le langage s'actualise rendent nécessaire la présence d'une instance aveugle et juste, jouant un rôle analogue à celui du tiers, qui vient lui-même remplacer l'"Autre" manquant.
Puisque la grammaire peut dire que le jugement est plus fondamental que les définitions, il faut lui reconnaître les moyens de penser vrai son jugement. Comment le jugement, qui est ce qu'il y a de plus authentiquement personnel, peut-il se produire uniquement dans le discours? Lui qui est ce qu'il y a de plus théorique, comment peut-il se produire dans la pratique communicationnelle? Si la grammaire ne peut pas répondre à ces questions, on ne peut pas lui soumettre le jugement, mais c'est lui qui doit juger de l'aptitude de la grammaire à le saisir. On doit attribuer à la grammaire la reconnaissance du caractère public du jugement. Mais ce caractère public n'exclut pas la conscience individuelle et c'est bien le jugement de tous qui est soumis au jugement de chacun et non l'inverse. Aux questions énoncées ci-dessus, Kant aurait répondu que le jugement est "au service" du discours et de la pratique communicationnelle (tout en prétendant les régenter), alors que Wittgenstein se contentait de présenter le paradoxe de la grammaire ("dire qu'on peut savoir ce que l'on pense est absurde") sans prétendre lui apporter de solution (contrairement à ce qu'on a cherché à lui faire dire). La réponse à la question du jugement qu'on peut tirer de Poulain tient le milieu entre celle de Kant et celle de Wittgenstein: c'est ainsi qu'est possible le jugement, voilà tout!
Kant et Wittgenstein nous permettent de poser la question du jugement, mais seul Poulain nous permet d'y répondre. Kant pose le problème de la possibilité des jugements synthétiques a priori, Wittgenstein lui oppose que les limites du dicible peuvent être exprimées uniquement dans des "jugements analytiques", tautologies ou remarques grammaticales et les choses pourraient s'arrêter là, si Poulain ne relançait le débat en affirmant que le jugement produit la vérité et l'objectivité. Ce faisant, il ne se contente pas de refaire le geste de la révolution copernicienne. Il ne retombe pas non plus sur une position que Wittgenstein aurait pu considérer comme dogmatique. Et même si cela était, Poulain contredirait Wittgenstein. La belle égalité des règles grammaticales cache des paradoxes que la "grammaire profonde" de Wittgenstein amène au jour comme des fleurs étranges, sans nous permettre de les comprendre. Si on comprenait les paradoxes, on n'essaierait pas de les solutionner. Les solutions qu'on propose sont tirées de la forme de vie or à ce niveau, il n'y a tout simplement pas de problème. Il y aurait autant de sens à supposer qu'il y a un problème à ce niveau qu'il y en aurait pour un mécanicien à demander au conducteur d'une voiture: "comment fais-tu pour te diriger d'après la carte (routière)?"
La grammaire de Wittgenstein ne fait que mimer les conditions anthropobiologiques misérables de l'homme: il est vrai qu'on aurait pu parler du "sentir de la pierre"; on ne "sent" pas plus que les pierres. La grammaire exprime de manière aveugle les conditions anthropologiques misérables du jugement. Et pas si aveugle que ça, chez Wittgenstein à tout le moins.

notes du chapitre IV
1) "Si le langage doit être un moyen de communication, il doit y avoir un accord non seulement dans les définitions mais aussi (si étrange que cela puisse paraître) dans les jugements." Cette conception présente des "ressemblances de famille" avec celle de Kant dans le § 40 de la Critique de la faculté de juger, où il place le consensus à la source du jugement de goût.
2) Über Gewissheit, 124.
3) Über Gewissheit, 359.
4) J. Poulain, "Richard Rorty ou la boîte blanche de la communication", in Critique, no 417, février 1982, p. 139.
5) ..."sous l'expression de sensus communis, il faut entendre l'idée d'un sens commun à tous, c'est-à-dire l'idée d'une faculté de juger qui dans sa réflexion tient compte, lorsqu'elle pense (a priori), du mode de représentation de tous les autres êtres humains afin d'étayer son jugement pour ainsi dire de la raison humaine dans son entier, et ainsi échapper à l'illusion qui, produite par des conditions subjectives de l'ordre du particulier, exercerait sur le jugement une influence néfaste." Ak. V, 293-294; Critique de la faculté de juger, § 40, p. 127.
6) J. Poulain, "Le projet pragmatique: pragmatique de la parole et pragmatique de la vie", in Dialogue, vol XVIII, no 2, 1979, p. 199.
7) A. Gehlen, Der Mensch. Seine Narur und seine Stellung in der Welt, 13e édition {première édition en 1940}, Aula-Verlag, Wiesbaden, 1986, p. 118.
8) A. Gehlen, Der Mensch, p. 133 et suivantes.
9) J. Poulain, "Le projet pragmatique", p. 193.
10) D. Laferrière, "Jugement et vérité", thèse, Université de Montréal, août 1989, p. 164.
11) J. Poulain, "Le projet pragmatique", p. 198.
12) J. Poulain, "Peut-on guérir de la politique?", p. 527.
13) F. Marty et A. Delamarre, in E. Kant, Oeuvres philosophiques, vol. 1, p. 1591, note 1 de la p. 817.
14) Ak. III, 79; A 57 B 82; CRP, p. 80.
15) "Peut-on guérir de la politique?", p. 529.
16) Über Gewissheit, 124. Déjà cité dans l'introduction.
17) Tractatus, 5.5151.
18) Suivant la méthode de Wittgenstein, on devrait pouvoir trouver au moins un jeu de langage pour lequel il n'est pas absurde de dire que le faux doit se laisser penser en même temps que ce qui est vrai; celui de "négociations" entre partenaires sociaux ou nations par ex., impliquant un mélange de bonne foi et de méfiance.
19) J. Poulain, "Cynisme ou pragmatisme? Le temps du jugement", in Critique, n- 464-465, janv.-fév. 1986, p. 78. Souligné ajouté.
20) Apel et Habermas se sont fait les avocats d'une pragmatique transcendantale ayant pour but de "fonder en raison l'éthique de la discussion" (Voir J. Habermas, Morale et communication (1983), trad. C. Bouchindhomme, Les Éditions du Cerf, 1986, p. 63-130).
21) C'est là la dernière des trois maximes du sens commun selon Kant a) penser par soi-même; b) mettre son jugement en accord avec celui des autres; c) penser de manière conséquente. On peut rapporter la position de Kant dans la première Critique, de même que toute conception du jugement liée à la connaissance, à la première maxime. La caractérisation pragmatique du jugement dont Wittgenstein donne un exemple dans Philosophische Untersuchungen, 242 est pratiquement identique à la deuxième maxime. Quant à la troisième, la plus dure à suivre selon Kant, elle ne désigne pas le principe logique de non contradiction (dans quel cas Kant aurait aussi bien pu la nommer en premier), mais la nécessité de penser son jugement en accord avec soi-même, pour pouvoir le penser. En ce sens, la troisième maxime résume les deux autres.
22) "Peut-on guérir de la politique?", p. 511.
23) "Peut-on guérir de la politique?", p. 521.
24) "Peut-on guérir de la politique?", p. 522.
25) "Peut-on guérir de la politique?", p. 511.
26) "Peut-on guérir de la politique?", p. 530.
27) "Forme de vie" est pris ici dans un sens qui est tout à la fois anthropologique et logique; on a "trouvé" les racines anthropobiologiques du jugement, mais celui-ci continue de se mesurer à l'aune de la logique (fut-ce à celle de la logique " transcendantale") et non à celle d'une "expérience". Voir infra, note 39.
28) Tractatus, 6.54.
29) "Si on soustrait au doute la proposition 12 x 12 = 144, alors il faut y soustraire aussi les propositions non mathématiques." (Über Gewissheit, 653)
30) Über Gewissheit, 507-508.
31) Voir S.A. Kripke, Wittgenstein on Rules and Private Language, p. 95.
32) Sur cette question, voir D. Sauvé, "Règles et langage privé chez Wittgenstein: deux interprétations", in Philosophiques, vol XVII, no 1, 1990, pp. 45-70 et G.P. Baker & P.M.S. Hacker, "Malcolm on Language and Rules", in Philosophy, vol 65, no 252, 1990, p. 167-179.
33) En fait, Wittgenstein ne prouve pas l'impossibilité de tout langage privé, mais uniquement celle du langage privé de la sensation, basé sur la définition ostensive intériorisée. Dans "Malcolm on Language and Rules", Baker & Hacker citent plusieurs extraits du MS 124, où Wittgenstein envisage la possibilité d'"êtres humains qui ne connaîtraient que des jeux de langage où chacun ne joue qu'avec lui-même" (p. 173). Ce que Wittgenstein récuse, c'est un jeu de langage qui n'aurait aucun signe extérieur. Dans la polémique qui a opposé les partisans de l'intériorité aux behavioristes, Wittgenstein se range donc du côté des seconds, puisqu'il exige qu'une règle ou qu'un jeu de langage soient assignés à un comportement précis, quel qu'il puisse être.
34) L'interprétation communautaire cherche à imposer toute une communauté de locuteurs là où il suffit de faire appel à une pratique.
35) "Le projet pragmatique", p. 180.
36) Suivre une règle est uniquement ce qu'on appelle ainsi. Il ne s'agit pas là d'une nouvelle forme de nominalisme, car la grammaire ne se réclame d'aucun lien logique avec la réalité.
37) Voir la préface de E. Rigal à Quelques remarques sur la forme logique [1929] de L. Wittgenstein, Trans-Europ-Repress, Mauvezin, 1985, p. 10 et 12.
38) J. Poulain, "Le projet pragmatique", p. 181-182.
39) E.F. Thompkins, dans "A Farewell to Forms of Life" (in Philosophy, vol. 65, no 252, 1990, p. 181-197), soutient que Wittgenstein n'utilise pas le terme Lebensform dans le sens biologique de l'expression "form of life" (ou "forme de vie") mais dans le sens social (p. 188). En allemand, le terme Lebensform, qui apparaît dans les dictionnaires après la seconde guerre mondiale, à l'époque de la période de gestation des Philosophische Untersuchungen, signifierait d'abord uniquement un "mode de vie" (pattern of living), qui peut être "traditionnel", "social", "personnel", "démocratique", etc. (p. 187). Ces remarques grammaticales de Thompkins sont utiles, mais lorsqu'il affirme que "suivre une règle c'est se conformer à une manière de vivre socialement acceptée" (p. 195), c'est pour attribuer à Wittgenstein une aversion pour toute approche scientifique au profit d'une approche sociale. Or cette opposition ne devrait-elle pas être rendue caduque par l'évidence avec laquelle ni l'interprétation individuelle, ni l'interprétation communautaire de la règle ne sont suffisantes "individuellement"?
40) Philosophische Untersuchungen, 201.
41) J. Habermas, Morale et communication, op. cit., p. 111.
42) Philosophische Untersuchungen, 50.
43) Philosophische Untersuchungen, 232.
44) J. Poulain, "Richard Rorty ou la boîte blanche de la communication", p. 132.
45) A. Gehlen, Der Mensch, p. 141. Italique ajouté.
46) J. Poulain, "Richard Rorry et la boîte blanche de la communication", p. 144.
47) Voir par ex. Philosophische Untersuchungen, 109.
48) J. Habermas, Théorie de l'agir communicationnel, tome 1: Rationalité de l'agir et rationalisation de la société [1981], trad. J.-M. Ferry, Fayard, Paris, 1987, p. 111-112.
49) J. Habermas, Théorie de l'agir communicationnel, tome 1, p. 114-115.
50) J. Habermas, Théorie de l'agir communicationnel, p. 115.
51) D. Laferrière, "Jugement et vérité", op. cit., p. 176.
52) D. Laferrière, "Jugement et vérité ", p. 183.
53) J. Habermas, Théorie de l'agir communicationnel, p. 115.
54) J. Poulain, "Vers une pragmatique nucléaire de la communication", in Dialogue, vol XVIII, no 4, 1979, p. 483.
55) J. Poulain, "Vers une pragmatique nucléaire de la communication", p. 496.
56) M. Dufrenne, L'oeil et l'oreille, Éditions de l'Hexagone, Montréal, 1987, p. 52.
57) A. Gehlen, Urmensch und Spätkultur [1956], AULA-Verlag, Wiesbaden, 1986, p. 26-27.
58) Si l'inconscient freudien n'avait pas de contenu pour Wittgenstein, pas plus que la notion kantienne de chose en soi aurait pu solliciter sérieusement sa pensée, c'est qu'il s'agit là de concepts qui prétendent avoir un autre usage que celui qui leur est possible dans le langage. Leur usage est de ne pas en avoir au sens courant du terme "usage", ou d'avoir seulement un usage négatif sur ce plan. Mais les notions en question sont ainsi reprimitivisées, et il est évident qu'en invoquant la "chose en soi", Kant ignore purement et simplement la règle qu'il s'était donnée et qui lui interdit de le faire, comme Freud cessait d'être "scientifique" (suivant le jugement de Jung) aussitôt qu'il était question de sexualité.
59) E. Alexander, "Auto-observation d'un philosophe aphasique", in Diogène, no 150, avril-juin 1990, p. 3-25.
60) S'il en allait autrement, comment pourrions-nous dire que la danse par exemple est un langage? Et bien sûr, cette affirmation ne veut pas dire que la danse doit "traduire" le langage articulé.
61) Pierre Rey, Une saison chez Lacan, Éditions Robert Laffont, Paris, 1989, p. 162-163.
62) Le Devoir, samedi 10 novembre 1990.

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