Cinquantième anniversaire de la Ve République française

Marc Chevrier
Un aperçu de la constitution française de 1958 et des divers amendements dont elle a depuis été l'objet.
Il y a bientôt cinquante ans, le 4 octobre 1958, entrait en vigueur la constitution de la VeRépublique française. Remarquable longévité pour un pays où foisonnent constitutions et républiques depuis 1789 et qui, il y a un demi-siècle, souffrait de son instabilité politique. La VeRépublique cinquantenaire se démarque des régimes constitutionnels précédents par sa souplesse et sa surprenante stabilité. Pourtant, en 1958, rien ne laissait présager une telle réussite.

Une naissance tumultueuse

Après la guerre, la question coloniale avait provoqué la chute de six gouvernements sous la IVe république, aussi instable que la IIIe. L’émeute d’Alger de mai 1958 finit d’achever le régime. De Gaulle, qui avait boudé la IVe république, revint aux affaires à la condition qu’une nouvelle constitution fût adoptée. Pendanl’été 1958, dans le plus grand secret, Michel Debré élabora une nouvelle constitution incorporant la vision constitutionnelle du général, exprimée dès 1946 à Bayeux : doter la France d’un exécutif légitime et efficace, placé au-dessus des partis.

La guerre d’Algérie accaparera de Gaulle élu indirectement président, qui devra même utiliser ses pouvoirs d’urgence. Échappant à un attentat en août 1962, de Gaulle ajoutera en octobre 1962 une deuxième pierre à son édifice constitutionnel : l’élection du président au suffrage universel, approuvée à 62% par le peuple français. Le contraste est frappant entre les balbutiements de la VeRépublique et la France d’aujourd’hui : la décolonisation est un vague souvenir, la gauche ne dénonce plus le coup d’État permanent et la sédition n’agite plus la société civile.

Une stabilité gouvernementale retrouvée

De Gaulle aura finalement gagné son pari, car après la première élection du président au suffrage universel en 1965, le régime prendra, grâce à l’accord des majorités présidentielle et parlementaire, une orientation présidentialiste qui accroîtra la stabilité gouvernementale.

Apparaît alors la véritable nature de la VeRépublique. Profitant de ses pouvoirs propres et de son ascendant sur le parlement, le président devient à la fois chef de l’État et chef du gouvernement, laissant au premier ministre le rôle ingrat de « coordonnateur » du programme présidentiel. Irresponsable devant le parlement, le président se sert donc du premier ministre comme d’un fusible, éjectant le résidant de Matignon au gré de l’opinion ou lorsqu’il devient encombrant. Cependant, le Général, comme ses successeurs, devront s’appuyer sur la légitimité incontournable du parlement, bien que neutralisé par la prédominance de l’exécutif. En cinquante ans, la VeRépublique n’aura finalement connu aucune crise ministérielle majeure, même lors des cohabitations, et une seule motion de censure a fait tomber le gouvernement (Pompidou 1962).

Un bilan démocratique contrasté

Si l’on a pu assister au cours des dernières années à une accélération des rendez-vous électoraux (élections municipales, départementales, régionales, législatives, sénatoriales, présidentielles et européennes), la démocratie semi-directe n’a pas joué le rôle prévu. Entre 1958 et 1969, de Gaulle tint quatre référendums qui engagèrent clairement sa responsabilité. Ses successeurs négligeront le référendum, refusant d’engager leur responsabilité en cas de défaite référendaire. Même la dissolution, arme présidentielle suprême, n’aura finalement été utilisée que cinq fois en 50 ans, et l’échec de la dissolution stratégique de 1997 décidée par Chirac a réduit la portée de cette arme.

Malgré tout, la eRépublique aura réussi à instaurer l’alternance en 1981 et aura traversé, sans les crises appréhendées, trois périodes de cohabitation. Le système de partis s’est bipolarisé, avec une droite et une gauche organisées, bien que le système ait montré, comme en 2002, des signes d’atomisation partisane et de désaffection électorale. Depuis 2007, une droite réunifiée et une gauche moins éparpillée quoique affaiblie approchent la France du bipartisme, comme en Italie.

Les réformes de 2000 et 2008 : vers la contre-démocratie

La réforme constitutionnelle de 2000 sur le quinquennat ambitionnait de soumettre plus fréquemment la présidence au vote démocratique et d’éliminer les possibilités de cohabitation. Rien ne prouve cependant que cette réforme a atteint ses objectifs. Sous le septennat, avec des élections présidentielle et législative décalées, le suffrage universel s’exprimait en moyenne à tous les trois ans. Or, malgré la réduction du mandat présidentiel, la concordance des élections législative et présidentielle semble figer l’expression de la volonté populaire à une moyenne de cinq ans. Quant aux risques de cohabitation, le quinquennat en diminue les possibilités, sans empêcher toutefois qu’un scénario de majorités discordantes se reproduise un jour.

La récente réforme constitutionnelle de juillet 2008 marque une évolution importante de la eRépublique. En plus de limiter le mandat présidentiel à deux élections consécutives, elle introduit une nouvelle forme de responsabilité politique du président devant le parlement. En effet, le président peut désormais s’adresser directement au parlement réuni en Congrès à Versailles. Le président devient officiellement un acteur parlementaire de premier plan. Le régime, en quelque sorte, se « parlementarise ». Les nouveaux pouvoirs accordés au parlement renforcent cette logique, à laquelle devra répondre le président en raffermissant son autorité sur les parlementaires.

La réforme de juillet 2008 multiplie aussi les pouvoirs extra-parlementaires. Les citoyens français pourront désormais contester directement la validité des lois françaises, saisir le Défenseur des droits, compter sur une Cour des comptes (l’équivalent du Vérificateur général) et un Conseil économique et social renforcés et soutenir les parlementaires dans le déclenchement d’un référendum national. Cette réforme matérialise en partie ce que Pierre Rosanvallon a appelé la « contre-démocratie », soit une démocratie de défiance pondérant le pouvoir des élus, qui ne pourront plus monopoliser l’expression de la volonté générale. En ce sens, c’est une petite révolution, sans commune ni barricade.

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